Crise des « subprimes » et/ou crise d’un système ?

samedi 11 août 2007
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Sommes-nous confrontés à un nouveau jeudi noir ? La fermeture de trois fonds de la Banque BNP Paris Bas a déclenché un vent à la baisse sur toutes les places boursières. A l’origine de la panique expliquent les commentateurs, il y aurait les « subprimes ». Ces prêts immobiliers accordés aux ménages nord-américains les moins solvables et que leurs débiteurs pourraient de moins en moins honorer. Comment ces subprimes pourraient-elles déclencher une telle panique ? On nous explique que c’est parce qu’en fait elles se seraient logées dans tous les portefeuilles, dans les SICAV les plus sûres...
Mais les subprimes ne sont que la partie la plus visible de l’iceberg d’une économie spéculative. Il faut tenter pour mesure la profondeur de la crise à laquelle nous sommes confrontés de comprendre quelques uns de ces phénomènes spéculatifs. Un autre phénomène très important à comprendre pour nous Français serait en quoi la politique économique de Sarkozy admirative de la spéculation étasunienne entre t-elle dans des mécanismes de ce type ?

On nous présente la crise comme étant liée au fait que les ménages nord-américains ont été incités par des prêts à acheter des logements. Or les prix ont commencé à redescendre depuis quelques mois. Plusieurs ménages endettés, qui croyaient faire une bonne affaire, ont cessé de rembourser leurs prêts hypothécaires. Dans ces situations, les banques saisissent les biens immobiliers pour les vendre aux enchères, ce qui pousse les prix à la baisse et enclenche une nouvelle vague de défauts de paiements. À chaque fois, les établissements prêteurs ne récupèrent qu’une partie de ce qu’ils ont prêté. C’est ainsi que certains prêteurs hypothécaires américains ont fait faillite dernièrement. Les économistes s’entendent pour affirmer que, bien que les sommes en jeu soient considérables, ces faillites ne représentent qu’une goutte d’eau dans l’océan des marchés d’aujourd’hui. Si toutefois la situation perdure, la confiance pourrait disparaître dans le marché des prêts. Les entreprises, les particuliers, et même les gouvernements auraient alors de la difficulté à emprunter. Le crédit étant essentiel au bon fonctionnement de l’économie, une récession pourrait survenir.

C’est cette situation que les banques centrales prétendent éviter. C’est pourquoi elles prêtent aux banques l’argent qu’ils ne trouvent plus sur le marché monétaire, afin que celles-ci puissent continuer à jouer leur rôle de prêteurs.

Mais si cette explication était totalement insuffisante ?

A travers les bourses et la financiarisation de l’économie nous avons une sorte d’extension planétaire du « Carry trade ». De quoi s’agit-il ? De jouer sur la différence du coût du crédit dans une place pour investir dans une autre avec l’argent emprunté ailleurs. Ce qui se combine avec les LBO [1], à crédits servant pour des opérations de rachat par endettement...
Le carry trade le plus courant est celui qui consiste à jouer sur les monnaies et les taux d’intérêt de pays à pays. Ainsi on emprunte de yens à un taux d’intérêt de 0,5% pour investir en Nouvelle Zélande où les taux d’intérêt sont à 8%. Les directions de Banque Centrale qui préconisent la hausse des taux d’intérêt (comme la Banque Centrale Européenne, ou la FED nord-américaine) prétendent lutter contre des phénomènes de ce type [2].

Mais la carry trade joue également dans l’utilisation des fonds empruntés toujours par exemple au japon c’est un exemple pour être placés dans des obligations à haut rendement (CDO et CLO).

Tout n’est pas carry trade, mais il est clair que les investisseurs vont chercher à placer l’argent également sur les plus hauts rapports, sur les hauts rendements.
Nous avons donc une économie de casino qui engendre des phénomènes spéculatifs, mais cette spéculation n’est pas purement virtuelle, elle repose dans tous les cas dans sur un renforcement de l’exploitation, un accroissement monstrueux des inégalités au niveau planétaire.

