Les enfants mis en fiches

mercredi 8 novembre 2006
popularité : 3%

Comment grandir sans l’amour de ses parents ?
Comment apprendre sans le regard confiant des passeurs de savoir ?
Comment vivre dans un univers qui vous suspecterait, vous mettrait en chiffre, en fiche, dans des grilles d’évaluation alors que vous n’êtes qu’une friche semée de possibles ?
Comment s’épanouir lorsque l’enfance est mise en statistique, la vie sous surveillance ?

Le poète Serge Pey écrit : « Quand la pensée est mise en sondage, seule la bêtise est libre »
Mais avec la mise en place par l’administration de l’Education Nationale d’un système de gestion centralisé des élèves appelé « Base Élève », qui sera libre dans ce pays ?
Certainement pas les enseignants qui, si le projet de loi de "prévention de la délinquance" était adopté sous sa forme actuelle (durcie par le Sénat en septembre), seraient tenus de renseigner ce fichier !

Tous les élèves seraient donc inscrits dans un fichier informatique unique et centralisé au niveau national.

L’établissement des fichiers dès le plus jeune âge, et leur croisement est une menace réelle pour les libertés individuelles, mais aussi pour la démocratie. Quel degré de liberté, de résistance, aurions-nous si tous ces textes étaient adoptés ?

Nous sommes tenus de nous souvenir des nombreux textes de lois liberticides pris depuis 2001, tant sur le plan national qu’international, pour comprendre la dérive de nos démocraties vers des sociétés de surveillance et de contrôle social.

« Base élève », c’est le nom choisi par le ministère de l’Education nationale pour baptiser son système de fichage informatisé de la maternelle au CM2. Il est déjà expérimenté dans 21 départements et serait généralisé dès la rentrée à l’ensemble du territoire. Toutes les données familiales, sociales, scolaires et identitaires des élèves seraient ainsi transmises par les directeurs d’école et arriveraient via Internet dans un fichier national partiellement accessible aux maires.

On est bien au-delà d’un souci légitime de bonne gestion quand on lit certains champs à renseigner comme : nationalité, résultats scolaires, suivi RASED*, langue et culture d’origine, absences, intervenants éventuels, situation familiale, santé, date d’entrée en France... Autant d’items qui montrent que le besoin éducatif des jeunes n’est pas la seule raison d’être de « Base élève ».

Là encore nous ne pouvons pas oublier l’obsession de contrôle des populations étrangères. C’est d’ailleurs ce qu’avoue l’Inspection d’académie des Pyrénées-Orientales, où « Base élève » est expérimentée depuis 2004, en reconnaissant « être la plus grande source d’information sur l’immigration ».

Dans un contexte où l’amalgame « familles issues de l’immigration » et délinquance, curiosité, jeux de découverte sexuelle et autres signes de vie des enfants de maternelle considérés comme déviances ou troubles mentaux, la « Base élève » est d’autant plus dangereuse qu’elle centralise et croise des informations personnelles.

« Base élève » se situe dans la droite ligne du rapport Bénisti qui, petit rappel de mémoire, pour prévenir « les comportements déviants », préconisait la détection précoce des troubles comportementaux infantiles dès la crèche. Pour ce faire, le rapport associait délinquance et langue maternelle et proposait une « culture du secret partagé » entre services publics afin de signaler à la police, via le maire, toute « personne présentant des difficultés sociales, éducatives ou matérielles ». Or ce rapport parlementaire a largement inspiré la loi contre la délinquance de Monsieur Sarkozy qui, entre autres, conditionnera le versement des allocations familiales à un contrôle renforcé de l’assiduité scolaire, et imposera le partage du secret professionnel entre policiers, magistrats, enseignants et travailleurs sociaux. Toute relation avec « Base élève » serait-elle purement fortuite ?

Des syndicats d’enseignants, des associations de parents d’élèves prennent des positions dans les Conseils d’Administration d’établissements, alertent les parents, bref organisent des actions contre ces projets qui ne doivent pas rester méconnus des citoyens, qu’ils soient ou non parents.

Pour conclure , je vous livre une question que posait Pierre Bourdieu : « Comment des conduites peuvent-elles être réglées sans être le produit de l’obéissance à des règles ? »

* Créés en 1990, par transformation des GAPP, les RASED (Réseaux d’Aides Spécialisées aux Elèves en Difficulté)ont pour mission de fournir des aides spécialisées à des élèves en difficulté dans les classes ordinaires, en coopération avec les enseignants de ces classes, dans ces classes ou hors de ces classes. Ils comprennent des enseignants spécialisés chargés des aides à dominante pédagogique, les “maîtres E”, des enseignants spécialisés chargés des aides à dominante rééducative, les “maîtres G” et des psychologues scolaires.



Commentaires

Logo de vivier bernard
mercredi 8 novembre 2006 à 20h59 - par  vivier bernard

Sites favoris


20 sites référencés dans ce secteur