Syndicalisme international : où en est on (I) ?

mercredi 25 octobre 2006
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Il y a actuellement dans le monde 3 grandes centrales internationales :
- la CISL (Confédération Internationale des Syndicats Libres 120 millions d’affiliés),
- la FSM (Fédération Syndicale Mondiale 60 millions d’affiliés),
- la CMT (Confédération Mondiale des Travailleurs 35 millions d’affiliés)

Dans une période où 50% des confédérations nationales et 80% des salarié-e-s du monde n’ont pas d’affiliation internationale, 2 centrales, la CISL et la CMT, ont décidé de tenir en novembre 2006 à Vienne le congrès fondateur de la CSI (Confédération Syndicale Internationale) à laquelle la CGT vient de décider d’adhérer (les autres confédérations françaises en étant automatiquement membres).

Est ce une bonne nouvelle pour l’unité du syndicalisme international et son efficacité alors que pour l’instant seules 8 confédérations supplémentaires ont fait connaître leur volonté de s’affilier ? Ou bien au contraire les conditions de la création et les statuts même de la CSI risquent d’aboutir à bien plus de désaffiliations ultérieures et donc de division ?
La série d’articles à venir sur ce sujet essaie de donner des éléments de réponse à ces questions.

Sur le même sujet on lira utilement les propos de Jean Pierre Page (ex responsable international de la CGT) dans une interview pour Rouge Midi suite au congrès de la FSM à La Havane.

- 1re partie ; le sommet du millénaire et ses répercussions sur le syndicalisme international, le consensus de La Havane, la position des syndicats asiatiques.

- 2e partie : la position des syndicats d’Afrique, d’Océanie, d’Amérique.

- 3e partie : La position des syndicats d’Europe, les forces syndicales en présence et leur évolution. le « poids » de la CGT,

- 4e partie : les statuts et les orientations de la CSI.

I) Le Sommet du Millénaire

On ne comprend pas la création de la CSI si on ne part pas du sommet du millénaire, réunion des nations unies qui s’est tenue en septembre 2000 et dont l’objectif était de déboucher sur une réforme de l’organisation inspirée par les USA. Cette réforme était en oeuvre pour partie déjà depuis quelques années et en particulier depuis la réforme du centre des droits de l’homme en 1996/97 .

Il est intéressant de noter que c’est Price Water House, la plus grande multinationale en matière d’audit et de restructuration d’entreprise au monde, US bien entendu qui en a été chargée. Pour la petite histoire l’ancien PDG de PWH est devenu responsable des ressources humaines de l’ONU... C’est à ce sommet qu’a été mis en avant la notion de droit d’ingérence.

C’est au nom de la protection des populations vis-à-vis de leurs dirigeants, que sont dorénavant légitimées les interventions militaires et guerres préventives auxquelles nous assistons et celles qui se préparent. On a amusé la galerie avec la réforme du conseil de sécurité et son élargissement, cela permettait de négocier certains ralliements à la réforme en échange d’un strapontin au conseil de sécurité.

I-a Un projet mondial

Kofi Anan a présenté un long rapport très critiqué par plusieurs pays du monde. Pour l’essentiel ce rapport avance quelques grandes idées :

- L’abandon du multilatéralisme au bénéfice de l’unilatéralisme. Avec cette réforme on passe de la reconnaissance du droit des peuples à disposer d’eux mêmes, du respect de leur souveraineté à l’instauration du droit d’ingérence. L’intervention US en Irak est légitimée alors que jusqu’à présent elle était en contravention avec la Charte et le fonctionnement des Nations Unies. On imagine sans peine demain les USA faire pression sur l’ONU au nom de ce principe pour intervenir au Venezuela, à Cuba ou en Bolivie afin « de libérer les peuples ! ».