Spéculation et hauts rendements

Comment créer de hauts rendements ? Il y a les entreprises que l’on restructure, dont on gonfle les performances pour les actionnaires boursiers. Chacun mesure bien ce que cette simple note signifie de surexploitation, délocalisation, et donc qu’au bout de la chaîne de ces prédateurs il y a le chômage, la précarité, et même le suicide des salariés.
Au niveau financier les outils sont les fonds de capital investissement et les fonds spéculatifs (hedge funds).

Le capital investissement : il s’agit de sociétés financières qui acquièrent des entreprises, parfois en difficulté, parfois en panne d’actionnaires pour avoir les liquidités, ces sociétés achètent ces entreprises et les revendent avec de très gros profits et en faisant pour cela appel à la bourse à des financements massifs à crédit (860 milliards de dollars de titre ont été ainsi émis au premier semestre 2007, c’est-à-dire 40% de plus qu’un an plus tôt). Leurs dettes sont placées sur le marché par le biais de titre appelés CDO. [3].
Or depuis quelques semaines, on peut même parler de mois, ces titres suscitent beaucoup d’inquiétude. Le capital investissement a de plus en plus de mal à placer leurs titres qui sont en fait des dettes, on cite le cas de KKR le géant qui n’arrive plus à placer les actions Chrysler. Le marché guette qui a des titres de ce type or les fonds spéculatifs et même ceux à moindre risque s’en sont gavés comme ils se sont gavés des subprimes.

La BCE dans sa récente note mensuelle a signalé que les LBO présentent des similitudes avec les crédits immobiliers à risque (”subprime”), actuellement en pleine crise. Selon la BCE ces similitudes “pourraient susciter des inquiétudes concernant la stabilité financière dans le cas d’un changement du cycle des crédits”. Elle note toutefois que les acteurs du marché des LBO “se connaissent en général très bien dans le secteur financier”, ce qui n’est pas toujours le cas dans le marché des “subprimes”, et peuvent donc se protéger contre les faiblesses passagères. On serait rassuré si ce genre de discours lénifiant n’avait pas pris un caractère systématique. - - Ainsi c’est la déclaration de la banque de France du 3 août qui explique que l’Europe ne risque rien.
- C’est Bush vantant la bonne santé de l’économie nord-américaine et le fait que suffisamment de liquidité étaient disponibles sur le marché nord-américain « pour atterrir en douceur ». Alors même que des économistes tablent sur une crise plus durable que les précédentes, parce que l’économie nord-américaine est déprimée, l’endettement des ménages fort, et parce que la bulle immobilière peut exploser dans d’autres pays. Beaucoup de ces économistes se prononcent pour une baisse des taux d’intérêt des banques centrales, ce qui comme on l’a vu est par ailleurs une incitation à la spéculation dans un système qui s’en nourrit.

Parce que le fait est que les banques européennes se sont montrées particulièrement goulues. Aux USA, le capital investissement représente près de 40% du marché fusion et acquisition, mais en Europe les opérations de ce type ont cru de 50% en un an, d’où l’extrême vulnérabilité et le fait que la crise s’est déclenchée en Europe avec la fermeture des fonds de BNP Paris Bas comme facteur déclenchant du jeudi noir [4].

Depuis plusieurs semaines on parlait des difficultés de la Banque allemande WestLB (17 milliards de dollars dans les subprimes nord-américaines), c’est de BNP Paris Bas qu’est venue la décision de fermeture des fonds. A cette annonce les banques ont refusé toute opération de refinancement, de prêts aux autres établissements financiers. Une sorte de mesure contre la fièvre aphteuse au niveau bancaire, ce qui s’est immédiatement traduit par une envolée du taux des prêts interbancaires (passant de 4,10 à 4,70). Le loyer de l’argent a alors atteint le taux le plus élevé depuis 6 ans. Devant cette tourmente européenne la Banque Centrale Européenne (BCE) est intervenue une première fois elle a injecté 94,8 milliards d’euros pour remédier à cette pénurie de liquidités. A ce jour la BCE a injecté plus de 150 milliards d’euros.

