Frères et sœurs

samedi 8 octobre 2016
par  Charles Hoareau
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Du 5 au 8 octobre, se tient à Durban le 17e congrès de la Fédération syndicale mondiale. La FSM, forte de 95 millions d’affiliés répartis dans 126 pays est en plein renouveau depuis le congrès de La Havane en 2005. Nous vous en parlons jour par jour.

Celui qui n’a jamais participé à une réunion internationale sera sans doute surpris de la force des relations qui unit participantes et participants habitués de ces rencontres. A l’arrivée, quand ils se retrouvent, leur joie est si grande qu’ils ne se serrent pas la main, mais s’embrassent au sens premier du terme, en se donnant force de tapes mutuelles dans le dos. Sans doute en partie parce que la distance et le temps qui les séparent donnent à chaque retrouvaille une dimension exceptionnelle à l’évènement.

Et quand les intervenants s’adressent aux assemblées, si les latinos emploient souvent évidemment leur célèbre compaňero, l’expression qui revient le plus souvent, dans la bouche de presque tous et toutes, que ce soit en assemblée plénière ou dans les conversations à la pause, y compris chez les européens pourtant plus habitués d’ordinaire au mot camarade, c’est celle de frères et sœurs. Et il est vrai qu’il flotte sur ce congrès un souffle puissant de fraternité.

Pas une fraternité éthérée, naïve ou sans prise avec la réalité, mais une fraternité solide et forte forgée dans les combats communs, dans les victoires comme dans les défaites, dans les doutes comme dans les espoirs partagés. Frères et sœurs prend ici un nouveau sens.
Pas celui trop souvent galvaudé aux alentours de nombre d’instances religieuses.

En fait quand ces mots sont prononcés, ils sont lourds de sens pour celles et ceux qui les entendent. Pour toutes et tous ils signifient : « frères et sœurs des quatre coins du monde qui partagez avec moi et les miens tant de choses et que l’on vient toutes et tous mettre en commun ici malgré la distance et le temps, malgré les difficultés de toutes sortes, malgré la fatigue et la dureté du combat, je suis heureux de vous retrouver. C’est une chance, un honneur, une joie, une fierté. »

Frères et sœurs de combat bien sûr…

En ce deuxième jour les débats s’ouvrent sur le rapport financier. Le budget de la FSM est un petit budget : à peine 300 000 dollars pour plus de 90 millions d’affiliés c’est peu. Il faut tourner avec ça, la FSM le fait. Rien qu’en subventions de l’union européenne, la CSI a davantage ! « Nous n’avons pas de subventions et nous n’en voudrons pas » disait hier Mavrikos « nous voulons être indépendants et nos seules ressources sont les cotisations et les dons des syndicats ». Ce matin devant le rapport financier la phrase prend tout son sens et les délégué-e-s présents relèvent le défi.

Les interventions reprennent l’Espagne, Cuba.

Ici aussi, tout comme la Palestine, Cuba est souvent présent dans les interventions. Celles et ceux qui combattent le capitalisme et l’impérialisme savent, et pas seulement en Amérique latine, ce qu’ils doivent à Cuba. La FSM sait aussi ce qu’elle doit à la CTC, Centrale des travailleurs cubains et au conseil mondial du renouveau syndical de 2005 à La Havane [1].

L’orateur de la CTC est écouté avec attention. « Nous ne reconnaissons pas le gouvernement illégal du Brésil…nous sommes solidaires du peuple de Palestine, du peuple du Venezuela...la révolution cubaine est toujours à l’ordre du jour….nous remercions la FSM pour son engagement dans la bataille pour la libération des 5 cubains  [2]. Il finit et pour une fois les brésiliens prennent de vitesse la COSATU en lançant leur slogan que la salle reprend avec force « Fora Temer » (dehors Temer)

Le GEFON du Népal lui succède et parle du terrible tremblement de terre et de ses milliers de morts, des attaques de bandes armées, du blocus de l’Inde et finit en proposant que le prochain congrès de la FSM se tienne à Katmandou. Je ne sais si la proposition sera faisable et retenue mais si c’est le cas, en ce qui me concerne je prends un mois !!

A la fin de son intervention il remet à George Mavrikos en tant que secrétaire général de la FSM, une écharpe qui accompagne dans ce pays le Namasté de bienvenue et de vœux de bonheur. Donc, vous l’avez compris, chants et danse de circonstance…

Vient le tour d’une invitée, la ministre du travail sud-africaine, qui parle du rôle irremplaçable de la FSM, de la nécessité de donner des droits nouveaux aux syndicalisme dans son pays et dans le monde et de renforcer la législation du travail afin de protéger les travailleurs : on aurait dû inviter El Khomri, mais pas sûr qu’elle apprécie d’entendre tant de fois le capitalisme dénoncé avec force…Bien sûr quand elle finit, alors qu’elle a été plusieurs fois coupée par les applaudissements, c’est chants et…

