Tambours de guerre au Venezuela

vendredi 27 mai 2016
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Depuis ses origines, le processus bolivarien a été identifié par Washington comme une tumeur dont il fallait rapidement débarrasser l’hémisphère. Pour ce faire, tous les moyens possibles ont été utilisés, sans résultat : ni le coup d’état, ni la grève du pétrole, ni le harcèlement diplomatique, politique et médiatique n’ont eu les effets escomptés.

Sur le terrain électoral, Chavez l’a largement emporté, résistant de pied ferme face aux coups portés à son égard et avec l’appui enthousiaste de son peuple.

La Maison Blanche a amplifié ses agressions une fois que le lent mais implacable et progressif assassinat de Chavez a été déclenché. Après sa mort, l’offensive est devenue encore plus brutale.

Sans aucune retenue, des bandes mercenaires uribistes [1]ont pénétré tout le pays pour y semer violence et mort, tout comme le font aujourd’hui les « mareros » qui sévissent chaque jour au Salvador (oui, quotidiennement comme m’en a informé une source officielle de haut niveau salvadorienne), libérés des prisons nord-américaines par Obama pour les envoyer, avec tous leurs papiers en règle, dans ce pays martyr d’Amérique Centrale afin d’y semer chaos et destruction.

Les efforts entrepris en vue de « fortifier la société civile » se sont intensifiés à coups de millions de dollars pour fabriquer ou engager des hommes politiques d’opérette (Capriles, Lopez, Ledesma, etc.), des journalistes aveugles face aux ravages de la corruption et des intellectuels déçus parce que le « peuple » qu’ils aspirent à libérer n’est pas blanc comme les ouvriers polonais de Lech Walesa, mais composé de métis et de noirs comme Chavez, ce qui est pour eux une offense insupportable.

Faute de résultats politique dans le cadre électoral, l’argent afflue copieusement à Caracas, partant de Wahington via l’USAID ou le NED, s’envole à Madrid d’où la crapule lèche-bottes de Georges W. Bush, José M. Aznar, le redistribue à ses acolytes d’Amérique Latine avec la bénédiction de ce colossal monument au narcissisme nommé Mario Vargas Llosa.

Tout cela en vain : tel un Cid des tropiques immortel, Chavez a continué de gagner les élections même après son trépas.

De justesse peut-être, mais elles furent gagnées par Nicolas Maduro aux présidentielles d’avril 2013 puis, en guise de raclée, aux municipales de décembre de la même année.

Suite à l’échec de toutes ces tentatives, une guerre économique plus perfectionnée encore que le plan criminel perpétré contre le Chili de Allende s’est déchaîné avec furie sur la révolution bolivarienne. Désapprovisionnement programmé, accaparement d’articles de première nécessité, manque et cherté, féroce dévaluation de la monnaie, contrebande à grande échelle, terrorisme médiatique sans frein ni mesure, assassinats sélectifs et, début 2014, plan de sédition concrétisé sous forme des sinistres « guarimbas » (barricades de rues) avec pour solde 43 morts, pour la plupart parmi les forces de sécurité du gouvernement et des sympathisants chavistes, sans compter les dommages matériels (destruction de véhicules, d’installations gouvernementales, d’écoles, d’universités et d’hôpitaux... pour un coût de plusieurs centaines de millions de dollars).

Les responsables de ces faits, mis en prison, se plaignent d’être des « prisonniers politiques » alors que leurs actes relèvent du délit de sédition que tout autre pays au monde aurait sanctionné par la prison à vie. Sous la « dictature bolivarienne » par contre, la justice a fait preuve d’une étonnante indulgence en n’infligeant qu’une peine d’un peu plus de 13 ans à l’instigateur des crimes. En Espagne ou en Argentine, il aurait écopé de prison à vie et aux Etats Unis de la peine de mort. Mais la « dictature chaviste » est ainsi...

Suite à l’échec de toutes ces conspirations, l’Empire a intensifié sa guerre économique : avec la complicité de ses infâmes créatures de l’Etat Islamique, il fit chuter les prix du pétrole d’un peu plus de 100 dollars le baril à un peu moins de 30.

Non content de cela, le président Barack Obama a émit un ordre exécutif qui, s’il n’était pas criminel de par ses conséquences, serait la risée du monde entier : « le Vénézuela est une menace inhabituelle et extraordinaire pour la sécurité nationale et la politique extérieure des Etats Unis ». Ce fut le signal d’alarme pour les chiens de garde de l’Empire qui se sont lancés avec férocité sur la Révolution.

Depuis, la vie quotidienne est devenue plus compliquée encore, jusqu’à devenir un calvaire irritant. D’où la majorité des 2/3 obtenue par l’opposition lors des élections de l’Assemblée Nationale du 6 décembre dernier, due au découragement de plus de 2 millions de chavistes qui n’ont pas donné leur voix à la droite mais s’abstinrent de participer au scrutin.