Ce droit d’ingérence s’accompagne d’un nouvel outil, la commission des droits de l’homme, qui, en se substituant à la précédente commission où les pays du 1/3 monde étaient majoritaires, était censée écarter certains pays gênants : Cuba, Iran, Corée du Nord, etc.....tout en laissant les pleins pouvoirs aux pays riches. L’histoire ne s’est pas tout a fait déroulée comme prévu puisque la réforme a été modifiée par rapport aux objectifs initiaux des USA, mais de plus elle n’a pu empêcher un pays comme Cuba d’être brillamment élu par l’assemblée générale. Et du coup les américains piteux n’ont pas osé présenter leur candidature à cette nouvelle commission permanente.

- L’effacement progressif du rôle des états au bénéfice de la société civile représentée en particulier par les ONG qui en réalité sont les instruments politiques de l’intervention des états les plus riches et souvent les couvertures de leur officine de renseignements. Ainsi on a pu le constater dans certains pays comme le Sri Lanka où une récente étude vient de révéler que 80% des sommes collectées pour les victimes du TSUNAMI ont été utilisés pour le fonctionnement des ONG et de leurs personnels, 20% seulement ont été utilisés pour la solidarité matérielle concrète....La réforme qui est loin d’être en place - il y a quand même des résistances - doit évidemment s’accompagner d’une même réforme au niveau des agences de l’ONU tout comme pour l’ensemble du système ONUSIEN, d’où les transformations en cours au sein de l’OIT avec la complicité de la CISL, de la CMT et de la CES.

Cette réforme vise à débarrasser le fonctionnement de l’OIT des normes et conventions considérées comme obsolètes, en faveur d’une conception associant étroitement dans l’élaboration et la mise en œuvre, un syndicalisme qui, sur le modèle social européen qui devient la référence (au nom de quoi ?) sera en quelque sorte, totalement partenaire et membre à part entière des institutions.

- La gouvernance démocratique mondiale. Pour mettre en œuvre ce grand chantier dont la gouvernance mondiale est la nouvelle philosophie, philosophie qui se substituerait à la souveraineté des états, l’indépendance et le droit à l’autodétermination des peuples il faut pour la partie sociale qui est à la charge de l’OIT, un syndicalisme adapté à ces nouvelles exigences et qui, sur le modèle européen dont il entend s’inspirer, deviendra un rouage de cette belle mécanique. Dans un contexte où l’immense majorité des travailleurs du monde est sans affiliation internationale il fallait faire quelque chose. Ce quelque chose est à rapprocher des propos tenus pour la France par Ségolène Royal sur le syndicalisme obligatoire...

Tout cela a été décrit et approuvé par la session du BIT à travers un rapport sur les conséquences sociales de la mondialisation, bien sûr pas sur les causes, et donc élaboré par une commission réunissant des experts :, des syndicalistes (CISL et CMT), des patrons des grandes sociétés multinationales, des universitaires, des économistes, des membres des gouvernements et....des ONG...
Si le constat est assez critique les solutions on s’en doute vont dans le sens de l’adaptation du marché du travail, du respect des règles du marché, des privatisations, etc...

I-b Une organisation syndicale mondiale au service du projet

Ce quelque chose à créer était une organisation internationale qui se prononce dès ses statuts - afin de bien marquer le socle de son fondement - pour la gouvernance démocratique mondiale et pour le soutien indéfectible à l’ONU réorganisé.

Cette question des statuts est d’ailleurs particulièrement importante eu égard aux conséquences que ceux ci ne manqueront pas d’avoir sur l’unité syndicale à l’intérieur des continents. On en arrive à se poser la question si finalement cela serait faire preuve d’innocence que de ne pas situer cette proposition de nouvelle centrale , cette « Global Union » en relation avec les objectifs du capital, la crise, la récession qui pointe, la guerre économique et même la guerre tout court.

On sait que le patronat qu’il soit français, européen ou international partage au moins une même vision : le code du travail, les réglementations sociales sont autant de carcans qui freinent la compétitivité. Il faut donner la liberté d’agir aux entreprises en se débarrassant de tout ce qui peut l’entraver. Ainsi au plan international, les négociations au sein de l’OMC constituent un des lieux privilégiés de cette offensive. Qu’en disent et que feront les syndicats à l’initiative de ce projet ? Que proposeront-ils comme projet de lutte ?