Comment le défaut de liquidité né du fait que les ménages surendettés nord-américains, les pauvres à qui on aurait accordé des crédits peut-il se traduire par un tel défaut de liquidité ?

Il faut bien mesurer que la crise des liquidités n’est pas simplement liée au défaut de paiement des ménages non solvables nord américain, mais c’est tout le système de financement de l’économie par le biais des CDO, des jeux monétaires, qui est en cause et qui débouche sur une crise interbancaire, une crise des liquidités, voire une crise pétrolière. Il faut voir qu’elle se combine avec une crise de l’immobilier aux Etats-Unis dont les subprimes ne sont là encore que le niveau visible de l’iceberg.
Là encore le jeudi noir dix août où se déclanche la panique sur les marchés boursiers, n’est pas un coup de tonnerre dans un ciel serein. Deux remarques :

-  on retrouve dans les subprimes le même mécanisme que celui du capital investissement parce que les titres des subprimes rentrent dans les CDO.

-  Deuxième remarque ce ne sont pas seulement des ménages à qui on a prêté abusivement de l’argent qui sont touchés ce sont des couches plus aisées. Dans le contexte du boom immobilier de 2000 à 2005, les subprimes ont été consenties à des ménages dont le profil financier n’était pas solide. Ces prêts ont été « titrisés », c’est-à-dire transformés en tires financiers qui ont servi de socles à toute une gamme de produits dérivés (CDO).

A Wall Street le 7 août, American Home Montage Investissement Corp, un organisme de refinancement des prêts hypothécaires a déclaré qu’il était en défaut de paiement et il a licencié le 10 août, 600 de des 7000 employés. Mais ce n’était pas le seul, d’abord Bear Stearns, la banque d’investissements a vu deux de ses fonds spéculatifs ou hedge fund ruinés et un troisième en grande difficulté [5]. Le jeudi 9 mai, c’est la banque nord-américaine Godman Sachs qui est prise dans la tourmente des subprimes. En fait depuis une quinzaine de jours, tous les investisseurs financiers traquaient les portefeuilles des institutions qui auraient des positions risquées.

Ce qu’il faut bien mesurer donc c’est qu’il ne s’agit pas seulement du seul secteur des prêts immobiliers mis en crise par une clientèle étasunienne non solvable, mais que le boom immobilier, le surendettement auxquels était invité les ménages correspondait au mode de développement global de l’économie, elle-même basée sur le surendettement et les hauts rendements à partir de la pression sur les plus pauvres. Il faut bien mesurer que les Etats-Unis sont à la source du phénomène, mais celui-ci s’était mondialisé et la crise des « subprimes », en fait des CDO, s’est rapidement étendu et a obligé la plupart des banques centrales à injecter des liquidités. Enfin il faut voir que la crise dite des subprimes part des pauvres surendettés, précarisés, au chômage, ne serait-ce que par le biais de la crise immobilière étasunienne, mais en fait cette crise atteint des couches beaucoup aisées de la population [6].

Dans une présentation de son exposition au marché dit “subprime”, AIG le numéro un mondial de l’assurance et l’un des plus grands prêteurs immobiliers a déclaré que la proportion totale de défauts dans son portefeuille immobilier de 25,9 milliards de dollars avait atteint 2,5%. Il a précisé que 10,8% des prêts hypothécaires “subprimes” affichaient un retard de paiement de 60 jours, mais également 4,6% des prêts de la
catégorie juste au-dessus. Tout en se disant toujours “à l’aise” vis-à-vis de son exposition au crédit immobilier, AIG a déclaré que le taux de défaillance dans ses prêts hypothécaires de premier rang avait grimpé à 3,98% en juin contre 3,56 en avril et un plancher de 3,08% en juillet 2005. Ces prêts représentent 90% des prêts immobiliers d’AIG aux Etats-Unis.

