Mouvement à la PJJ Marseille : pour que le métier garde tout son sens

lundi 26 février 2018
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Un mouvement de contestation riche d’enseignements sur bien des aspects, a eu lieu récemment au sein de la PJJ (protection judiciaire de la jeunesse) sur le domaine des Chutes-Lavie. (voir les tracts en documents joints à l’article).
Isabelle Audureau, secrétaire régionale du syndicat CGT a bien voulu répondre à nos questions.

Isabelle que s’est-il passé à la PJJ qui a amené au conflit de ces derniers jours ?

Ce domaine, de sept hectares, appartient au Ministère de la Justice. Quatre services (Hébergement, milieu ouvert, insertion et pôle régionale de formation), accueillent des stagiaires, des jeunes sous « la main de la justice » quotidiennement ainsi que deux associations (un Centre éducatif fermé, sous-traité à une association et une autre association « Appel d’Aire » qui propose une formation pour des jeunes en voie d’insertion). Des dizaines d’adolescents viennent tous les jours sur le site et environ une cinquantaine d’agents de l’état les accompagnent.

Le domaine jouxte la cité des marronniers et l’administration avait permis pendant des années un passage pour les habitants afin d’éviter à ces derniers un détour pour se rendre au métro Saint Just, ce qui a rendu le site totalement perméable.
Jusqu’à présent la cohabitation se passait plutôt bien et des travaux d’amélioration du domaine avaient été effectués (voirie, éclairage, signalisation, …).

Au mois de juin 2017, les professionnels remarquent qu’un point de vente de stupéfiants s’implante à l’intérieur du domaine. Ils alertent de suite leur hiérarchie. L’été se passe, personne ne réagit.
Au mois de septembre-octobre, les incidents se multiplient. Certains agents se font intimider par des membres du réseau, cagoulés. Ceux-ci tentent de gagner le territoire et le font bien comprendre (« dégagez, c’est ici chez nous ». Une éducatrice, rentrant vers 20 heures en voiture, se fait entourer par quatre individus cagoulés qui la menacent et lui demandent des comptes quant à sa présence. Cette dernière parvient à s’éclipser, se réfugie dans son service de milieu ouvert, appelle la Police, en vain.
Plus grave encore, les adolescents pris en charge et qui sont censés être protégés par la PJJ se retrouvent pour certains embrigadés par le réseau. Certains sont victimes de violence.
A partir d’une certaine heure, les consommateurs défilent. Les vendeurs livrent directement la drogue, au portail, à vélo.
Le gardien qui est censé à lui tout seul surveiller les va et vient se retrouve un jour pris à partie par des jeunes armés.

Des notes d’incidents sont remontés, les organisations syndicales alertées, nous alertons de notre côté, rien ne se passe, notre administration minimise.

Fin janvier, nous décidons un appel à la grève pour le 30 janvier. Précédemment, nous sommes allés rencontrer chaque équipe pour tâter le terrain. Les agents sont déterminés, évidemment puisqu’ils ont la peur au ventre. Ils ne se sont pas mis en arrêt de maladie, ils souhaitent une action collective. Ils sont en colère et veulent marquer le coup.
Le jour J, nous tenons un piquet de grève à l’entrée du domaine. Nous comptabilisons 99 % de grévistes. Nous mettons en place un barrage filtrant. Des collègues du département et même du Vaucluse viennent spontanément pour soutenir la grève. Certains agents craignent d’être repérés par les jeunes du réseau et ont peur de passer pour des « casseurs de réseau », ils ont peur des représailles mais ils sont là quand même.
Les médias sont là, en quantité. Nous répondons aux interviews tout en restant vigilants de ne pas rentrer dans un discours réactionnaire et sécuritaire. Il ne s’agit pas de mettre dos-à-dos les jeunes des quartiers et les travailleurs sociaux car nous savons mieux que quiconque comment ils en sont arrivés là. Eux-mêmes victimes d’un système capitaliste qui les a bannis de la société depuis bien longtemps, nous ne pouvons prôner leur disparition en tant qu’individu. Je précise d’ailleurs que certains réseaux sociaux de la fachosphère s’en sont donnés à cœur-joie.

A 11h, une AG des personnels s’organise. Environ 80 personnes sont présentes. L’exercice du droit de retrait est voté à l’unanimité pour le lendemain.
Les personnels s’organisent et font passer un courrier individuel à leur hiérarchie pour prévenir du droit de retrait car selon eux, « ils ont un motif raisonnable de penser qu’ils sont dans une situation de danger grave et imminent ».

L’administration réagit sans tarder. Dépassée par les événements car c’est une première à la PJJ, elle tente de calmer les foules en convoquant des audiences syndicales, d’abord en Direction territoriale puis en Direction inter-régionale.
Nous refusons ces audiences à huis-clos et nous exigeons la présence des personnels y compris non syndiqués. La DIR n’a pas le choix, elle est obligée de se confronter aux mal-être des agents et petit à petit change de positionnement. Elle passe du déni-défi à l’écoute. Elle fait des propositions et pense que cela suffit (gardiens, projet de mur, système de vidéo-surveillance, doublement des agents la nuit au foyer, …). Miraculeusement, des grosses sommes d’argent sont débloquées. Cependant, elle ne lâche pas sur la présence des agents sur le domaine. Elle ne supporte pas l’idée que celui-ci soit « abandonné, laissant la place aux squatteurs ». A coups de culpabilité, elle dira même qu’il faut se « serrer les coudes ».

