Le sang palestinien séchera et sera oublié

samedi 23 août 2014
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Pour tous ceux à qui la couverture médiatique de la guerre d’Israël contre la population de Gaza est devenue insupportable, Voici un article du romancier et poète Yitzhak Laor, paru dans Haaretz, le journal dans lequel il travaille comme critique littéraire à Tel-Aviv. Il est également l’auteur de Le nouveau philosémitisme européen et le « camp de la paix » en Israël (2007, éditions La Fabrique). L’article est traduit par Michel Ghys.

Le sang palestinien séchera et sera oublié

« Palestiniens, si vous êtes prêts à laisser un instant de côté vos monceaux de cadavres, à arrêter les jérémiades du deuil, l’affairement hystérique autour des blessés et la recherche de chaque grand-mère disparue parmi les ruines, et à ne pas perdre du temps à chaque bracelet en plastique d’une petite fille qui s’entête à vouloir retrouver sa poupée dans les gravats ; si vous êtes capables de faire cesser les pleurs énervants des enfants et de calmer un peu les femmes qui n’ont pas pu décider quoi sauver de la maison qui brûle et quoi y laisser ; bref, si vous êtes capables d’être rationnels un instant, alors prêtez attention aux quelques conseils que voici formulés pour vous.

« Avant tout, arrêtez de filmer des blessés et des morts. De toute façon, nous ne regardons pas vos images de destruction. Nos médias à nous sont les médias les plus responsables du monde libre. Chacun de nos journaliste est un crieur sur le marché en gros de la viande ; chaque annonceur un enseignant de l’enseignement spécial. Quant au monde, c’est-à-dire l’Occident, même quand il écoute, il ne vous entend pas. Pour lui, vous prenez place parmi toutes sortes d’images de massacres – Pakistan, Afghanistan, Irak, Syrie – et on ne parle de vous que quand vous tirez sur Sderot ou Ashkelon.

« Pensez un instant : de janvier à juillet 2014, nous avons tué des dizaines d’entre vous en Cisjordanie. Et quoi ? Est-on venu se plaindre à nous ? Imaginez – par un effort de pensée – que vous, à Tel Aviv ou à Haïfa, disons, vous ayez tué dix civils, des Juifs : quels grands titres pleins de soutien et de sympathie n’aurions-nous pas ! Et quelle permission de tuer ! Pourquoi ? Parce que vous êtes les autochtones et nous les colons dans un monde qui n’a jamais abandonné cette hiérarchie et qui distingue parfaitement entre le sang de l’un et le sang de l’autre. Bien sûr nous avons été un peu choqués par ce que nous avons fait à Chadjaiya et à vos hôpitaux, aux écoles, et tous les enfants morts mais votre sang séchera et sera oublié. Se souvenir n’est permis qu’à nous. Votre mémoire à vous n’est que provocation.

« Comment n’avez-vous pas déjà compris cela ? Gaza est justement un excellent exemple. Il vous est interdit de vous approcher de la frontière alors qu’il nous est permis de la franchir. Il vous est interdit de pêcher en mer et nous pouvons aller jusqu’à vos plages. Il vous est interdit de travailler la terre à moins d’un kilomètre de la frontière, alors que nous travaillons chaque centimètre jusqu’à la frontière. Il vous est interdit d’enlever des gens de chez nous ; nous, nous pouvons mettre en prison des gens de chez vous. Parce que nous sommes plus forts. Nous pouvons violer n’importe quel accord, y compris l’engagement maintenant oublié d’une jonction terrestre entre Gaza et la Cisjordanie.

« D’ailleurs, il est depuis toujours entendu chez nous qu’un accord conclu avec des Arabes est quelque chose de temporaire. ’Jusqu’à nouvel ordre’ comme on dit en riant, au sein de l’armée. Nous vous avions promis ainsi qu’aux Américains une ’quatrième phase’ [de libération de prisonniers palestiniens] ? Oui, nous avions promis. Et qu’avez-vous retiré de l’enlèvement et de l’assassinat de trois Juifs ? Vous avez eu droit à ’Falaise solide’. Croyez-nous : nous savons combien vous souffrez, nous sommes moraux, mais nous vivons au 21e siècle. Alors que vous ? À la traîne. Sinon, nous n’irions pas au niveau du sol et vous dans des tunnels. Ou plutôt : sinon vous ne demanderiez pas pourquoi cela nous est permis et pas à vous.

« Cela nous est permis parce que nous sommes plus forts. Nos chars sont meilleurs, nos avions sont meilleurs, nos missiles sont meilleurs, notre force navale est meilleure. C’est la Loi morale, toute entière. Nous sommes la Loi et vous êtes en dehors d’elle. Vous êtes les détenus et nous sommes les geôliers. Peu importe ce que vous ferez ou ne ferez pas. Peu importe que vous tiriez ou non : vous ne serez pas libres. Vous n’aurez pas l’indépendance. Et qu’importe qui vous dirige, Mahmoud Abbas [1] ou Ismail Haniyeh [2], Berl Katznelson [3] ou Zeev Jabotinsky [4] : nous ne voulons simplement pas de vous, parce que ce que nous avons déjà pris ne nous suffit pas. Votre existence nous dérange et nous sommes prêts à sacrifier pas mal pour vous ignorer. Et s’il est vrai que vous n’avez nulle part où aller, cela vaut la peine que vous répétiez notre slogan : ’ce n’est pas le char qui gagnera mais l’homme soutenu financièrement par les Etats-Unis’. »

Traduction de l’hébreu : Michel Ghys

Transmis par Danièle Jeammet

Article original en hébreu cliquer ici



En médaillon, photo prise sur Infopalestine. Une femme palestinienne en pleurs devant des maisons détruites dans le quartier nord de Beit Hanoun dans la bande de Gaza. - Photo : AFP/Mohammed Abed


[1actuel dirigeant de l’autorité palestinienne

[2dirigeant du Hamas et ex premier ministre de l’autorité palestinienne limogé par Mahmoud Abbas

[31897 - 1944 est souvent présenté comme un guide spirituel du sionisme, co-fondateur de la histadrout, ce syndicat israélien qui a inscrit dans ses statuts la défense prioritaire des travailleurs juifs

[4autre dirigeant sioniste mort en 1940



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