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Ces chimistes prêts à faire sauter la baraque
lundi 20 août 2007
Un chercheur allemand vient de découvrir un composé plus puissant mais aussi plus instable que le TNT. La revue Nature s’interroge sur cette supposée passion des scientifiques pour les explosions.
Les explosifs ont des formes et des applications très variées, qui peuvent aller des munitions militaires aux airbags. Mais les produits auxquels on a généralement recours ont tous au moins un point commun : leur stabilité. Ainsi, l’un des grands avantages du trinitrotoluène - plus connu sous le nom de TNT - est qu’il demeure inoffensif et à l’état solide jusqu’à l’instant de la détonation. Qui pourrait bien vouloir, dès lors, fabriquer un explosif hautement instable, susceptible de libérer son énergie à la moindre pichenette ?
Des chimistes, tout simplement. Car le chimiste aime les explosions, dit le bon sens populaire. Des chimistes, bien sûr, mais par goût du défi technique, répondent les intéressés.
Les explosifs libèrent l’énergie contenue dans les liaisons chimiques des molécules au cours d’une réaction qui va transformer les solides en gaz, accroître brutalement leur volume et dégager de la chaleur. Lors d’une grosse explosion, des ondes de choc se propagent à partir du foyer. Le TNT, par exemple, se décompose violemment en gaz et en suie lors de la détonation. Mais nombre de mélanges explosifs sont moins stables que le TNT ; certains sont même si sensibles ou difficiles à fabriquer qu’ils ne seront probablement jamais utilisés hors d’un laboratoire. Cette mise en garde est particulièrement vraie pour le tétraazidométhane, représentant très chatouilleux du groupe des azotures, célèbres pour leur capacité à brûler les sourcils des étudiants en chimie.
“Le tétra-azidométhane est extrêmement dangereux à l’état pur. Il peut exploser à tout moment, sans raison apparente”, assure Klaus Banert, de l’université de technologie de Chemnitz, en Allemagne, qui fut le premier, en 2006, à synthétiser ce composé. A l’en croire, moins d’une goutte a suffi à détruire la hotte de protection en verre et le vase de Dewar [récipient fait d’un verre particulièrement résistant à la chaleur] qu’ils utilisaient pour l’isoler. “Nous nous attendions à ce que le tétra-azidométhane ait des propriétés explosives, mais sa capacité de destruction nous a vraiment surpris”, ajoute le chimiste. Son équipe a dû travailler derrière un écran de protection, avec gants, masques et casques antibruit.
Arriver à la fin de leur travail fut un soulagement, raconte Klaus Banert. Malgré toutes les précautions prises par le laboratoire, le chercheur a été inquiet durant toute la durée des expériences.
Dans ces conditions, pourquoi faire ce genre d’expérience ? Pour les poussées d’adrénaline ? Pour satisfaire une fascination pour les explosions cultivée depuis l’enfance ? Selon Klaus Banert, il s’agissait en réalité de relever le défi que représente la synthèse d’un produit aussi improbable. “J’ai eu mon premier kit de petit chimiste à 11 ans et j’ai continué pendant plusieurs années à faire des expériences à la maison. Je m’intéressais déjà aux explosifs à l’époque, se souvient-il. Mais les explosions en elles-mêmes n’avaient pour moi qu’un intérêt secondaire.”
Le chimiste Derek Lowe, qui anime In the Pipeline, un blog de chimie très fréquenté, y tient une rubrique baptisée “Ces trucs sur lesquels je ne travaillerai jamais”. Parmi ceux-ci figurent les azotures. Mais le scientifique comprend l’attrait qu’exerce la fabrication de mélanges hautement explosifs. “Ce sont des molécules qui refusent d’exister. Elles ne se formeront jamais naturellement ni spontanément. Ce sont des produits pratiquement infaisables, mais les chimistes peuvent être les premiers à les fabriquer”, explique-t-il.
Les travaux de Philip Eaton, chimiste à l’université de Chicago, confirment l’idée que c’est le défi de la synthèse, plutôt que le goût de la destruction, qui motive les chercheurs. Dans les années 1960, ce scientifique a synthétisé le cubane, une molécule en forme de cube avec un atome de carbone et un d’hydrogène à chaque angle. Puis, encouragé par l’armée, il a cherché à fabriquer un dérivé hautement explosif, l’octanitrocubane.
