Je considère qu’un NON français serait fantastique

mercredi 13 avril 2005
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Comme quoi les syndicats européens ne sont pas aussi unanimes que l’on veut bien nous le dire...

Article paru dans l’Humanité

Horst Schmitthenner, d’IG Metall, évoque le coup de fouet qu’un rejet de la constitution pourrait donner à la coopération syndicale.

Les dirigeants allemands ont rejeté la procédure référendaire pour l’adoption du texte du traité constitutionnel européen. Le déplorez-vous ?

Horst Schmitthenner. Je le regrette beaucoup parce qu’il existe dans cette constitution des choses totalement inacceptables. Je pense notamment à ces dispositions qui conduisent à une militarisation de l’Union européenne. Et surtout à « la concurrence libre et non faussée » qui y est inscrite, c’est-à-dire l’économie de marché sans entrave, la totale liberté de manoeuvre pour le capital. Ainsi la lutte que nous avons conduite chez Opel [contre les charrettes de licenciements - NDLR] ou la résistance que nous organisons contre la mise en cause des acquis sociaux deviendraient bien plus difficiles encore si le texte était adopté.

La ratification par la voie parlementaire empêche un vrai débat public où les gens puissent prendre conscience de l’importance de ce qui est en jeu. Les démontages sociaux, la concurrence exacerbée entre les lieux de production avec ce chantage aux délocalisations pour obtenir des baisses de rémunérations ou l’allongement du temps de travail, ce sont des choses que subit la population depuis plusieurs années. Cela génère beaucoup de souffrances. Mais, le débat n’ayant pas lieu, les gens souvent ne font pas le lien avec la construction européenne néolibérale ou le texte de la constitution et les dangers qu’elle induit d’une accélération de ces phénomènes. Même si les choses sont en train d’évoluer et qu’un mouvement critique commence à s’affirmer dans les syndicats.

Quel est l’écho des débats du référendum français outre-Rhin ?

Horst Schmitthenner. Il parvient de plus en plus nettement jusqu’ici, en particulier depuis l’irruption des sondages - favorables au « non ». Cela joue un rôle indiscutable dans l’émergence de discussions plus critiques au sein des syndicats. Jusqu’alors, aux yeux de nombreux cadres syndicaux, le chapitre 2 du texte sur les droits fondamentaux permettait, à lui seul, de justifier une approbation. Car il n’apparaissait pas clairement que ces droits sociaux n’ont pas de caractère véritablement contraignant de telle sorte qu’il n’est pas du tout garanti que les - salariés européens puissent disposer, comme indiqué, d’un droit de grève sans restriction ou de l’autonomie tarifaire, etc.

Cette méconnaissance a reculé à la faveur des discussions dans votre pays. C’est pourquoi je considère qu’un « non » français serait fantastique. Car il contribuerait à accélérer encore ces prises de conscience. Et il permettrait du coup à tous les Européens, et à nous en particulier en Allemagne, d’exiger avec vous la renégociation d’un tout autre texte.

Et où se situeraient alors les syndicats allemands ?

Horst Schmitthenner. Je suis persuadé que si un « non » devait finalement l’emporter en France, cela ne signifierait pas l’irruption du chaos en Europe et l’impossibilité pour les syndicats de s’entendre sur un socle de revendications communes. Tout au contraire, cela provoquerait une inflexion des rapports de forces en faveur des salariés et plus généralement de la majorité des populations. Les débats sur l’Europe sociale pourraient être formidablement relancés par un rejet du texte, et je pense qu’alors des coopérations bien plus fructueuses seraient possibles entre syndicats européens. Ils pourraient ainsi mener une nouvelle réflexion sur une constitution qui place bien l’homme au centre des préoccupations et non le capital.

Tout un débat a eu lieu en France autour de la directive Bolkestein et du dumping social. En introduisant un système de jobs à 1 euro de l’heure, le pays le plus - développé d’Europe ne participe-t-il pas lui-même à ce dumping social ?

Horst Schmitthenner. Bien évidemment, vous avez raison, c’est une participation à ce dumping social. Cette décision qui consiste à construire un secteur à bas salaire et d’introduire un système de jobs à 1 euro (1) de l’heure n’est pas seulement redoutable pour les chômeurs, contraints d’accepter ces conditions, il l’est pour l’ensemble des salariés. Car ces bas salaires ou ces jobs à 1 euro sont attribués de plus en plus souvent pour des tâches qui correspondent à des emplois réguliers. Et l’ensemble du système salarial est ainsi tiré vers le bas. La constitution est rédigée de telle manière qu’elle « normalise » en quelque sorte cette course au moins-disant salarial.

Votre gouvernement joue aussi la carte du dumping fiscal puisqu’il vient de décider de ramener l’impôt sur les - sociétés à 19 %, un niveau record parmi les pays les plus développés. Quelles en sont les conséquences prévisibles et selon vous, cette démarche se situe-t-elle aussi dans la logique du texte constitutionnel européen ?

Horst Schmitthenner. Il est tout à fait clair effectivement que l’État s’appauvrit en renonçant à ces rentrées fiscales. Et ensuite, il argue que ses caisses sont vides pour ne plus donner de subvention afin d’équilibrer les déficits de l’assurance chômage, ce qui le conduit à programmer de nouvelles réductions des prestations. De la même façon, le soutien aux caisses d’assurances vieillesse n’est plus possible, etc., etc. Il est clair, et cette fois pour l’ensemble du mouvement syndical allemand, que ces baisses d’impôts ouvrent la porte à de nouveaux démontages sociaux. Avec la constitution, cette concurrence fiscale acquerrait une légitimité européenne et la porte serait définitivement ouverte à un nivellement des taux d’imposition du capital vers le bas. Si on voulait réellement d’une Europe sociale, il faudrait que la constitution puisse au contraire décréter l’interdiction de ce dumping fiscal en érigeant, par exemple, un seuil minimum d’imposition valable pour tous les pays.

Entretien réalisé par
Bruno Odent

(1) « Le système des jobs à 1 euro », introduit en même temps que la récente réforme du marché du travail, oblige tout chômeur de longue durée à accepter un « emploi » dit d’utilité publique s’il veut continuer à toucher l’aide sociale (environ 350 euros). Moyennant quoi, s’y ajoute la rémunération d’1 euro à l’heure.




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