Bamako le film : le rêve et le procès de l’impérialisme...

mercredi 22 avril 2015
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Aucune cour n’instruit le procès des institutions financières internationales ? Abderrahmane Sissako va l’inventer, cette cour ; asseoir des magistrats professionnels derrière des tréteaux barrés d’une planche ; planter devant barre de fortune qui branlera sous le coude des témoins ; diviser en deux le casting d’avocats réels conviés à ce happening : les uns porte-parole de la partie civile (la population africaine), les autres assignés à la tâche défendre la banque mondiale et le FMI. Chiche !

Ce sera tout faux, ce sera tout vrai, théâtre doublement à domicile car se déroulant dans un quartier populaire de Bamako et au milieu de la cour où le cinéaste a grandi. En profondeur du plan où s’animent les lèvres des acteurs du procès, parfois en inserts, on verra passer la vie, sous la forme d’une femme portant seau, d’un enfant cherchant mère, etc

Qui n’a pas un jour rêvé, sous le coup de la colère, de prendre la parole publiquement pour dénoncer une injustice flagrante en disqualifiant à tout jamais les coupables ? C’est ce désir utopique, sorte de scène primitive de la révolte, que le réalisateur a mis ici en images sous la forme d’un film-procès simple comme bonjour.

Nous voilà en effet installés dans la cour d’une maison ocre de Bamako. Alors qu’alentour la vie continue, un tribunal siège, avec son président en toge, ses avocats de la défense et des parties civiles, son auditoire. Le fautif incriminé est de taille : rien de moins que le FMI et la Banque mondiale réunis, responsables de la paupérisation de la plupart des pays d’Afrique subsaharienne.

Dans ce procès à charge, les avocats de la défense font plutôt pâle figure. Difficile d’éviter le manichéisme sur un tel sujet. Mais le geste du réalisateur est à rapprocher de la fable, politique et poétique. L’essentiel est d’offrir une tribune populaire où chacun dit ce qu’il a sur le coeur, selon sa manière, sa langue à lui, instruite ou non.

Ce tribunal à ciel ouvert a beau être de fortune, il délivre la parole comme nulle part ailleurs.

C’est dans cette cour-là que le cinéaste a grandi, où l’histoire personnelle et l’histoire collective se rejoignent. Sissako y revient pour refaire le monde en conviant à la fois des gens du coin et de vrais avocats. Les réquisitoires des magistrats qui stigmatisent le bradage des services publics sont éloquents.

Qu’importe le verdict, les choses ont été dites. Une avocate fière a pu, par exemple, balayer le cliché d’un continent indigent en affirmant que « l’Afrique est victime de ses richesses ». Un avocat a réclamé à la Banque mondiale « des travaux d’intérêt général à perpétuité ».
Dont acte.

Jacques Morice. Télérama.

Melé est chanteuse.




Comme tous les soirs, elle se prépare à aller au bar où elle se produit. Elle n’en peut plus de cette vie et compte quitter le village pour tenter de faire carrière ailleurs.

Chaka, son mari, est au chômage depuis longtemps. S’il s’occupe de leur fille, il passe également son temps à traîner un peu partout.

Melé sent que plus rien ne l’attache à cet homme. La séparation semble inévitable.

Dans la cour de leur immeuble, une cérémonie se prépare. On installe des tables, des chaises et des bancs pour improviser une cour de justice. Les juges prennent place. La population africaine a porté plainte contre la Banque mondiale...

Jacques Morice – Télérama

Film d’Abderrahmane Sissako (France/Mali, 2006). 118 mn. Avec Aïssa Maïga : Melé. Tiécoura Traoré : Chaka. Aïssata Tall Sall : avocate de la partie civile.
Genre : fable poético-politique.

Cercle Manouchian.



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