Zimbabwe, Ukraine, Mexique, Liban, l’assistance captivée ne décolle pas des écouteurs. Il faudrait pouvoir tout raconter.
Vient le tour de la Grande Bretagne. «  Comment peut-il y avoir un million de pauvres dans un pays dont on dit qu’il est le 5e pays le plus riche du monde ...? Dans le même parlement qui a aboli l’esclavage il y a 180 ans, on vote aujourd’hui des lois qui tendent à le rétablir sous une forme moderne…Si nous devons être dans l’illégalité, nous deviendrons illégaux » On croirait entendre le comité chômeurs CGT de France. « Avec deux autres syndicats nous avons soutenu le Brexit car l’union européenne est un carcan pour les peuples…en Europe et en Angleterre il y a beaucoup de gens qui veulent sortir de l’union européenne et pas pour des raisons racistes ou xénophobes »

Le camarade de la CUT de Colombie intervient pour parler du processus de paix que les réactionnaires, soutenus par les USA veulent saboter « le syndicalisme est pour la paix et eux sont pour la guerre. Sans la paix il ne peut y avoir de progrès social…Nous demandons que le congrès adopte une résolution de la FSM en soutien au processus de paix et à l’accord entre les FARC et le gouvernement » Il aborde aussi la question des droits syndicaux dans ce pays qui détient le triste record des syndicalistes assassinés puisque un tiers des militants syndicaux tués le sont en Colombie. « Nous dénonçons l’emprisonnement depuis août 2013 de notre dirigeant, le camarade BALLESTEROS  [3]. Il finit par une note d’espoir en parlant de l’engagement du syndicat dans « La marcha patriotica », ce mouvement qui rassemble syndicats, associations, partis qui veulent en finir avec le capitalisme en Colombie. Un peu en plus modeste ce que nous construisons dans les Bouches du Rhône en quelque sorte !!

Il y a ensuite le camarade de la FSE d’Égypte qui dénonce le terrorisme d’état des USA et d’Israël, une combattante du Cameroun qui rappelle que ce sont les femmes qui souffrent le plus du capitalisme et qu’elles représentent la moitié de l’humanité et finit en paraphrasant un proverbe africain qu’à Rouge Midi nous aimons bien : « qui décide sans nous, décide contre nous » [4]
Bolivie, Costa Rica, CGT de Guadeloupe [5], Malaisie, Russie, Tunisie…

Vient alors une intervention remarquée et première historique dans un congrès de la FSM, celle d’un dirigeant d’un syndicat des États-Unis. [6] « 5000 infirmières en grève dans le Minnesota…500 ouvriers de la restauration dans l’une des universités les plus prestigieuses au monde…l’égalité raciale est encore à conquérir aux États-Unis où des noirs sont assassinés par la police qui demeure impunie…Nous somme le premier pays impérialiste du monde mais nous sommes contre cela et contre le racisme…je vous annonce que notre syndicat est le premier syndicat américain qui demande son affiliation à la FSM » Imaginez la salle ! On n’entend pas la fin…les zoulous de la COSATU se déchainent et la salle avec…indescriptible.

Tunisie, Sénégal qui parlera de l’aide de la CGT à travers la FSM [7] pour la fameuse grève de 1948 sur la ligne de chemin de fer Dakar – Bamako [8], Côte d’Ivoire, Panama, Bangla Desh…Les débats se terminent par le vote pour le secrétariat général où sont en lice Georges Mavrikos pour un 3e mandat et un candidat surprise de dernière minute d’un syndicat du Gabon.

Alors que les opérations de vote sont lancées, cette fois-ci c’est de la tribune que part un chant et en plus avec un micro ! Évidemment toute la salle (enfin celles et ceux qui connaissent les paroles !) le reprend et plusieurs manifestations spontanées convergent vers la tribune et quand la quasi-totalité des congressistes se massent au pied de celle-ci, le camarade chanteur, qui n’est autre que le secrétaire général de la COSATU, nous annonce qu’il va y avoir une soirée fraternelle avec repas...et danses ! On repart alors vers la salle… en manifestation dansante !

A demain !

Charles Hoareau


[1voir rubrique syndicalisme international

[2Les 5 de Miami emprisonnés pendant des années aux USA et libérés il y a peu, voir rubrique solidarité internationale

[3rouge midi reviendra sur ce sujet

[4le proverbe exact est : ce que tu fais pour l’autre si tu le fais sans lui, tu le fais contre lui

[5La CGT a toujours considéré les DOM TOM comme des territoires qui avaient droit, s’ils le désiraient, à leur indépendance et de ce fait la CGT y est organisée en organisation nationale indépendante de la CGT métropolitaine.

[6Il y avait eu à La Havane en 2005, voir article, la participation en tant qu’observateur du mouvement Change to win, mouvement et non organisation à part entière

[7La CGT est un membre fondateur de la FSM dont le premier secrétaire général fut Louis SAILLANT. Elle l’a quittée en 1995 et a adhéré à la CSI en 2006, adhésion remise en cause par plusieurs organisations qui renouent actuellement avec la FSM

[8lire à ce sujet l’extraordinaire livre de Sembene Ousmane, Les bouts de bois de Dieu



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