« Savez-vous, ce qui se passe, toutes les nuits, dans ce commissariat » ?

vendredi 13 octobre 2006
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Trois nuits d’émeutes à Bruxelles, la semaine passée. Pourquoi ? La mort inexpliquée (trois versions successives !) d’un jeune Belge d’origine marocaine en préventive à la prison de Forest a déclenché la colère des jeunes du quartier des Marolles. Mais d’où vient la profondeur de cette colère ?
Interviewé par le quotidien Le Soir, un directeur de théâtre du quartier témoigne : « Savez-vous ce qui se passe toutes les nuits dans les caves de l’Amigo ? (surnom du commissariat central de Bruxelles) Et quel degré d’humiliation on y inflige parfois ? Je connais un danseur brésilien qui s’est fait arrêter en rentrant d’un spectacle. Il avait le malheur d’être noir. On lui a brisé la rotule. Sa carrière est terminée. »

« Toutes les nuits » ? Pourquoi le journal qui a eu le mérite de publier ce témoignage, n’a-t-il pas enquêté sur une aussi terrible accusation ? Pourquoi aucun candidat aux prochaines élections communales n’a-t-il interpellé ? Ou alors pourquoi les autorités ne poursuivent-elles pas ce témoin en diffamation ?
Pas de pistes pour trouver les coupables de violences ? Mais si. Sur ce commissariat et ces policiers de Bruxelles-Ville, on peut, en cherchant un peu, trouver de nombreux témoignages. Dont le mien.

« Finalement, nous allons vous dédommager ». Mais...
Ces policiers, je les connais personnellement. Comme mes lecteurs le savent. (pour les nouveaux lecteurs. En 1999, comme je l’ai déjà raconté, j’ai été très violemment tabassé parce que j’avais organisé à Bruxelles une manifestation pour la paix. Seulement moi, j’ai eu la chance qu’il y ait des caméras autour de la manifestation, d’être journaliste, de pouvoir mobiliser sur Internet. Et, après six années de bataille judiciaire, j’ai pu obtenir leur condamnation : prison avec sursis, amendes, dommages !

Justice était faite ? Pas encore. Après avoir soutenu ces policiers brutaux pendant des années dans leur défense mensongère, la Ville de Bruxelles refusait de me payer les dommages qu’elle me devait. Et le bourgmestre refusait de répondre à mes lettres.

Alors, finalement, il y a deux semaines, je suis allé interpeller son chef de cabinet, Philippe Close, dans une petite réunion électorale. Résultat : il vient de me promettre que la Ville va cesser ses blocages procéduriers et me payer enfin. Y compris les frais d’avocat, importants à cause de la longue mauvaise foi des coupables.

Bien. Dois-je me taire à présent ? Puis-je me contenter de toucher un peu d’argent pour mes souffrances personnelles ? Comment ne pas penser aux aux autres victimes ? Passées, mais aussi à venir... Ceux dont les plaintes n’aboutissent pas. Ceux qui ne peuvent payer des milliers d’euros pour un long procès. Ceux qui n’ont pas de relais médiatiques.

Faux scandales et vrais scandales

Donc, j’ai écrit aux divers partis concernés : « Condamnez-vous ces brutalités et surtout comment allez-vous y mettre fin ? » Silence général. Silence du bourgmestre Thielemans (PS). Silence du MR, parti de l’ancien bourgmestre de Donnéa. Silence de Joëlle Milquet, candidate à Bruxelles pour le CDH. Silence de Laurette Onkelinx, candidate PS à Schaerbeek, ministre de la Justice, et insouciante de la totale passivité de son Comité P, censé enquêter sur toutes ces bavures policières. Silence aussi du parti écolo, les verts qu’on attendait plus soucieux des libertés démocratiques... Aucun des quatre grands partis n’a pris position. Silence enfin du Soir et des grands médias.

Comment expliquer cette panique ? Tous tétanisés par la démagogie sécuritaire de l’extrême droite ? Il faut croire. La semaine passée, la Belgique a vécu une mini-crise gouvernementale. Serait-ce parce que la ministre de la Justice avait menti et couvert une réunion illégale - son ministère, des policiers, la Sûreté et même des magistrats ( !) - tous acoquinés pour organiser la « livraison » illégale d’un militant politique de nationalité belge à la très démocratique Turquie ? Pas du tout. Ce scandale, dénoncé avec toutes les preuves par Le Soir, a été étouffé du jour au lendemain.

A la place, on a eu droit à un faux scandale. Purement électoraliste. Parce que la même ministre de la Justice avait tout simplement appliqué les règles légales des libérations conditionnelles, un de ses alliés gouvernementaux s’est lancé dans la démagogie sécuritaire en courant après l’extrême droite. Respecter la loi provoque une crise, la violer gravement ne provoque rien du tout.

