Les États-Unis sauvent l’Irak, un fois de plus ?

mardi 19 août 2014
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Les tweets de l’ambassadrice étasunienne à l’ONU, Samantha Power, méritent de figurer avec les discours de George W. Bush dans les plus beaux exemples de rhétorique-au-service-d’un-empire.

Ses déclarations donnent à penser que les États-Unis sont une œuvre de charité qui cherche désespérément des gens de couleurs à sauver de par le monde. Les seuls à avoir vu une grande différence entre Obama et Bush sont ces libéraux qui ont projeté leurs rêves et leurs espoirs dans la campagne d’Obama en 2008. Dès 2012, il était clair qu’Obama marchait dans les pas de son prédécesseur, en fanfaronnant simplement un peu moins.

Obama retourne en Irak à contrecoeur : on oublie toujours qu’Obama partage la façon de voir de Donald Rumsfeld. Ce dernier n’a jamais cru en l’efficacité d’une invasion à grande échelle par de grosses armées. Il privilégiait les guerres rapides et bon marché – pour les États-Unis, c’est à dire – à coup d’opérations relativement courtes menées exclusivement par l’aviation et les forces spéciales. On perd alors moins de matériel quand on se trouve obligé de l’abandonner sur place.

Obama a insisté sur une chose : il ne laissera pas un califat s’instaurer en Syrie ou en Irak. Le quasi califat saoudien vieux d’un siècle n’a jamais dérangé les États-Unis ni leurs alliés occidentaux – qui ont d’ailleurs contribué à le mettre en place – bien que les fondations idéologiques de l’Arabie Saoudite et d’ISIS [1] soient exactement les mêmes. La déclaration officielle de l’ISIS sur “la destruction des cimetières et des tombes” n’a pas été commentée ni même mentionnée dans la presse arabique contrôlée par le pouvoir saoudien. Cela les embarrassait trop de diffuser des déclarations d’ISIS conformes aux enseignements religieux de nul autre que Mohammed ibn ‘Abdul-Wahab, le fondateur du wahhabisme qui est la doctrine politico-religieuse dominante de l’Arabie Saoudite et du Qatar.

ISIS n’est pas quelque chose d’étranger aux Musulmans religieux, même si de nombreux Musulmans mettent aujourd’hui une énergie exagérée à s’en défendre et à affirmer aux Occidentaux que “l’Islam” – qu’est-ce que l’Islam, et quel Islam ? – n’approuve pas vraiment les façons de voir et les interprétations d’ISIS. Et ce n’est pas faux. Le fait est que les principaux courants de l’Islam (trois sur les quatre écoles de jurisprudence Sunnite et dja’farite duodécimaine shiite) n’aiment pas les manières de penser, les excès, les pratiques et les interprétations d’ISIS. Le wahhabisme, par contre, est en parfait accord avec ISIS.

On peut dire, cependant, qu’il y a des schismes ou des courants du genre d’ISIS dans toutes les religions, y compris dans le bouddhisme qui est généralement considéré comme une religion pacifique et paisible en dépit des pogroms contre les musulmans encouragés et/ou menés par des moines bouddhistes en Birmanie ou au Sri Lanka. C’est dans la nature des religions de générer des courants intolérants, élitistes ou sanguinaires. Mais pour les laïcistes occidentaux les musulmans représentent la seule menace à la laïcité alors que même la Cour Suprême des États-Unis en est une.

Avant de lancer la campagne de bombardements, Obama a largué de la nourriture dans les montagnes de Sanjar. On peut seulement espérer qu’il n’ont pas commis les mêmes erreurs qu’en Afghanistan où les avions étasuniens avaient largué de telles quantités de nourriture que des civils innocents sont morts d’un excès de “riz et de haricots,” pour ainsi dire. Il faut espérer que cette fois les colis sont plus petits.
Chaque fois que le sujet des minorités revient sur le tapis, on a droit aux habituels clichés orientalistes occidentaux : à savoir que les minorités chrétiennes et Yazidis (ou plutôt Azidis) sont persécutées par les musulmans. Mais ces minorités coexistent sous "l’Islam" depuis des siècles. Certes elles ne jouissaient pas de l’égalité des droits mais qui en jouissait ? Elles ont survécu beaucoup mieux sous Saddam que les minorités non-religieuses sous la férule de l’état juif d’Israël. En fait, Israël est le point culminant d’une idéologie de type ISIS, mais il se trouve être l’allié de l’Occident exactement comme le Wahhabisme.

