Vous nous resservirez bien un bon coup d’émotion ! Comme vous savez faire ! Vous savez un truc qui fait chialer dans les chaumières. Un bon truc bien lourd qui arrache les larmes. Genre… Genre, un tas de macchabées dans les rues de Paris. Pas de ces bougnoules noyés dans la Seine par des flics déchaînés. Ça tout le monde s’en fout. Et puis, c’était il y a longtemps où l’état d’urgence ne faisait pas hérisser les poils de quelques socialos-humanistes et qui plus est anti-colonialistes.
Mais quelle ringardises ! Tout ça c’est fini !

Si nos p’tits gars se battent en Centrafrique, au Mali, en Irak, en Syrie et bientôt en Libye, c’est pour mettre fin au terrorisme.
Quoi ? Quarante sept exécutions en Arabie Saoudite ? Peine à jouir ! Et comment tu vas remplir le réservoir de ta bagnole ? Et puis, merde, ça fait plaisir de voir ce vieux Dassaut vendre ses rafales entre deux magouilles électorales.
Nous sommes la civilisation, bordel ! Et puis, on est des humains. On a un cœur.

Alors, ouais, quand je vois mon pays meurtri, je ne peux m’empêcher d’aller voler à son secours. Alors fièrement, je brandis les trois couleurs de la révolution française. Bien sûr qu’il y a eu des abus. On aurait pu éviter de lui couper le cou (dixit Olympe de Gouge) au vieux Louis. Bien sûr qu’il s’était cassé en loucedé pour rejoindre les troupes prussiennes. Mais de là à le raccourcir ! Ça me fait penser à Daesh. Bon mais… Ça ira, ça ira…

On est tous là, place de la République. Les larmes ne sont ni de gauche ni de droite. Y a juste certains qui reniflent de façon un peu plus vulgaire que d’autres. J’ai trop envie de me moucher dans le drapeau au tissu bien plus doux que mon vieux kleenex tout fripé. Mais bon… J’peux pas ! On est patriote, merde ! On respecte le drapeau que tous ces salauds de bougnoules viennent encore de salir ! Alors ! On la chante cette Marseillaise !

« …Qu’un sang impur abreuve nos sillons. » Mais non ! C’est pas ces salauds de Prussiens ! L’émigré on l’a raccourci et sa meuf avec ! Quoi ! C’est pas bien. Mais, enfin, c’était la révolution. Mais t’as rien compris, pauv’naze ! Le sang dans les sillons, c’était celui des jeunes officiers novices français (dixit le révisionniste Didier Daenincks). Penser à un truc xénophobe, c’est vraiment avoir du yaourt dans la tronche.

Alors, tous ensemble, tous unis, on a voté pour le Front National. On n’est pas xénophobe, mais là, l’émotion, c’était trop fort. On a voulu rétablir tous les symboles qui font de nous des vrais Français. Drapeau tricolore, Marseillaise chantée à plein poumon et bras tendus pour écraser la bête immonde…Ah non, non… Pas celle que vous croyez. Le monstre, c’est pas celui qu’a massacré mes ancêtres parce que leur religion leur avait imposé de se faire couper le bout de la quéquette… Le monstre, c’est le nouveau coupeur de quéquette, celui qui n’a pas l’étoile à six branches, mais juste celle à cinq, avec le croissant pour p’tit dèj.

Ah ! L’émotion !
Ému par les ignobles attentats,
Ému par les beaux horipeaux de notre fierté nationale,
Ému par la Marion, jeune pouffe aux cheveux jaunes ayant un œil qui dit merde à l’autre comme son grand papa (marque sans doute de la consanguinité, le grand-père ayant toujours préféré sa sœur à sa cousine et sa cousine à une étrangère).
Ému par la conversion de notre Président aux thèses de l’extrême droite.
Enfin, bref, l’émotion, ça nous mène directement au fascisme.
État d’urgence, flics et militaires à tous les coins de rue, fouilles au corps pour aller faire les soldes, arrestations arbitraires, résidences surveillées, mises sur écoutes, multiplication des caméras, manifestations interdites… De quoi tu te plains ? Le smic a augmenté de 0,6 % !

Dominique