Pour les initiateurs de cette nouvelle centrale c’est là un sujet sur lequel ils restent étrangement muets ! Ces silences et un certain nombre de questions font que la proposition de nouvelle centrale syndicale ne soulève pas l’enthousiasme parmi les non affiliés, mais aussi dans les rangs de ces deux confédérations...

Ainsi par exemple les positions CONTRE de plusieurs grandes structures syndicales professionnelles de la CISL comme la Métallurgie (la plus importante), ou l’alimentation, le commerce, etc....

Pour en finir sur ce sujet on peut trouver des documents instructifs sur la scission de l’AFL-CIO et la participation du « Change to Win », au congrès de la FSM. Le Change to Win regroupe les principales fédérations de l’AFL CIO qui viennent de se séparer de la Confédération pour constituer une nouvelle coalition syndicale. Séparation, faut-il le rappeler qui a pour origine des différences de conception sur l’indépendance vis à vis du politique et sur le syndicalisme de lutte. Cette séparation va d’ores et déjà changer la donne à l’intérieur de l’AFL-CIO, puisque celle-ci va perdre une grosse part de ses financements et de sa capacité de peser, surtout si, comme cela semble se dessiner le Change to Win continue à travailler avec les autres syndicats du monde (FSM et autres) et refuse d’adhérer à la CSI.

II) Le consensus de La Havane

C’est dans ce contexte que s’est tenu en décembre 2005 le dernier congrès de la FSM dont le nom exact est conseil syndical mondial ce qui n’est pas qu’une question de mots. En effet la FSM par principe n’a jamais considéré la division syndicale comme définitive. A titre d’exemple tous les participants affiliés ou non votent. Autre exemple les syndicats chinois ont toujours leur siège réservé dans le conseil présidentiel de la FSM même s’ils ne sont plus affiliés...De plus la FSM admet la double affiliation : ainsi il y a des branches dont les confédés sont a la CISL et qui sont, elles, affiliées à la FSM . Il y a même des fédérations comme celle des services publics de la COSATU d’Afrique du sud qui sont affiliées aux deux branches internationales FSM et CISL..

Outre le fait que ce congrès a réaffirmé la nécessité d’un syndicalisme de lutte, d’un combat contre l’impérialisme et pour la paix, de la rénovation et de l’unité du syndicalisme mondial, il a adopté un texte appelé consensus de La Havane appelant à l’unité. Ce texte que l’on peut se procurer dans les actes du congrès et qui - fait assez rare pour être souligné - a été adopté à l’unanimité des présents (230 confédérations), affiliés ou non à la FSM est un démenti cinglant aux propos faisant état d’un soi disant refus de la FSM de s’associer au processus de construction de la nouvelle centrale internationale.

Que dit ce texte ? Rien de moins qu’il faut que la FSM soit associée au processus de construction d’une nouvelle internationale ce que la CISL refuse et pour cause quand on lit ce qui précède.

Devant le refus réitéré de la CISL et de la CMT de travailler à l’union et leur volonté d’avancer seules vers la création de la CSI, mais aussi leur volonté d’écarter de grandes centrales quelle est la position des syndicats dans le monde ?

III) La position de quelques syndicats asiatiques

III-a Le CITU (Inde)

Le CITU, dont le prochain congrès se tient en janvier 2007, est une des plus grandes et plus combatives organisations syndicales du pays, associé comme la CGT au processus de discussion sur la nouvelle centrale syndicale internationale.

Le moins que l’on puisse dire c’est que le CITU à qui on a même proposé un poste de vice présidence de la CSI n’est pas très enthousiaste ! Il ne participera pas au congrès de Vienne car la CISL n’a répondu à aucune des 7 positions de principe qui, selon le CITU, devraient être les fondements de la construction d’une organisation internationale :