En ce moment on ne parle que des Azidis. On les décrit comme des victimes par essence alors qu’ils sont tous victimes de l’Arabie Saoudite et d’ISIS. Ces idéologies s’attaquent à leurs frères musulmans avant de s’attaquer aux autres. Mohammed Ibn `Abdul-Wahab a commencé sa campagne de fanatisme en lapidant une femme sunnite, longtemps avant de s’en prendre aux Shiites du nord. Ni les musulmans ni les chrétiens n’ont rien compris aux croyances des Azidis qui ont, en plus, souffert de la discrimination et de l’hostilité anti-Kurde. Ni les musulmans ni les chrétiens ne se sont intéressé à leur doctrine et encore moins essayé de les comprendre. Leur système complexe de croyances comprend le culte du Dieu Paon qui a toujours été confondu par les musulmans et les chrétiens avec Satan. Mais les Azidis, comme tous les groupes religieux, ont aussi leurs préjugés. Leurs membres n’ont pas le droit de se convertir à une autre religion : en 2007, une femme Azidi a été lapidée à mort dans ce même territoire parce qu’elle s’était convertie à l’Islam. Cela a provoqué une mini-guerre sectaire.

Les États-Unis veulent, selon Obama, protéger l’ordre politique. Ceux qui défient les États-Unis en Irak devront partir même s’ils ont été recrutés par les États-Unis il y a seulement quelques années. Les avions étasuniens vont assurer la poursuite de l’occupation étasunienne sous d’autres formes et les aéroports d’où les drones partiront vont se multiplier dans tout le Moyen Orient, si ce n’est pas déjà fait.
Les États-Unis commencent des guerres qu’ils ne veulent pas terminer, et les nouveaux candidats à la présidentielle doivent promettre de faire d’autres guerres dès qu’ils seront élus, à condition que ces guerres soient menées contre des Arabes ou des Africains. Pour combattre le “terrorisme” - la formule toute faite qui recouvre cette mission éternelle - on trouve toujours assez d’argent et de soldats (le fondateur de l’idéologie Baath affirmait comiquement qu’elle contenait un "message éternel" mais la "guerre" étasunienne "contre le terrorisme" se révèle plus éternelle que le message des Baath).

L’omission la plus frappante lorsque l’on parle d’ISIS est la dimension syrienne. ISIS n’est pas sorti du néant : il a été élevé, nourri et fortifié par la politique suivie par les États-Unis dans deux pays voisins, la Syrie et l’Irak. En Irak, l’occupation étasunienne a suscité la formation de nouveaux groupes de combattants djihadistes là où il n’y en avait pas auparavant (exactement comme l’intervention de l’OTAN en Libye). En Syrie, les États-Unis ont fait encore pire ; ils ont permis à leurs alliés, le Qatar, l’Arabie Saoudite et la Turquie d’armer et de financer toutes les milices qui combattaient Bashar al-Assad, même si ces milices avaient des idéologies que al-Qaeda lui-même trouvait trop extrémistes. Les États-Unis n’ont pas pensé qu’il y en aurait pour longtemps : ils étaient convaincus que Bashar serait renversé en quelques semaines, tout au plus un mois, et que ces groupes se dissoudraient purement et simplement d’eux-mêmes. Voilà la véritable histoire de l’ascension d’ISIS.

Les États-Unis sont toujours à l’oeuvre dans une région qu’ils essayent de remodeler depuis le 11 septembre. Les États-Unis n’en reviennent pas de ne pas encore contrôler toutes les pièces de la région. Et ils continuent de croire qu’une "petite" guerre de plus, ou qu’une campagne de bombardements de plus vont faire tomber les pièces à la bonne place, et que l’ordre étasuno-saoudien pourra enfin régner. Le rêve chimérique des États-Unis va rencontrer de plus en plus d’obstacles, du fait, notamment, que les membres de sa coalition se retournent les uns contre les autres.

As’ad AbuKhalil

Traduction : Info-Palestine.eu - Dominique Muselet

Transmis par Linsay



Al-Akhbar (littéralement « Les Nouvelles ») est un journal libanais lancé le 14 août 2006, en pleine guerre entre Israël et le Hezbollah. Plutôt de gauche, Al-Akhbar se veut l’expression du refus de la politique occidentale au Moyen-Orient. Son créateur, Joseph Samaha, ancien rédacteur en chef du quotidien progressiste libanais As-Safir, était l’un des journalistes les plus influents du Liban. (wikipedia)

As’ad AbuKhalil est professeur de science politique à l’université d’État de Californie à Stanislaus, et professeur associé à l’université de Californie à Berkeley. Il est également l’auteur du Dictionnaire historique du Liban (1998), Ben Laden, l’islam et la nouvelle ’Guerre contre le terrorisme’ américaine (2002) et La bataille pour l’Arabie saoudite (2004). Il contribue régulièrement à Al-Akhbar.

article original en anglais : http://english.al-akhbar.com/content/isis-us-saves-iraq-yet-again


[1Islamic State of Iraq and Sham, c’est-à-dire « État islamique en Irak et au Levant »



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