AIG divise son portefeuille de prêts immobiliers en trois catégorie en fonction des notes de crédit des emprunteurs :
“subprime”,
“non-prime”, et
“prime”.

A la date du 30 juin, la branche financière d’AIG, qui accorde des prêts hypothécaires de premier et second rang, avait enregistré
3,68% de défaillances dans le subprime,
2,13% dans le non prime et
0,81% dans le prime [7].

Dans un récent article [8], j’expliquais que le véritable problème que soulevaient les « vacances de Sarkozy » était sa vassalisation aux Etats-Unis. Jusqu’où va-t-elle ?

Ce qui est sur c’est que son adhésion au modèle nord-américain est lisible dans ses choix économiques, ce qui sous couvert du « enrichissez vous » exerce une pression insoutenable non seulement sur les couches les plus défavorisées, mais également sur les couches moyennes, qui utilise le surendettement y compris budgétaire comme l’instrument d’une recomposition du budget de l’état vers toujours plus de privatisations, vers la mise en coupe réglée des services publics.

On peut lire une version actualisée et remaniée de cet article dans socio 13 le site de Danielle


[1Un LBO (de l’anglais Leverage Buy-Out) est une acquisition par emprunt qui consiste à racheter une entreprise en s’appuyant sur un effet de levier financier, c’est-à-dire en faisant appel à des organismes spécialisés qui financent cette reprise par de l’endettement. On parle aussi de rachat par effet de levier

[2La crise, la nécessité d’injecter des liquidités risque de bloquer le relèvement des taux d’intérêt donc d’assurer de beaux jours au carry trade. Il est à noter que la crainte du relèvement du Yen a déjà produit un retour vers cette monnaie qui a accru les effets de la crise dite des subprimes. En 1998, le yen avait connu cet effet de réévaluation (environ 20%) qui avait laissé sur le carreau quelques spécialistes de ce carry trade.

[3Collateralized Debit Obligation

[4Dans le genre plus hypocrite que moi tu meurs, il faut noter le 3 août l’intervention de la Banque de France qui déclarait que la crise des subprimes ne toucherait pas l’Europe (cf. Le Figaro de ce jour). La question qui est sur toutes les lèvres est à présent de savoir où va s’arrêter le cyclone, alors que les incertitudes planent sur les pertes exactes que la crise du “subprime” va entraîner pour les banques touchées. Et “s’il y a une chose que les marchés détestent, c’est l’incertitude”, souligne Gilles Moec, chef économiste de Bank of America. “Les conséquences ne vont pas rester limitées aux marchés financiers”, avertit Jörg Krämer, chef économiste de la Commerzbank. “La conjoncture aux Etats-Unis, et donc dans le monde, va encore longtemps souffrir des suites négatives”.

[5Là encore la méfiance vient de loin : si le 10 août Bear Streams perd 6,30%, en Bourse, la perte est de 31% sur trois mois.

[6A la fin juillet, la société Country Wide Financial, leader du crédit immobilier résidentiel nord-américain a constaté un retard de paiement significatif chez les foyers solvables aisés. Angelo Mozilo, le patron de cette société a déclaré « les prix des maisons baissent comme on ne l’a jamais vu depuis la dépression des années 30 », le marché a-t-il estimé ne se relèvera pas avant 2009.

[7Reuters - Jeudi 9 août, 16h58. Les défauts de paiement dans le crédit immobilier sont devenus plus fréquents chez les emprunteurs de la catégorie juste au-dessus du subprime », déclare l’assureur American International Group.

[8sur socio13



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vendredi 24 août 2007 à 12h18 - par  danielle bleitrach
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jeudi 23 août 2007 à 15h14 - par  Jean Viard
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