Un mandat d’arrêt aussi spectaculaire qu’inutile

vendredi 13 mars 2009
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En demandant l’arrestation d’Omar El-Béchir pour les crimes commis au Darfour, la Cour pénale internationale a décidé de faire un coup d’éclat, tout en sachant que le président soudanais ne sera pas traduit devant ses juges, estime l’ancien président du Tribunal pénal pour l’ex-Yougoslavie Antonio Cassese.

Le mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale (CPI) contre le président soudanais Omar El-Béchir est moralement justifié. Il a le contrôle politique et militaire du pays et il ne peut donc ignorer les atrocités qui ont été commises au Darfour. Il ne peut pas ne pas en être responsable, ne serait-ce parce qu’il n’a pas empêché ces crimes ni n’a puni leurs auteurs. Et il n’y a pas de doutes sur le fait que le mandat aura un fort impact psychologique et médiatique et qu’il va délégitimer politiquement El-Béchir. Mais, au-delà, quel peut être son impact dans la pratique ?

Ce mandat ne peut être exécuté qu’au Soudan, et uniquement si le président soudanais lui-même autorise ses forces de l’ordre à l’arrêter. En dehors du Soudan, cet ordre n’a quasiment aucun poids juridique. Les statuts de la CPI établissent en effet que si le chef d’un Etat qui les a ratifiés commet un crime comme le génocide ou un crime contre l’humanité, il peut être jugé car il ne peut invoquer l’immunité le protégeant habituellement. Mais s’il s’agit du chef d’un Etat qui n’a pas ratifié les statuts, comme le Soudan, cette immunité peut être invoquée.

Toutefois, lorsque – comme c’est le cas pour le Darfour – c’est le Conseil de sécurité de l’ONU qui demande à la CPI de juger les crimes commis par les organes d’un Etat qui n’a pas ratifié les statuts, le Conseil peut décider que tous les autres Etats membres de l’ONU doivent lever l’immunité dont bénéficient les responsables, comme Omar El-Béchir, de l’Etat incriminé. Dans le cas du Darfour néanmoins, le Conseil s’est bien gardé de faire ce pas, et il s’est limité à imposer au Soudan de « coopérer avec la Cour ». On revient dont à la case départ : le mandat d’arrêt ne peut être exécuté que si ce sont les forces de l’ordre soudanaises qui arrêtent El-Béchir et qui le remettent à La Haye.

Ce mandat est donc un coup d’épée dans l’eau. Quelle est la leçon que l’on peut en tirer ? Premièrement, que lorsque l’on n’a pas le pouvoir de faire appliquer ses ordres, il vaudrait mieux agir avec prudence. Au lieu d’un mandat d’arrêt, le procureur aurait pu demander un ordre de comparution : de cette façon, le président soudanais aurait pu comparaître libre devant la Cour pour faire valoir ses raisons et contester les accusations. Deuxièmement, on n’administre pas la justice avec des fanfares. Le 14 juillet 2008, le procureur avait attiré les projecteurs sur sa demande de mandat, en annonçant aux quatre vents les responsabilités d’El-Béchir. Les juges ont ensuite mis sept mois pour réfléchir à la question, un laps de temps en contradiction avec la nature même du mandat d’arrêt, qui est un acte urgent rendu nécessaire par l’exigence d’empêcher la fuite de l’accusé ou de la personne mise en examen, l’altération des preuves ou la récidive. N’aurait-il pas été plus sage de garder cette requête secrète ?

« Fiat justitia, pereat mundus » : justice soit faite, quel qu’en soit le prix. La maxime s’applique-t-elle dans ce cas aussi ? Le président du Soudan a pris depuis un moment des mesures politiques et diplomatiques pour annuler les conséquences politiques de cet acte judiciaire. Par ailleurs, il a subtilement renforcé son autorité au sein de l’Union africaine, tout en durcissant ses relations avec l’Europe et les Etats-Unis. Les perspectives d’une cessation des crimes au Darfour semblent s’éloigner, ainsi que celles d’une solution pacifique au conflit entre le gouvernement et les rebelles de la région. La justice internationale ne devrait pas faire obstacle aux solutions politiques des crises internationales complexes dans le cadre desquelles de très graves crimes sont commis. Dans tous les cas, la justice spectacle doit être évitée à tout prix.

Par Antonio Cassese dans La Repubblica du 03/2009

Transmis par Linsay



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