La CFDT, le PS et le Medef font reculer l’âge de la retraite

mercredi 28 octobre 2015
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L’accord de principe sur les retraites complémentaires Agirc et Arrco, signé le 16 octobre dernier entre le patronat (Mouvement des entreprises de France, Confédération générale des petites et moyennes entreprises et Union des professions artisanales) et trois syndicats (Confédération française démocratique du travail, Confédération française de l’encadrement - Confédération générale des cadres et Confédération française des travailleurs chrétiens), se traduit par un recul de l’âge de la retraite et une baisse des pensions.
Pas étonnant que le président du Medef, M. Pierre Gattaz, pourtant avare de compliments en général, salue le courage de ces représentants des salariés : « Je voudrais d’ailleurs [leur] rendre hommage. Ils ont joué un rôle très important et ont été responsables » [1].

Officiellement, l’objectif de l’accord est de rétablir l’équilibre financier de ces caisses de retraites complémentaires Agirc et Arrco, dont les comptes sont devenus déficitaires après la crise de 2008 du fait de la dégradation de l’emploi et de la stagnation des salaires. En 2014, le déficit est de 3,1 milliards d’euros.

Mais ces caisses ont des réserves, respectivement 14,1 et 61,8 milliards d’euros (résultats 2014) et leur fonction est précisément de faire face à une conjoncture défavorable. La dramatisation des difficultés pour assurer le financement futur des retraites est un classique pour mieux faire accepter des réformes régressives.

Les négociations entre patronat et syndicats de salariés, qui se sont succédé depuis une vingtaine d’années, ont organisé une baisse continuelle du niveau relatif des pensions complémentaires servies. Ainsi en 19 ans, de 1990 à 2009, le taux de remplacement des pensions complémentaires a baissé de plus de 30 % dans chacun des régimes, une baisse encore plus sévère que dans le régime de base !

La constante de la part du Mouvement des entreprises de France (Medef) est son refus de voir sa cotisation augmenter et sa volonté de reculer l’âge de départ. Derrière ces reculs permanents se cache la volonté de favoriser le déplacement des cotisations vers l’épargne et les assurances privées. La négociation actuelle poursuit et aggrave la tendance des accords précédents.

Les efforts sont loin d’être partagés !

Les mesures prévues dans l’accord devraient dégager une économie annuelle de 6 milliards d’euros en 2020… qui pèsent quasi exclusivement sur les salarié-es et retraité-es. Le patronat a bien fini par accepter une (légère) hausse de sa cotisation, sa contribution est ainsi estimée entre 500 et 700 millions d’euros… soit autour de 10 % seulement du montant total de l’économie. De plus, le Medef s’est vanté d’avoir obtenu la garantie que l’État compensera une partie significative de cette contribution par une baisse des cotisations accident du travail et maladies professionnelles !

L’accord est un marché de dupes. Voici les six mesures :

  • 1. La sous-indexation des pensions. Cette principale mesure d’économie devrait rapporter 1,3 milliard d’euros en 2017 et 2,6 milliards en 2030. La revalorisation des pensions sera inférieure d’un point au taux de l’inflation jusqu’en 2018 inclus, sans toutefois pouvoir être négative. Cette mesure reconduit donc pour trois ans supplémentaires la sous-indexation — dite temporaire — en vigueur en 2014 et 2015 et instaurée par le précédent accord signé en mars 2013. Cela contribue déjà à la perte régulière de pouvoir d’achat des retraités actuels.
  • 2. Le report de la date de revalorisation des pensions. Celle-ci est décalée de sept mois, du 1er avril au 1er novembre.
  • Ces deux mesures cumulées — sous-indexation et report de la date — représentent une économie pour les caisses de 4,1 milliards en 2030, et donc un manque à gagner équivalent pour les retraité-es…
  • 3. La baisse du rendement des cotisations. En 2016, le prix d’achat du point sera à nouveau relevé, l’objectif étant d’en abaisser encore le rendement. Les salariés constituent des droits à la retraite complémentaire sous forme de points accumulés tout au long de leur carrière et au moment de la retraite ces points sont transformés en pension, en fonction de la valeur du point à ce moment (voir l’encadré « Pour en savoir plus »). En 1993, le rendement brut pour l’Agirc était de 10,21 % ; il est tombé à 6,56 % actuellement ; et celui de l’Arco est passé de 8,87 % à 6,56 %. L’accord prévoit une nouvelle baisse à 6 % pour les deux à l’échéance 2018. Le gain attendu pour les caisses est de 1,1 milliard en 2030. Ce qui représente encore une réduction des pensions des futurs retraités.
  • 4. Une augmentation du taux d’appel des cotisations est décidée, à partir de 2019. Ce qui rapportera 1,2 milliard en 2030.
  • 5. Une augmentation des cotisations des cadres, avec une répartition différente selon les tranches de salaire, accompagnée d’une modification du partage de la cotisation avec l’employeur. Il entérine la fusion future des régimes Agirc et Arco, moyennant une négociation future pour (re)définir un statut de l’encadrement. Il est à noter que depuis 1996, le système de compensation existant entre les deux caisses prend la forme d’un transfert financier récurrent et croissant de l’Arrco vers l’Agirc. En 2014, ce transfert s’est chiffré à 1,2 milliard d’euros. Le principe de solidarité entre caisses est juste et nécessaire. Simplement, la compensation qui en découle ici fait contribuer de manière répétée les non-cadres — statut d’ouvriers et employés — pour financer le régime des cadres, voire des hauts cadres. Elle s’avère être un dispositif antiredistributif.
  • 6. Un système d’abattement et de bonus : c’est la mesure la plus significative, même si ce n’est pas celle qui rapporte le plus. Elle aboutit à repousser d’un an l’âge où une personne peut toucher sa pension (base et complémentaire) sans aucun abattement.

