Front de gauche : changer ou disparaître

mardi 27 mai 2014
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Il aura fallu trente ans au Front national pour améliorer, aux élections européennes, son score historique de 1984. Inexistant au scrutin de 1979 (seuls 0,76 % des inscrits votaient pour lui), le parti de Jean-Marie Le Pen multipliait par huit son nombre de voix cinq ans plus tard et talonnait le Parti communiste français.

A cette époque, le vote était protestataire : contre l’insécurité, contre le chômage et la crise attribués en partie à l’immigration, et contre le « tournant de la rigueur » opéré par le Parti socialiste en mars 1983. Mais qui se souvient qu’en 1984 le Front national était ultralibéral et pro-européen tandis que ceux qui s’opposaient radicalement à la construction européenne étaient les communistes ?

Trente ans plus tard, les rôles sont inversés. L’extrême-droite française est devenue « anti-mondialiste », « anti-européenne » et « anti-système » tandis que la gauche radicale s’est mise à rêver une « réforme de l’intérieur de l’Union européenne » à laquelle plus grand monde ne croit. En parallèle, l’européisme du Parti socialiste s’est confirmé au point de se confondre avec celui de la droite libérale, tandis que tous les grands événements politiques européens ne cessaient, dans une part croissante l’opinion publique, de nourrir le rejet de « Bruxelles » : l’adoption du traité de Maastricht en 1992, qui inscrivait dans la Constitution française la primauté du droit européen ; la création de l’euro en 1999, qui ajoutait à l’ordre juridique communautaire un ordre monétaire ultralibéral ; le passage en force du traité de Lisbonne, qui rayait d’un trait de plume le non français et néerlandais de 2005 ; la gestion catastrophique et méprisable de la crise par les élites européennes ces six dernières années.

Il est donc logique, malheureusement, que la nouvelle stratégie de Jean-Marie Le Pen, perfectionnée depuis 2011 par sa fille, fonctionne et propulse le Front national en tête du scrutin du 25 mai 2014, avec 25 % des suffrages exprimés et 10,3 % des inscrits, quand le Front de gauche n’obtient que 6,5 % des suffrages exprimés et moins de 3 % des inscrits. On entend déjà certains invoquer le taux d’abstention pour minimiser ce résultat. Mais ce serait oublier que l’extrême-droite obtient 1 170 000 bulletins de plus qu’aux législatives de 2012 et près de quatre fois plus de voix que le Front de gauche.

Depuis trente ans, à chaque nouvelle percée du Front national, la gauche radicale assure qu’il faudra « analyser en profondeur » les raisons de cette montée et de son propre échec à l’endiguer. Pourtant, cette analyse n’a jamais été sérieusement faite. On accuse le vote protestataire, l’abstention, la « démagogie » de Marine Le Pen ou de son père, on regrette le recul du « travail de terrain » autrefois réalisé par le Parti communiste dans « les quartiers ». Mais on passe à côté de l’essentiel. Ce qui devrait être évident depuis longtemps, et que le 25 mai 2014 confirme, c’est que le Front national représente bien mieux que la gauche radicale la rupture avec la mondialisation et son cortège de catastrophes.

LE DISCOURS DU FRONT DE GAUCHE SUR L’EUROPE ET L’EURO EST INCOMPRÉHENSIBLE

Quand Marine Le Pen promet de restaurer la souveraineté nationale, le Front de gauche reste empêtré dans un discours incompréhensible sur l’euro, qu’il veut « subvertir », et sur la construction européenne, qu’il veut « refonder » sans dire précisément comment. Quand Marine Le Pen dénonce avec force « l’UMPS », le Front de gauche reste, pour beaucoup d’électeurs, associé à l’ultra-européiste Parti socialiste, ce qui est le prix à payer pour des listes communes au premier tour d’élections locales.

Dans cette situation dramatique, les dirigeants du Parti communiste portent une lourde responsabilité. C’est le cas sur le plan stratégique, puisque le cordon qui les relie au Parti socialiste n’est pas encore coupé, mais c’est aussi le cas sur le plan programmatique, quand une poignée de responsables (les économistes Paul et Frédéric Boccara, Catherine Mills... ou l’ancien eurodéputé Francis Wurtz) s’accroche, envers et contre tout, à la monnaie unique et à la réforme « de l’intérieur » des institutions européennes. Place du Colonel Fabien et dans les locaux du journal L’Humanité, l’esprit « euroconstructif » de Robert Hue rôde encore dans les couloirs...

Plus radical sur les alliances et le programme, le Parti de gauche de Jean-Luc Mélenchon n’est pas irréprochable pour autant. Qu’a-t-il pu passer par la tête de ses dirigeants quand, à quelques semaines du scrutin, ils proposèrent un rapprochement futur à Europe-écologie-Les Verts, qui plaide pour la « dissolution des États-nations » et le fédéralisme européen ? Après cela, quelle crédibilité l’électeur pouvait-il donner au discours, déjà ambigu, du Front de gauche sur les questions européennes ? La réponse est contenue dans le résultat du 25 mai.

Enfin, les trotskistes de Lutte ouvrière et du Nouveau parti anticapitaliste peuvent mesurer l’impact de leur rejet absolu de la souveraineté nationale : moins de 300 000 personnes ont voté pour eux, contre seize fois plus pour le Front national.

De tout cela, la gauche radicale doit parler, sous peine de disparaître. Pas au détour d’une université d’été ou d’une fête de l’Humanité, mais à l’occasion d’un débat sérieux, nécessairement long, qui devra impliquer un maximum de militants. Il faut convoquer au plus vite des assises sur les questions européennes, qui devront permettre d’entendre d’autres discours que celui de la « réforme de l’intérieur » et qui devront évoquer d’autres stratégies, notamment la sortie de l’euro et de l’ordre juridique européen. Faute de quoi les élections nationales de 2017 risquent d’être encore plus catastrophiques que le scrutin européen de 2014.

Par AURÉLIEN BERNIER le 27/05/2014

Transmis par Linsay




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