Combien de drames vous faudra-t-il encore ? Cessez de courir derrière l’extrême droite !

C’est pareil à Bruxelles. Les actes très graves commis par la police de Bruxelles-Ville violent la loi, et tous les responsables s’en foutent. Combien faudra-t-il encore de drames, de vies brisées et d’émeutes « inexplicables » avant qu’un responsable se décide à briser la loi du silence ?

C’est bien beau si les politiques viennent montrer leur tête aux grands concerts antiracistes. Mais ce qu’on attend d’eux, et ce qui sera vraiment efficace, c’est qu’ils combattent concrètement le racisme là où il se trouve. Y compris au niveau policier.

Est-ce en courant après l’extrême droite et en protégeant des policiers cogneurs qu’on évitera les soulèvements de jeunes ? Non. Mais bien en prenant de vraies mesures contre les écoles-poubelles parkings pour futurs chômeurs. Mais bien en réduisant le temps de travail pour créer de vrais emplois. Mais bien en luttant contre les discriminations à l’embauche et ailleurs. Et tout d’abord en écartant les flics cogneurs et racistes. Le métier de policier ne doit pas être simple tous les jours en ces temps de crise, mais ce n’est pas une raison pour laisser sévir l’extrême droite dans la police. A moins qu’on veuille encore beaucoup d’émeutes ?

« Une manifestation, ça vous a pas suffi ? »
Mon sentiment est que le commissariat de Bruxelles - Ville est noyauté par des éléments d’extrême droite, qui commettent des violences à répétition et bénéficient de certaines protections. Monsieur Close m’a dit qu’il existe un héritage du passé et que la situation était encore pire avec le précédent bourgmestre. Lequel interdisait et réprimait de nombreuses manifestations.

Exact. Mais alors, je lui ai parlé du présent. Je lui ai signalé que, quatre années plus tard (donc sous le nouveau bourgmestre), j’avais été à nouveau menacé. A la fin d’une manif contre la guerre en Irak, des policiers de Bruxelles-Ville avaient arrêté un jeune et le maltraitaient à même le pavé. Plusieurs témoins, dont moi-même, se sont indignés. Un officier m’a alors menacé à un mètre de distance : « Monsieur Collon, une manifestation, ça vous a pas suffi » ?

Prêt à « remettre ça », donc. Est-ce légal de menacer ainsi un manifestant pacifique ? Ce qui m’a déçu chez Monsieur Close, c’est que, lorsque je lui ai signalé ce nouveau fait grave (dont l’auteur est identifiable), il n’a posé aucune question et ne s’en est pas soucié. Dossier trop gênant ?

Banal... demain ?
En conclusion : tant qu’il n’y aura pas d’enquête sérieuse et publique sur tous ces agissements, se promener dans Bruxelles et certaines autres communes restera risqué. Surtout si on n’a pas la bonne couleur de peau.
Pouvons-nous accepter l’impunité ? Pouvons-nous rester indifférents à ce qui se passe dans les caves du commissariat de l’Amigo ? Défendre la démocratie, n’est-ce pas d’abord faire respecter les lois par ceux qui sont censés les faire respecter ?

Y aura-t-il un média qui ait le courage d’enfin ouvrir ce dossier brûlant et de donner la parole à toutes les parties ? Non ? Alors, ne venez pas, aux prochaines émeutes, nous dire que c’est « inexplicable » ! Si vous ne vous mettez pas dans la peau d’un jeune qui a été arrêté arbitrairement, qui a été humilié, qui a été tabassé dans un commissariat, comment pourriez-vous comprendre ? Si les flics ont le droit d’être violents et arrogants, pourquoi les jeunes ne prendraient-ils pas ce droit quand ils en ont l’occasion ? Accepter l’autorité quand elle est appliquée injustement ?

Si nous laissons faire, demain il sera « banal » qu’un jeune d’origine immigrée meure dans une cellule de commissariat, il sera banal qu’un gouvernement mente et donne trois versions successives de ses actes illégaux. Demain, il sera trop tard.

Il est donc urgent de faire toute la lumière. Sinon, de terribles « faits divers » continueront à se retrouver dans nos journaux. Ou bien ils n’y figureront même plus. Et un jour, nous penserons avec remords à cette phrase terrible, qui me fait encore froid dans le dos en repensant aux coups, aux os qui craquent, à la terreur indicible : « Savez-vous ce qui se passe, toutes les nuits, dans les caves de ce commissariat ? »

MICHEL COLLON
4 octobre 2006

Transmis par : Linsay.



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