Comment s’appliquera-t-elle ? À partir de 2019, une personne qui a atteint l’âge légal de départ à la retraite (62 ans) et toutes les annuités exigées pour bénéficier du taux plein se verra appliquer un abattement de 10 % sur sa pension complémentaire, et ceci pendant trois années (deux années fermes, l’application la troisième année sera éventuellement rediscutée en 2021). Pour éviter cette perte, la personne devra rester en emploi un an de plus, jusqu’à 63 ans donc. Plus généralement, à partir de 62 ans, toute personne qui arrive au moment où elle obtient toutes les annuités exigées pour le taux plein devra travailler un an de plus pour ne pas subir d’abattement sur sa pension complémentaire — lequel ne s’applique plus à partir de 67 ans.

Le principe de cette mesure est donc à la fois de reculer d’un an, de 62 à 63 ans, l’âge d’ouverture du droit à la retraite à taux plein, mais aussi d’allonger d’un an la durée de cotisation ouvrant le droit au taux plein pour la pension complémentaire !

Certes, il est prévu un abattement réduit (5 %), voire nul, pour les retraités dont la pension est assez faible pour être éligible au taux de contribution sociale généralisée (CSG) réduit ou nul. La Confédération française démocratique du travail (CFDT) se félicite de cette clause qui, dit-elle, « exonère de cette contribution un tiers des futurs retraités, les plus modestes » (l’abattement est en effet nommé « contribution de solidarité » par les partisans de l’accord).

La CFDT assure aussi que « tous les salariés partant à la retraite avec moins de 1 100 euros ne seront pas concernés par l’effort de solidarité [2] ». Il semble que pour justifier l’accord, ce syndicat s’appuie sur des données infondées. Il affirme qu’un tiers des futurs retraités seront exonérés d’abattement. Difficile de trouver la source de ce chiffre [3], que le syndicat ne donne pas.

En 2012, 31 % des personnes retraitées étaient exonérées de CSG [4]. Mais ce pourcentage concerne l’ensemble des personnes à la retraite et non le flux des nouveaux retraités, c’est-à-dire les « liquidants » de l’année. En 2004, cette même proportion était de 38 %, soit 7 points de plus. Elle décroit régulièrement au fil du temps.

Chaque année en effet, il y a un renouvellement avec de nouvelles générations qui arrivent à la retraite et qui remplacent de plus anciennes ayant de plus faibles pensions [5] (effet dit de noria). En tout état de cause donc, si la part des retraités exonérés de CSG est de 31 % pour l’ensemble des retraités actuels, on voit mal comme cette part pourrait être de 33 % pour les futurs retraités chaque année.

À moins d’anticiper de nouvelles réformes régressives…

De plus, il faut remarquer que les conditions d’attribution des taux réduit et nul de CSG sur les pensions viennent d’être modifiées en 2015. Aucune statistique n’est donc encore disponible sur la part des retraités exonérés de CSG (ou à taux réduit) avec la nouvelle règle, ni sur ces données pour le flux des nouveaux retraités de 2015. Ce qui rend hasardeuse toute projection…

Selon les nouveaux critères, liés au revenu fiscal de référence, une personne seule bénéficierait d’un taux nul de CSG — et serait donc exonérée de l’abattement — à condition d’avoir une pension inférieure ou égale à 985 euros. On est loin des affirmations de la CFDT. Une personne dont la pension est de 1 100 euros ne sera donc pas exonérée d’abattement, mais elle sera soumise à l’abattement de 5 %.

Pour un couple, le revenu global ne devrait pas dépasser 1 510 euros (par mois) pour être exonéré, ou 1 974 euros pour voir l’abattement réduit à 5 %. Mais l’application d’un critère basé sur le revenu fiscal de référence pour décider ou non de la réduction pose un problème récurrent. Le revenu fiscal de référence qui sert est en effet le même pour les deux conjoints quel que soit le niveau respectif de leur revenu. Or dans la grande majorité des couples, la femme touche un salaire ou une pension inférieure à celle du conjoint.

