Evo, le référendum et sa réélection

jeudi 5 novembre 2015
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La décision du Congrès bolivien d’appeler à un référendum pour habiliter une nouvelle candidature d’Evo Morales en 2020 constitue le signal de départ d’une nouvelle campagne électorale au moment même où le président indigène est devenu le gouvernant qui siège depuis le plus de temps dans le fauteuil présidentiel.

Il est certain que la Bolivie fut traditionnellement connue pour son instabilité, mais il est significatif que Morales l’a emporté sur l’un des héros de la patrie. En passant neuf années, huit mois et 24 jours à la présidence, le producteur de coca a dépassé la durée que tenait jusque-là le maréchal Andrès de Santa Cruz (1829-1839). Evo Morales l’emporta en décembre 2005 avec 54% des suffrages, et ensuite fut réélu en 2009 avec 64% et en 2014 avec 62%. Ses deux tiers au Congrès lui permettent maintenant la convocation d’un référendum pour réformer la Constitution de 2009 et se présenter pour un autre mandat. Comme la majorité ne prévoit pas de demander la réélection indéfinie, la modification, si elle est approuvée, permettra deux réélections pour le président et le vice-président. Dans le cas d’Evo, on ne prend pas en compte le premier mandat, antérieur à la réforme constitutionnelle de 2009 qui « refonda le pays ».
En 2006, deux colombiens purent faire un film intitulé « Hartos (beaucoup) Evos il y a ici » [1]. Dans ce film un dirigeant paysan affirme : « quand Evo mourra, il y a ici beaucoup d’Evos… encore meilleurs ! ».
Aujourd’hui personne ne dirait une chose semblable. Dans cette décennie, le discours sur Evo comme « un paysan comme les autres » s’est transformé parlant de l’exceptionnalité du leader. De fait un tel leader « comme Tupac Katari » surgit tous les deux siècles. Et de fait Evo est indispensable pour continuer le « processus de changement ».

Dans cette décennie, Morales maintint comme co-pilote le même vice-président, le sociologue Alvaro Garcia Linera et deux de ses ministres : le chancelier aymara David Choquehuanca et le ministre de l’Economie Luis Arce Catacora, artisan du « miracle économique ».

En plus d’être le plus long, le mandat de Morales est celui qui a le plus de pouvoir, avec les deux tiers du Congrès et une base paysanne qui s’est mobilisée dans les moments critiques en défense de « son » président.

Malgré tout, le référendum présente des risques. Aujourd’hui Morales pourrait l’emporter sur n’importe quel candidat, mais une consultation de cette nature unifie toutes les critiques dans le Non, à un moment où après toutes ces années surgissent des critiques sur la constitution d’une nouvelle élite au sommet de l’Etat. Quelques cas de corruption qui affectèrent des dirigeants indigènes ont terni l’image de ces « mouvements sociaux au pouvoir ». La Bolivie est, en outre, un pays traditionnellement hostile aux réélections continuelles et se méfie de ceux qui veulent « proroger » leur mandat dans le Palais Quemado. Dans son histoire il y eut un président nationaliste assassiné et pendu à un lampadaire de la Place Murillo [2] et un autre obligé de fuir aux Etats-Unis pour sauver sa peau [3].

Evo Morales, comme figure particulièrement exceptionnelle et émergente des rébellions sociales des années 2000, a pu rompre ces limites et triompher chaque fois qu’il s’est présenté, mais là il devra se soumettre à un verdict des urnes plus compliqué.

Le 21 février 2006 le président a confié qu’il l’emporterait et gouvernerait jusqu’au Bicentenaire [4].. Peut-être prend-il la définition de la Real Académie comme un message ?
Le dictionnaire dit pour le mot Evo : « Durée de temps sans fin. Durée des choses éternelles ». De fait, le défi, au-delà de la réélection est de rénover un agenda de transformations qui paraissent suspendues après les changements « décolonisateurs » des premières années. Pour cela, Morales a promis d’avancer dans la réforme en cours de la santé, ainsi que dans un système de téléphériques (qui a déjà trois lignes) et dans un projet plus controversé d’énergie nucléaire à des fins pacifiques. En même temps, il devra faire en sorte que la chute des prix des matières premières ne se transforme pas en détérioration économique.

Pablo Stefanoni le 24/10/2015

Traduit de l’espagnol par Gérard Jugant



[1Manuel Ruiz Montealegre et Hector Ulloque Franco ; vainqueurs du prix du meilleur documentaire au Festival de Biarritz , France, 2006

[2Gualberto Villarroel, 1946

[3Gonzalo Sanchez de Lozada, 2003

[4la Bolivie est indépendante depuis 1825 grâce aux armées de Bolivar en hommage duquel la Bolivie prit son nom. En 2025 donc on célèbrera le bicentenaire de l’indépendance NDLR



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