La nouvelle Assemblée de droite a approuvé une loi d’amnistie dans le but de libérer tous les condamnés pour les crimes commis lors de l’épisode séditieux de début 2014. Le Tribunal Suprême a jugé la loi anticonstitutionnelle et le Président Maduro a déclaré qu’il ne promulguerait jamais une monstruosité pareille qui ouvrirait grand la porte à la violence et à l’impunité au Venezuela.

La situation se rapproche d’un match nul catastrophique entre les forces en présence, mais le peuple est sans conteste du côté du chavisme, malgré ses problèmes et ses hésitations, et sait avec un instinct sûr que la droite avance avec un couteau entre les dents, décidée à lui infliger une leçon exemplaire.

Les leçons didactiques du macrisme [2] en Argentine ont persuadé ceux qui doutaient encore que cela puisse arriver qu’un retour de la réaction aurait des conséquences terribles.

Au vu de ce qui précède, il n’est pas surprenant qu’une intensification de l’offensive visant à la destitution du président se soit produite ces derniers jours. Le Washington Post a publié un éditorial effrontément golpiste le 12 avril dernier, affirmant que « le Venezuela a désespérément besoin d’une intervention politique de ses voisins qui disposent à cet effet d’un mécanisme approprié dans la Charte Démocratique Interaméricaine de a O.E.A.(Organisation des Etats d’Amérique), par un traité qui envisage leur action collective lorsqu’un régime viole les normes constitutionnelles ».

Ce journal, habituellement considéré par les néo-libéraux comme le paradigme de la « presse impartiale et indépendante », se plaint de ce que les pays de la région n’assument pas leurs responsabilités visant à préserver la démocratie au Venezuela alors que dans l’état actuel des choses « une explosion ne tardera probablement pas à se produire bientôt ».

Primo, le WP ne fait que refléter ce qu’a prévu un document du Us Southern Command [3], nommé « Operation Venezuela Freedom ». Secondo, ce document a été paraphé et signé le 25 février de cette année par son actuel chef, l’amiral Kurt Tidd.

Il y est affirmé que « même si l’opposition arbore une voie pacifique, légale et électorale (pour provoquer la destitution de Maduro), elle a acquis la conviction grandissante qu’une pression sous forme de mobilisations de rue est devenue nécessaire afin d’immobiliser et de paralyser d’importants contingents militaires chargés de maintenir l’ordre interne du pays et la sécurité du gouvernement, situation qui deviendra insoutenable dans la mesure où de multiples conflits et pressions de tous genre éclateront.

Il est évident, au travers de ce document, que la droite n’a jamais cru aux règles du jeu démocratique.

Lorsqu’elle les accepte, c’est par opportunité et non par conviction.

Elle est prête à les abandonner si les circonstances recommandent de suivre la voie de la restauration violente. Au Venezuela comme partout ailleurs, il est fondamental de ne pas se tromper sur ce point. Tout le tapage mené par l’opposition autour du référendum révocatoire n’est qu’un cache-sexe : ce qu’elle veut, c’est la « sortie » de Maduro par la violence.

Avril semble être le mois des définitions de la politique vénézuélienne. « Avril c’est le moment de tous les possibles... » a dit le président Nicolas Maduro lors d’une réunion avec les participants aux Rencontres des Intellectuels, Artistes et Mouvements sociaux qui a eu lieu la semaine dernière.

Le 11 avril 2002 se produisit le coup d’état contre Chavez,et le 13, le peuple l’a réinstallé au Palais présidentiel. Ce n’est pas par hasard que le WP attaque ces jours-ci justement, ni que l’une des organisations séditieuses qui dévasta le pays dans le passé, « Volonté Populaire » a appelé à une marche pour le 19 avril prochain afin d’exiger la « sortie » du président Maduro.

Et ce n’est pas par hasard non plus que le Secrétaire Général de l’O.E.A., Luis « Judas » Almagro déclara il y a quelques jours dans une entrevue au journal espagnol El Pais « qu’il est inadmissible de conserver une attitude de neutralité face au Vénézuela alors qu’il s’y trouve des prisonniers politiques et que la démocratie n’y fonctionne pas ».

Almagro a clairement reçu l’ordre de ses supérieurs de ne fustiger que le Venezuela et d’oublier les massacres commis au Honduras (Berta Caceres), au Mexique (Ayotzinapa), en Colombie (130 militants de Marche Patriotique assassinés l’an dernier) et au Paraguay (Curujaty), pour ne mentionner que les cas les plus emblématiques.

L’O.E.A. confirme ainsi sa position de Ministère des Colonies des Etats-Unis, comme Fidel et le Che l’ont opportunément définie.

Atilio A. Boron le 23/05/2016

Transmis par Linsay



Atilio A. Boron
politologue et sociologue argentin, docteur es sciences politiques de l’Université de Harvard.
Traduction : F.B. pour Viva Venezuela


[1Uribistes : proches du politicien et ancien président colombien Alvaro Uribe, dénoncé pour ses accointances avec le paramilitarisme colombien très actif dans la zone frontalière avec le Venezuela.

[2Macrisme : de l’actuel président néolibéral argentin Mauricio Macri.



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