Saïd Bouamama : « le colonialisme ne peut pas mourir tant que subsistera le capitalisme »

jeudi 5 juin 2014
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A l’invitation de la librairie Transit et de plusieurs associations, Saïd Bouamama est à Marseille les 5 et 6 juin pour présenter son dernier livre : Figures de la révolution africaine. Nous l’avons évidemment rencontré…

RM : Saïd pourquoi ce livre ?

Ce livre est né d’un double constat. Tous les militants progressistes en Afrique, tous les militants syndicalistes, tous les acteurs des luttes sociales connaissent plus ou moins profondément les théoriciens et acteurs européens et plus largement occidentaux des luttes pour l’émancipation. En revanche en Europe et en France en particulier les acteurs et penseurs africains de la révolution ne sont pas connus. Il faut interroger cette méconnaissance dans ses causes et ses conséquences.

A ce premier constat s’en ajoute un autre qui est celui de la situation du continent africain aujourd’hui. Dépendant économiquement, pillé dans ses ressources minières et énergétiques, déstabilise par des coups d’état et des interventions militaires télécommandés des capitales occidentales, etc., l’Afrique prend le chemin qu’ont combattu les N’Krumah, Fanon, Ben Barka et autres Sankara. C’est dire que parfois l’avenir suppose que l’on prenne les leçons du passé. Or justement la période de la lutte anticolonialiste a été une période de réflexion et de mobilisation intense pour construire une alternative à la situation actuelle. Connaître cette période, ses figures, ses espoirs et ses théorisations permet de poser les question d’aujourd’hui tant en Afrique (comme besoin de luttes radicales de ruptures avec le système impérialiste), qu’ici (comme besoin de rupture avec les mentalités coloniales qui perdurent bien après la fin du colonialisme direct.

Connaître cette période et ses combattants c’est aussi prendre conscience du fait que l’histoire mondiale est unique depuis les débuts de l’esclavage et encore aujourd’hui. Le recul des luttes anti-coloniale et anti-impérialiste est à la fois une cause et une conséquence du recul des espoirs de transformations révolutionnaires en Europe et dans le monde et inversement. Le capitalisme est né avec comme condition la destruction des civilisations amérindiennes et l’instauration de la barbarie esclavagiste. Il ne peut disparaître qu’avec la disparition de l’exploitation des pays du dit « tiers-monde » qui permet des surprofits comme disait Lénine avec lesquels on endort par des miettes (de surcroît de plus en plus menues avec la crise systémique actuelle ) les peuples des pays impérialistes. C’est aussi parce cette épopée magnifique des combattants africains est méconnue par les militants européens que l’internationalisme est si faible en France.

RM : aujourd’hui le colonialisme est-il mort ?

Le colonialisme n’est que l’extension aux colonies des rapports capitalistes. Il ne peut donc pas mourir tant que subsistera le capitalisme. Il peut en revanche changer de forme en passant d’une domination directe (le colonialisme classique) à une forme indirecte (le néocolonialisme). Par ailleurs l’existence aujourd’hui de pays émergents et en particulier de la Chine offre de nouvelles opportunités commerciales, de développement aux pays africains et plus globalement à toutes les anciennes colonies. Cela est inacceptable pour les puissances impérialistes qui réagissent en multipliant les coups d’états et les nouvelles guerres coloniales. Bloquer l’accès de la Chine à des ressources, à des marchés ou à des coopérations est la cause réelle de guerres, de partitions (comme au Soudan) et de déstabilisations. Loin d’être mort le colonialisme connaît au contraire une nouvelle jeunesse avec la crise systémique du capitalisme. Comme le souligne Frantz Fanon en 1961, le colonialisme ne recule jamais, il est contraint de reculer ou il se maintient quitte à changer de visage. Sans l’exploitation des pays africains le capitalisme n’est pas viable économiquement. Il n’y a pas d’un côté le capitalisme et de l’autre le colonialisme mais les deux faces d’un même processus. La disparition du colonialisme signifie à court terme une crise mortelle pour le capitalisme. A l’inverse la fin du capitalisme fait disparaître le colonialisme.

RM : existe-t-il un panafricanisme du 21e siècle ?

Les figures révolutionnaires décrites dans le livre sont particulièrement populaires en Afrique ce qui signifie une conscience embryonnaire du besoin de panafricanisme. Toute la période abordée dans le livre est l’histoire d’une prise de conscience qu’un véritable développement autocentré c’est à dire répondant aux besoins populaires signifie de penser l’émancipation nationale dans un cadre panafricain. Cet échelon est celui qui permet les complémentarités économiques, les bases d’accumulations et les solidarités militaires sans lesquels les tentatives de ruptures révolutionnaires sont immédiatement vaincues (en assassinant, en intervenant militairement, en fomentant des coups d’états, etc.). Il y a donc un besoin objectif de panafricanisme.

L’expérience de l’ALBA sur confirme ce besoin en positif en montrant la possibilité d’une opposition victorieuse à l’impérialisme par une dynamique régionale. Ce besoin objectif de panafricanisme ne rencontre pas pour l’instant de réponses organisationnelles. Mais restons matérialistes : le besoin objectif suscite inévitablement à plus ou moins long terme une réponse subjective et organisationnelle. Mais cela est l’affaire des peuples africains. Notre question ici est celle de notre capacité à développer une conscience anticoloniale et internationaliste afin de contrecarrer les sabotages des dynamiques de luttes nationales, régionales et continentales qui naitrons inévitablement en Afrique. Inutile de dire qu’aujourd’hui nous sommes en France au degré zéro de l’internationalisme comme en témoigne l’absence de réactions fortes aux nouvelles guerres coloniales (et même le soutien à celle-ci sous des prétextes humanitaires)

RM : en quittant l’Afrique sans la quitter vraiment, tu as signél’appel (re)construire : peux-tu nous dire pourquoi et ce qui t’a motivé dans cet appel ?

Je le disais auparavant l’histoire du monde est devenue unique depuis la naissance du capitalisme et son extension esclavagiste, puis coloniale, puis néocoloniale à l’ensemble de la planète. Agir pour qu’ici réapparaisse une force capable de penser l’internationalisme comme partie intégrante du combat contre le capitalisme est donc pour moi essentiel. Or les seuls moments où cet internationalisme a existé en France (de manière insuffisante et non conséquence et insuffisamment durable pour des raisons soit de chauvinisme au sein même du mouvement ouvrier ou d’alliances avec les socialistes) c’est sous la bannière du communisme. C ’est aussi historiquement le discours clair et conséquent de l’internationale communiste dans les années 20 du siècle dernier qui a clarifié le lien entre le combat anti-capitaliste et anti-colonial. Pour ces raisons nous avons besoin que l’expression communiste se re-développe en France après tous les reniements des dernières décennies.



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jeudi 5 juin 2014 à 21h16 - par  jean-marie Défossé

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