Les invasions barbares

jeudi 23 juin 2016
par  Charles Hoareau
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La rue St Ferréol est à Marseille une rue piétonne, à deux pas du Vieux Port, vouée depuis quelques années, par les municipalités qui se suivent et se ressemblent, au commerce de luxe. Dans la réalité la rue se transforme de plus en plus en artère, déserte et inhospitalière le soir, que des commerces souvent vieillissants aux façades décrépites ont du mal à animer dans la journée. Dans cette rue, que nos édiles voudraient exclusivement bourgeoise mais où subsistent des poches de pauvreté cachées dans des appartements en hauteur et souvent guère confortables, se trouve, au dernier étage d’un des immeubles, le siège de l’union locale CGT Marseille centre.

Le mardi 21 juin, les syndicalistes présents à l’UL ont tout d’un coup été alertés par des slogans émanant d’une manif qui passait sous les fenêtres ce qui n’est pas du tout habituel. En effet cette rue, de par sa « vocation » est habituellement interdite à toute manifestation. Les seuls piétons tolérés sont les acheteurs potentiels de vêtements produits quelque part dans le monde, souvent dans des conditions sordides, et revendus ici cent à cent cinquante fois le prix pour lequel des ouvrières (car le plus souvent ce sont des femmes) ont été payées pour les confectionner.
Une manif ici ? Cela attire tout le monde à la fenêtre : quelle est cette boite en lutte qui défile dans la rue interdite en lançant quelque chose qui ressemble au « tous ensemble » emblème de nos défilés ?

On est vite renseignés : en bas une foule d’hommes en costume (en fait la presse et les marchands appellent cela des tenues de supporteurs) jaune et bleu défile en criant des slogans en ukrainien dont on se doute qu’ils n’ont pas grand-chose à voir avec un quelconque soutien à nos manifestations actuelles contre la régression sociale que le gouvernement actuel veut nous imposer. Si d’ailleurs nous avions eu le moindre doute à ce sujet les tatouages que portent nombre d’entre eux : croix gammées ou autres nous auraient convaincus du contraire. Le fascisme et ses ressorts ne nécessitent pas la connaissance des langues étrangères, juste celle de l’histoire.

Quelqu’un nous explique qu’ils viennent du Vieux Port où il y a eu selon les termes officiels quelques « incidents » qui seraient qualifiés, s’ils s’étaient produits en marge d’une manifestation sociale, d’actes de « casseurs » qui « ont tout dévasté » ou, dans un autre cas plus général « de bagarres de rues entre gens avinés qui s’en sont pris au mobilier urbain et à celui des terrasses de café ».

Le lendemain, sans que la presse ne s’émeuve outre mesure et en tous cas pas celle, nationale, qui nous a passé en boucle des images des « incidents » parisiens du 14 juin où en d’autres temps de ceux de la « jungle » (le joli mot) de Calais, le lendemain donc nombre de rues et de places aux alentours du Vieux Port et du stade étaient jonchées de bouteilles cassées, de détritus de toutes sortes et de chaises démantibulées : ce doit être cela une « grande fête sportive » comme on nous le dit partout…Encore ne nous plaignons pas c’est moins pire que lors du combat de rues entre russes et anglais d’il y a quelques jours.
Et puis il faut bien que le commerce vive et voir dès le matin, les terrasses des cafés remplies de gens vêtus de couleurs vives attablées joyeusement autour de pichets de bière à répétition c’est mieux que de les deviner cachés dans des musées ou en train de piétiner les pelouses de nos calanques protégées….Au moins, en guise de visite de la ville, tous ces gens-là auront pu apprécier sa bière, voire même son pastis, ses cafés et son temple (euh pardon) son stade….

Il fut un temps où le football, celui que l’on aimait, faisait presque immanquablement penser à des enfants jouant pieds nus sur une plage du Brésil. Aujourd’hui, depuis que le « premier coiffeur a mis les pieds dans un vestiaire » [1] le football n’a cessé, comme d’autres sports ou activités humaines, de voir s’accentuer l’emprise de l’argent sur ses règles.

Devenu une source de revenus de premier plan le football, du moins ce qu’il en reste, retrouve aussi les vertus du pain et des jeux du cirque du temps des romains.

