Les mauvais coups de Mandelson (II)

jeudi 9 novembre 2006
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Après la négociation secrète avec les USA sur la mise en oeuvre de l’AGCS et l’ouverture accrue des marchés européens aux entreprises américaines de service (voir JdM de la semaine passée), voici une autre illustration de la capacité de nuisance du Commissaire européen au Commerce, Peter Mandelson.

Depuis le début de l’année, les services de la Commission européenne ont reçu pour instruction de travailler sur une nouvelle stratégie dans les négociations commerciales internationales qui réponde à la question : comment obtenir ce que nous ne parvenons pas à gagner dans les négociations à l’OMC ? Il s’agit surtout des dossiers relatifs à l’investissement, la concurrence, les marchés publics et la facilitation des échanges. Ces quatre dossiers faisaient partie d’une négociation qui a échoué en 1998 à l’OCDE sous le nom d’AMI, accord multilatéral sur l’investissement. Réintroduits à l’OMC par l’Union européenne, ils sont à l’origine de l’échec de la conférence de Cancun en 2003, suite à l’opposition de 90 pays. Il s’agit aussi d’aller plus loin que ce qui a été acquis à l’OMC dans le domaine des droits de propriété intellectuelle, des matières premières et des services. Cette stratégie vient d’être présentée par Mandelson sous l’intitulé « Une Europe compétitive dans une économie mondialisée ».

L’essence de cette stratégie est double : obtenir par la négociation bilatérale avec des pays ou blocs de pays ce qui n’a pas été obtenu à l’OMC et ensuite, en vertu des règles de l’OMC, l’étendre à tous les Etats, y compris aux pays de l’Union européenne. Ainsi se confirme une stratégie maintenant bien rôdée : le recours à des institutions internationales contraignantes (Union européenne, OMC) pour remettre en cause les politiques nationales et forcer les citoyens à accepter des choix qu’ils refusent. Ce qui, en langage eurocratique s’exprime ainsi dans la bouche du directeur général de la direction du commerce de la Commission : « les dimensions externes et internes de la concurrence sont inextricablement liées ».

L’ambition européenne est extrêmement agressive. Il s’agit d’obtenir la suppression de tous les obstacles susceptibles d’entraver l’accès des entreprises européennes aux marchés du reste du monde. Avant d’énumérer les priorités européennes, gardons à l’esprit que ce qu’elle demande aux autres, la Commission européenne va devoir l’accepter pour les 25 pays au nom desquels elle négocie. Les cibles sont les suivantes : ouvrir tous les marchés des biens et services ; supprimer les limitations légales et réglementaires aux investissements, permettre l’accès à tous les marchés publics, renforcer les droits de propriété intellectuelle, accéder sans restriction aux ressources naturelles, y compris énergétiques, éliminer toutes les entraves aux règles de la concurrence.

L’intention est d’atteindre ses objectifs dans le cadre des négociations à l’OMC, mais également dans le cadre d’accords de libre-échange négociés bilatéralement, un contexte où, sauf dans le cas de la Chine et des USA, le rapport de forces favorable à l’Union européenne joue à fond. L’intention est d’entamer des négociations non seulement avec ces deux pays, mais avec les pays latino-américains du Mercosur, les pays du Sud-Est asiatique, avec les pays du Golfe persique, la Corée du Sud, l’Inde et la Russie. Cette volonté européenne se manifeste déjà dans les négociations en cours avec les pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique.

Personne ne s’étonnera que l’UNICE, la confédération patronale européenne, ait applaudi à l’annonce de cette nouvelle stratégie. L’accueil a été plus tiède du côté de l’organisation regroupant les employeurs des petites et moyennes entreprises qui déplore que cette stratégie oublie l’impact en retour sur les entreprises de cette taille. De son côté, la Confédération Européenne des Syndicats a mis en garde contre « le danger pour l’Europe de manquer une chance historique d’user de ses capacités à promouvoir le développement et des échanges internationaux équitables ».

Plus de cent ONG réunies dans un réseau intitulé « De Seattle à Bruxelles » ont exprimé leur crainte que « cette nouvelle stratégie inspirée par le monde des affaires n’impose des changements qui vont ruiner le modèle social européen ». Quant à Oxfam International, elle « déplore que l’Europe utilise les négociations du libre-échange pour imposer des concessions sur des sujets que les pays en développement ont rejeté avec constance à l’OMC » et juge que « ce plan va accroître la pauvreté et l’inégalité. »

Que faut-il de plus pour comprendre qu’une remise à plat de la construction européenne devient un impératif urgent ? Avant que tout ce qui a été construit depuis des décennies pour combiner liberté et solidarité n’ait été détruit.

Paru dans le JDM et sur www.urfig.org



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