Ainsi, même si sa pension est éligible à un taux nul de CSG, et donc à un abattement nul, elle risque fort de se voir tout de même concernée par l’abattement. Par exemple, si une femme a une pension de 750 euros — ce qui devrait l’exclure de tout abattement potentiel — et si son conjoint a une pension de 1 250 euros, la femme sera concernée par l’abattement de 10 % sur sa pension personnelle. Il semble que ce problème n’ait pas été pris en compte. Au détriment de nombreuses femmes…

Un bonus est aussi instauré. Les personnes qui prolongeront leur activité pendant un, deux ou trois ans après avoir atteint les conditions requises — à la fois l’âge de 62 ans et la durée de cotisation — pour bénéficier du taux plein profiteront d’un bonus respectif de 10 %, 20 % ou 30 %… Toutefois, ce bonus sera appliqué pendant un an et non trois comme l’abattement.

Les chômeurs et les femmes plus pénalisés

Ce système de malus et bonus permettra, selon le patronat, d’agir sur le comportement des salariés à qui il reviendrait ainsi de décider de poursuivre ou de cesser leur activité, selon le niveau de pension souhaité. La fameuse retraite à la carte ! On mesure la tromperie de cet argument lorsqu’on sait que 56 % des personnes ne sont plus en emploi au moment où elles liquident leur retraite. Que signifie alors cette incitation à travailler plus longtemps ? Pour l’instant, dès que les chômeurs atteignent la durée de cotisation exigée (les périodes de chômage indemnisé valident une durée de cotisation), ils sont mis d’office à la retraite selon le règlement actuel de l’assurance chômage. Subiront-ils alors l’abattement ?

Comme dans les réformes du régime de base, l’augmentation de la durée de cotisation et le report de l’âge d’ouverture des droits pénalisent davantage les femmes car elles ont toujours aujourd’hui des carrières plus courtes. Leur pension moyenne en 2014 ne représente que 60,5 % de celle des hommes, pourcentage qui tombe même à 40,2 % pour la pension servie par l’Agirc. Elles liquident leur retraite plus tard que les hommes (8 mois plus tard en moyenne à l’Arrco, à 62,5 ans).

En outre, même si une femme a une pension très faible, elle ne sera pas pour autant exonérée de l’abattement, car le critère retenu renvoie en réalité au revenu du couple, comme on l’a vu plus haut.

L’accord prévu va donc à l’encontre de l’objectif d’égalité entre les femmes et les hommes, quoiqu’en disent ses partisans. Rappelons qu’une étude de la Confédération générale du travail (CGT) a montré que si l’égalité salariale entre les femmes et les hommes était réalisée, une grande part du déficit des caisses de retraite serait comblée.

Régimes complémentaires, champions de la régression ?

Le système d’abattement et de bonus devrait rapporter 800 millions à l’horizon 2030, soit relativement peu par rapport aux 6 milliards prévus. L’affrontement rude qui a eu lieu entre les syndicats et le patronat sur cette question témoigne du caractère idéologique de la mesure. Le Medef peut être satisfait, les régimes complémentaires vont constituer un point d’appui pour repasser à l’offensive sur l’âge légal de départ à la retraite. Ces régimes deviennent même à la pointe de la régression sur les retraites, puisque l’accord recule de fait à 63 ans l’âge d’ouverture des droits à la retraite à taux plein (sans passer par la loi !) et qu’il augmente d’un an la durée de cotisation, au-delà de l’augmentation instaurée par les réformes passées sur la retraite de base !

Contrairement au régime général, il n’y a pas dans les régimes complémentaires de taux de remplacement (montant de la pension reçue par rapport au dernier salaire) fixé à l’avance et les salariés n’ont aucune visibilité sur ce qu’ils toucheront. L’ajustement de l’équilibre financier des caisses se fait de manière négociée entre « partenaires sociaux », en réglant divers paramètres (taux d’appel, le rendement du point, etc.) auxquels vont désormais s’ajouter le niveau d’abattement (5 %, 10 %) et la durée pendant laquelle il sera appliqué. Tout cela est complexe, reste obscur pour la plupart des personnes et n’occupe pas en général le devant de la scène médiatique. Pourtant les enjeux sont importants.

Il faut rappeler que des solutions justes existent pour financer nos retraites. Il est possible d’augmenter les cotisations : la baisse programmée des pensions vise non pas à limiter le niveau de cotisations salariales, mais à les déplacer du système public de retraite vers la finance privée. Bien sûr les solutions passent par la réduction du chômage, l’amélioration de l’emploi, l’égalité salariale entre les femmes et les hommes, et l’organisation d’un autre partage des richesses.

Source Le Monde Diplomatique

Transmis par la_peniche


[1Les Echos, 21 octobre 2015

[2Tribune de Jean-Louis Malys, secrétaire national de la CFDT, parue sur le site de Marianne le 17 octobre.

[3La Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) déclare ne pas publier de statistiques sur les nouveaux liquidants et le taux de CSG.

[4Données de la Drees, Echantillon interrégimes (EIR) 2012 et 2004.

[5L’effet positif de ce renouvellement par des retraités ayant des pensions supérieures à celle des générations plus anciennes est à ce jour encore supérieur à l’effet négatif des réformes passées qui aboutissent à diminuer les droits à pension des salariés d’aujourd’hui. La pension brute moyenne de droit direct a ainsi augmenté de 1 029 euros en 2004 à 1 306 euros en 2013.



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