Les vrais savants fous ne font jamais long feu
Celui-ci a la même structure que le cubane, si ce n’est que du dioxyde d’azote [et non de l’hydrogène] est lié à chaque atome de carbone. “Tout le problème, se souvient Philip Eaton, était de comprendre comment le fabriquer.” Cette synthèse épineuse nécessite de très, très nombreuses étapes. “Ce long processus nous a permis d’aboutir à la synthèse de moins de 1 gramme de ce produit”, ajoute-t-il. L’octanitrocubane est “beaucoup” plus puissant que le TNT, mais même pour son créateur il est impossible d’être plus précis.
L’idée de base était que la densité d’une telle structure permettrait de renfermer un fort potentiel explosif dans un petit volume : un atout qui intéressait évidemment beaucoup l’armée. Malheureusement, l’octanitrocubane est trop compliqué à fabriquer pour espérer révolutionner l’armement militaire dans un futur proche. Philip Eaton a tout de même la satisfaction d’avoir compris comment en faire la synthèse. Et il y est parvenu, répète-t-il, par pur goût du défi. “Les explosions ne me font absolument ni chaud ni froid. Je n’étais pas de ces gamins qui s’amusent à fabriquer des explosifs.”
La preuve ? Philip Eaton n’a jamais fait exploser le moindre milligramme de son produit. “Il y a sans doute des gens qui aiment ce genre de choses, mais ils ne font généralement pas long feu, confirme Derek Lowe. Les chimistes ont la réputation d’être des pyromanes refoulés, mais les vrais dingos finissent tous par se faire exploser.”
Article d’Emma Marris dans Nature du 12/07/2007
Transmis par Linsay
Messages
23 août 2007, 15:31, par Deson
Que des recherches se fassent sur les explosifs n’a rien d’anormal. On pense
certes aux militaires mais l’immense majorité des explosifs sert aux travaux
publics, mines, carrière etc..
Quand aux explosifs très rapides ils ont de
plus en plus d’applications dans les systèmes de sécurité sous forme de
boulons explosifs : sièges éjectables, spatial, plate forme de forage et meme
certains air bag.
Rien de suspect ou d’étonnant que l’on travaille sur ces
sujets. Ce qui l’est plus c’est la fascination du "grand public" pour ces
travaux archi minoritaires. Etant moi même chimiste de metier , lorsque
j’annonce ma profession , j’ai droit immanquablement a un commentaire du
genre : "Alors vous allez faire sauter l’immeuble ?"... Ce fantasme est du , a
mon avis, en grande partie, a l’ignorance crasse qu’a la quasi totalité des
Français des principes et des applications de la chimie . Les journalistes
font d’incroyables bourdes, profèrent des énormités ( ah ! Les "sacs d’azote""
a propos d’AZF..) et dans l’article cité je lit par exemple que :
" A l’en croire, moins d’une goutte a suffi à détruire la hotte de protection
en verre et le vase de Dewar [récipient fait d’un verre particulièrement
résistant à la chaleur]", alors que le Dewar est au contraire destiné aux
basses températures et est une simple thermos en Pyrex !
Mais ca fait peur, ca
frime, bref c’est du journalisme.. Je passe sur : "Son équipe a dû travailler
derrière un écran de protection, avec gants, masques et casques antibruit.",
ce qui est le B A BA de n’importe quelle manip a risque et le quotidien banal
des labos.
Mais la encore, c’est l’image du "cinglé risque tout " qui sous
tend tout l’article. Le problème c’est que l’enseignement de la chimie, dans
le primaire et le secondaire, est fait par des enseignants certes sérieux et
diplomés mais qui n’ont jamais mis les pieds dans un labo et ne le feront
jamais. On se contente de rabacher des manuels.. faits par d’autres
enseignants, bourrés d’erreurs , et destinés à résoudre le jour de l’examen
des problèmes tordus concoctés .. par d’autres enseignants ! De Gennes et
Charpak ont bien tentés par leur action "La main a la pate" de redresser la
barre mais tant qu’il n’y aura pas de stages periodiques obligatoires des
enseignants par exemple dans des labos du CNRS ou de l’Universite on restera
dans une optique purement scolaire et on continuera à voir la chimie, et les
chimistes, comme des zones inquietantes a la limite de la sorcellerie.
Cordialement
J.Deson