- 1-L’unité du mouvement syndical international doit se réaliser par delà les différences idéologiques et en ne retenant que les problèmes communs auxquels font face les travailleurs,
- 2- Le syndicalisme doit lutter pour mettre un terme à toutes les formes d’exploitation,
- 3- Le syndicalisme doit s’opposer à toutes les formes d’agression contre quelque pays que ce soit , sanctions et blocus et la présence de bases militaires,
- 4-Le syndicalisme doit s’opposer résolument au néo colonialisme et soutenir les mouvements de libération nationale,
- 5-Le syndicalisme doit combattre la mondialisation néo libérale imposée par les pays riches avec la complicité du FMI, de la BM et de l’OMC,
- 6-Le syndicalisme doit exiger le démantèlement de tous les arsenaux nucléaires,
- 7-Le dialogue doit s’engager avec la FSM et la Fédération Chinoise pour contribuer à l’unité du syndicalisme international.

Cette position est d’ailleurs largement partagée dans le monde.

III-b Le Zenroren (Japon)

Le congrès du Zenroren (deuxième syndicat japonais) où participaient seulement 3 centrales la KCTU de Corée du Sud, le CITU, la CGT vient d’avoir lieu. Le Zenroren n’a pas pris de décision , il participera à Vienne comme observateur , en même temps il partage les remarques et réflexions du CITU. Ils ne prendront pas de décision avant un certain temps , bien après Vienne dans tous les cas. Ils vont avoir des discussions avec les syndicats Chinois dont par ailleurs une importante délégation est attendue en Inde pour discuter avec le CITU, et aussi avec les Vietnamiens (FSM) et avec la FSM. A noter que le Rengo affilié influent de la CISL et syndicat japonais des plus conservateurs ne veut pas entendre parler d’une adhésion du Zenroren. A noter aussi que pendant ce congrès le représentant de la CGT a multiplié les interventions en faveur de l’adhésion à la nouvelle centrale, alors que la CGT n’avait pas encore pris sa décision et cela a beaucoup choqué...

III-c La fédération chinoise

Il y a à l’encontre de cette fédération un ostracisme justifié récemment encore par Guy Juquel (responsable CGT au secteur international) avec des arguments qui, s’ils étaient appliqués à d’autres, justifieraient le retrait de la CGT de tout rassemblement international. La situation en Chine n’est plus celle des années 80 et l’indépendance vis à vis du pouvoir tend à s’affirmer. Est- ce en refusant de parler avec eux qu’on fera avancer les problèmes ? L’affaire SEB de cet été et les délocalisations à venir illustrent parfaitement cette nécessité d’un dialogue s’appuyant sur la réponse aux besoins des travailleurs. Il faut noter à ce sujet leur exclusion du fait de la CISL du conseil d’administration du BIT cette année et la volonté de les tenir systématiquement à l’écart de ses instances. Cette démarche n’est pas guidée par l’intérêt des salariés mais par un souci s’inscrivant dans la stratégie déjà évoquée de préserver l’hégémonie d’une organisation qui truste l’ensemble des responsabilités au sein du BIT avec la complicité des sociétés transnationales et des gouvernements des pays riches.

Par ailleurs les chinois sont les initiateurs d’un forum syndical international qui se tiendra en 2007 avec la FSM, l’OUSA ( Organisation de l’Unité Syndicale Africaine, l’équivalent - en mieux - de la CES pour l’Afrique ), la CISA (Confédération Internationale des Syndicats Arabes)...

III-d Les syndicats népalais

Ils ont eux aussi été sollicités par la CISL. Il a même été proposé à l’un d’entre eux, le GEFONT, une « aide financière en plus »....On ne sait pas comment il va réagir, par contre il est intéressant de noter la création de nouveaux syndicats qui se constituent dans le processus de bouleversement révolutionnaire que connaît le pays. Ainsi le All Nepal federation of trade union

III-e Le CMU (Sri lanka)

Ce syndicat, un des principaux du pays et l’un des rares d’Asie dont plusieurs branches sont affiliées à la CISL a indiqué à Colombo par la voix de son secrétaire général Bala Tampo son désaccord. Non seulement son désaccord sur la nouvelle centrale et d’une façon générale sur la CISL.



Commentaires

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mardi 7 novembre 2006 à 15h54 - par  dominique
jeudi 26 octobre 2006 à 21h13

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