Manuel Valls disait peu après son arrivée à Matignon toute l’admiration qu’il avait pour Clémenceau son modèle. Cela semblait bien vu. Clémenceau, un de ceux à qui l’on doit la plus grande boucherie de l’histoire a une autre similitude avec son fils spirituel.
La CGT il la voulait partie prenante de l’union sacrée et non révolutionnaire (je ne sais pas si à l’époque on disait terroristes pour les cgtistes) et c’est d’ailleurs pour cela qu’il fit embastiller son secrétaire général Victor Griffuelhes permettant ainsi aux réformistes "sérieux et responsables" (rien à voir avec l’actuel « patron » de la CGT que la presse appelle « stalinien », « rouge vif »,... ) de prendre le pouvoir au congrès de Marseille de 1908.
Réformistes tellement responsables que, pendant que la base faisait grève pour la paix, ils allaient engager la direction de la CGT dans le soutien à la guerre et même déléguer quatre d’entre eux pour devenir ministres du gouvernement d’union nationale. Cela semblait bien vu ce parallèle entre Clémenceau surnommé le tigre (encore un symbole de douceur) et notre ministre énergique. Mais depuis ce mois de juin il y a mieux.

- Quand un gouvernement, premier ministre en tête, au bas peuple qui réclame que le droit social ne soit pas remis en cause, mais au contraire amélioré, lui tient un discours du style « allez-voir les gladiateurs et cessez de maugréer sur le prix du pain »,
- quand un premier ministre après avoir marché sur la tête du parlement, exhorte la plèbe à cesser ses grèves et menace même d’interdire ses défilés au nom d’une violence qui est pourtant étrangère aux cortèges et qu’il ne combat guère ailleurs parce qu’il ne faut pas interrompre les jeux,
- quand un gouvernement ne fait rien pour empêcher que des hommes et des femmes qui fuient la guerre et la misère ne périssent noyés mais laisse des hordes barbares envahir nos villes au nom des sacro-saints jeux et de l’argent que cela va rapporter,
c’est incontestablement à un autre « grand » homme qu’il fait penser.

Quand un gouvernement tourne le dos à ses promesses qui lui ont permis d’être élu par un peuple qui a voulu y croire ou n’avait guère d’autre choix, il fait indubitablement penser à ce gouvernement et à son chef dont les historiens nous apprennent qu’« après un début de règne prometteur, où il est en grande faveur auprès du peuple, il devient peu à peu un dirigeant autocratique, délaissant et assassinant ceux qui avaient soutenu son ascension, tout en nourrissant une grande haine pour le Sénat. » [2]

Caligula.
« Du pain et des jeux et le peuple sera content, il suivra aveuglément les lois des seigneurs dieux »


[1mot de Di Stéfano, joueur hispano-argentin dans les années 60 qui avait voulu dénoncer ainsi le football business

[2wikipedia



Commentaires

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samedi 25 juin 2016 à 09h18 - par  Chantal

Je me suis trouvée moi aussi confrontée à ces hordes de supporters barbares qui vous glace le sang et fait penser à un défilé de soldats nazis
j’ai moi aussi été interpellée par l attitude de la police qui restait assez distante malgré la violence des bagarres de supporteurs
E partage aussi l idée que les supporters violents barbares et alcoolisés mais bons consommateurs font moins peur que ces hommes et ces femmes que nous sommes qui luttons pour défendre nos droits de travailleurs et de citoyens en toute légalité et dans le calme....
Il est vraiment temps que quelque chose change dans ce monde à l envers

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jeudi 23 juin 2016 à 22h25 - par  Vincent D

Sans être fan des bleus, casqués et matraquant,

Quand on voit le dispositif policier plus qu’évasif mis en place sur le vieux port lors de la beuverie annoncée du mardi 11 juin, ou « incidents » selon le point de vue de classe ; et celui mis en place le 14 juin à Paris, où un camion avec lance était judicieusement placé à l’Hopital Necker, où les manifestants ont étaient bloqué 1 heure...
Quand on sait que les arrestations avant les manifs sont monnaie courantes depuis plusieurs mois pour un certains nombre de militants, ce qui d’ailleurs en dit long sur le fichage de notre société, et que les fachos tatoués sont libres comme l’air pour l’euro.
Cela en dit long sur le deux poids deux mesures entre le monde du fric qui croqué celui du foot, et le poids qu’ils font subir à celles et ceux dont les têtes dépassent pour entrevoir le progrès social.

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