Malgré cela, les agents maintiennent leur droit de retrait. Ils refusent de retourner sur le domaine tant que le point de vente sera présent et visible. Les deux jours qui suivent sont un véritable bras de fer. Ils subissent des pressions de leur hiérarchie. On les menace d’abandon de poste », « de retrait sur salaire ».
Un CHSCT extraordinaire est convoqué en urgence. Il doit donner son avis sur une éventuelle reprise de l’activité au regard du plan de travail proposé par l’administration. La DIR PJJ et son directeur adjoint sont là, le DTPJJ aussi, ils ont sorti l’artillerie lourde.
Le médecin de prévention qui a rencontré les agents la veille à leur demande parle de risques psycho sociaux très inquiétants. Il ajoute que certains souffrent d’anxiété, voire de dépression. Il préconise un accompagnent psychologique de toute urgence.

Les syndicats qui siègent au CHSCT parviennent (pour une fois) à se mettre d’accord et se prononcent contre la reprise du travail. Ils demandent davantage de garanties et exigent à vérifier sur le terrain si les mesures annoncées seront réellement mises en place.

La semaine suivante, les personnels et les jeunes sont retirés du domaine. Des appart’hôtel sont loués pour les jeunes du foyer, le milieu ouvert et les activités d’insertion sont délocalisées.
Tout le monde est à l’abri, sauf… les cadres à qui on demande d’occuper le terrain et qui acceptent.

A noter que pendant ce temps, trois cambriolages ont eu lieu.

Quelle a été la stratégie de ton syndicat ?

- Nous avons tenté d’être au plus près des attentes des agents, nous n’étions qu’une courroie de transmission, des lanceurs d’alerte finalement. Ce sont eux qui ont décidé de la temporalité du mouvement et de sa forme. Nous les avons juste éclairés sur leurs droits (droit de retrait par exemple).
- Aucune rencontre avec l’administration n’a eu lieu sans leur présence.
- Refus de toute communication téléphonique avec l’administration (en tous cas pour ce qui concerne la CGT)
- Nous avons exigé des écrits et des relevés de décisions à chaque rencontre.
- Une communication en temps réel (tracts, communiqués de presse et avec les agents).
- Nous avons attendu d’être sûrs que les agents feraient grève en majorité afin de pouvoir instaurer un rapport de force d’entrée de jeu.
- Nous avons misé sur la solidarité avec les autres collègues du département et d’ailleurs, lettres de soutien, …
- Nous avons interpellé la Garde des Sceaux et la directrice de la PJJ à la centrale au moyen d’une pétition.

Quelles ont été les difficultés dans la conduite du conflit ?

- les limites de l’intersyndicale, en l’occurrence le SNPES-PJJ FSU (syndicat majoritaire à la PJJ) qui par moment n’était pas sur les mêmes stratégies. Faut-il rompre ? Faut-il communiquer séparément ? Comment éviter la confusion dans la tête des agents sachant que la division est une stratégie utilisée par nos directions ?

- l’épuisement syndical. Souvent, un mouvement est porté par quelques têtes, moments de doute, de pessimisme…

Quel bilan peut-on retirer de ce mouvement sur un plan syndical ?

Pour ceux qui demandent encore à quoi sert un syndicat, je pense qu’ils en ont une parfaite illustration. D’ailleurs l’exemple des Chûtes-Lavie nous servira à l’avenir lors de nos prochaines heures d’information syndicale.
(Elle liste les enseignements)

La nécessité de s’organiser collectivement est apparue comme une évidence. C’est dans l’action et uniquement dans l’action que les travailleurs se rendent compte de la force qu’ils sont à plusieurs, d’autant plus lorsqu’ils obtiennent satisfaction à leurs revendications.

Le rôle primordial du CHSCT. Il faut rappeler l’importance et l’utilité de ces instances. Il permet de sortir de l’entre soi et de travailler avec les camarades des autres administrations (en l’occurrence la CGT de l’administration pénitentiaire et la CGT service judiciaires). Nous devons occuper les sièges au sein de ces comités.

La question de l’exercice du droit de retrait chez les travailleurs sociaux. Il n’est jamais ou très peu utilisé. D’une part parce que ces derniers sont confrontés dans leur quotidien professionnel à la misère et la galère et qu’ils ont intégré le fait que finalement eux ne sont pas « si mal lotis », d’autre part parce que se développe chez eux un sentiment de culpabilité, il s’agit de ne pas abandonner les publics qu’ils accompagnent.

La contagion du mouvement. Les personnels du Centre éducatif fermé du domaine, observant leurs collègues éducateurs, fonctionnaires qui obtiennent satisfaction, se sont rapprochés à leur tour de l’UD CGT 13. Une section va être créée dans les prochains jours.



Documents joints

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