Lettre d’un africain de Paris

vendredi 18 mars 2011
popularité : 4%

Ou quand M6 se laisse contaminer par les clichés les plus racistes...

Cher M. Bernard de Villardière,

C’est avec un certain étonnement et une forme de dépit que j’ai regardé Dimanche 6 Mars dernier votre soi disant "enquête exclusive" sur l’"étonnante" vie des Africains de Paris. En tant qu’africain et en tant que téléspectateur plus ou moins régulier de M6, j’étais doublement concerné par le sujet de cette émission. Et si je ne m’attendais pas à voir un reportage particulièrement valorisant pour les Africains, j’avais la naïveté de penser que, pratiques journalistiques obligent, vous auriez au moins fait l’effort de tendre vers l’exhaustivité et pratiquer la nuance tant ces sujets communautaristes peuvent être délicats.

Malheureusement, et ce n’est pas nouveau dans le PAF quand il s’agit de traiter de la communauté Africaine, des Musulmans ou des Noirs, la caricature, l’infantilisation et la prolifération des clichés, terreaux du racisme ordinaire, continuent d’être les maîtres mots. Pour le cas d’espèce, en lieu et place d’un reportage pédagogique, documenté et instructif qui aurait permis de découvrir la communauté Africaine pour ceux qui ne la côtoient pas ou ne la connaissent pas, les téléspectateurs ont eu droit au lot de caricatures habituelles habilement distillées dans l’imaginaire collectif.

Au final, dans votre fameuse enquête exclusive, de quoi était-il question ?

Premièrement, d’une Miss Sénégal de France qui habite avec ses parents dans un HLM où ils sont neuf, mangent du riz dans une gamelle à plusieurs et dont le papa, chef de famille, immigré de longue date naturalisé Français, maîtrise moyennement la langue de Molière. A part les caricatures subliminales sur le style de vie (famille nombreuse, non maîtrise de la langue, etc), vous n’avez daigné présenter aucune information sur le papa qui a certainement travaillé toute sa vie dans une usine française et payé ses impôts comme contribuable tout son séjour durant.

Ensuite, M. De La Villardière, vous nous avez présenté un sympathique Congolais de Kinshasa "habitant en banlieue" qui semblait avoir plutôt réussi dans l’entrepreneuriat. Mais, visiblement, cette réussite n’était pas importante pour l’émission puisque votre reportage s’est focalisé sur ce qui était pourtant un aspect secondaire de son existence, sa passion pour la sape, qui n’avait en réalité rien à voir avec son "statut" d’Africain.

Le "bachelor", comme ce Congolais se surnommait lui même, a finalement été présenté comme un personnage un peu fantasque, une sorte comédien en représentation dans une pièce de théâtre, alors qu’il s’agissait en premier lieu d’un entrepreneur dans toute sa plénitude ayant réussi à monter deux boutiques de prêt à porter en plein Paris.

En troisième position, votre enquête exclusive, toujours pour illustrer cette si "étrange" vie que mènent les Africains à Paris, a présenté une Camerounaise qui vend ce que vous avez appelé du "safou" sur le trottoir de Château d’Eau et qui remballe tout son attirail à chaque fois qu’elle voit les policiers arriver. Ainsi, en plus de laisser filtrer insidieusement l’image d’Africains vivant du commerce de denrées exotiques en toute illégalité, vos journalistes n’ont pas manqué de préciser qu’il s’agissait de la fille du "maire de Yaoundé", comme pour dire que les problèmes des Africains à Paris transcendent les clivages sociaux locaux.

Or, ce que vous auriez du noter, c’est que Yaoundé n’a pas de maire mais un délégué du gouvernement qui chapeaute la ville et des maires d’arrondissement, comme Paris. Donc parler de « maire de Yaoundé » est au mieux une information incomplète. Par ailleurs, combien y a t-il de vendeuses à la sauvette Africaines dans Paris pour que cette jeune Camerounaise, aussi respectables que soient les efforts qu’elle déploie pour combattre les difficultés du quotidien, ait qualité à faire partie d’un panel d’Africains de la capitale ? La question pourrait être posée pour la Miss Sénégal et le reste des Africains présentés dans votre émission.

En quatrième partie du reportage, M. De La Villardière, vous nous avez permis de "découvrir" des prostituées Nigérianes, toujours de château d’Eau, qui "embêtaient" ces bons vieux Français de souche, Blancs, natifs du quartier, qui n’en pouvaient plus de cette déferlante sexuelle en bas de leurs halls d’immeuble ou sur le palier de leurs appartements. Là encore, présenter des prostituées est une chose et c’est une réalité qu’on ne peut pas nier. Mais faire croire qu’elles n’empêchent que les Blancs du quartier de tourner en rond et pas les Noirs, qui s’en accommoderaient plus facilement, est pour le moins trompeur.

Or c’est ce que votre reportage a essayé de faire valoir, toujours de manière subliminale, en interviewant, après une réunion des habitants du quartier de la goutte d’or, un habitant Noir, orientant ses réponses vers une relativisation des problèmes liés à la prostitution dans le quartier, comme si ce dernier acceptait que leurs lieux d’habitation soient transformés en maison de passe à ciel ouvert.

En guise de clôture de votre émission, le dernier sujet, ficelé pour apporter la nuance et un peu de lumière sur l’ ensemble des thèmes abordés précédemment - la face obscure de la vie de la majorité des Africains de Paris selon vous - a mis en avant une jeune restauratrice franco-sénégalaise, Rougui Dia, chef cuisinier dans un restaurant de la place de Paris, censée représenter le profil même des élites Africaines de Paris (avec bien évidemment les sportifs, qu’on n’a pas présentés pour le coup).

Si le succès de cette dame est incontestable et fort respectable, il est surprenant que la seule personne choisie pour incarner la réussite (exceptionnelle si on en croit l’ensemble de l’émission) de certains Africains de Paris soit issue des milieux de la gastronomie et donc de l’apprentissage (CAP et BEP ou Bac pro en général, ce qui est le cas pour Rougui Dia). N’y avait-il pas de politiques, d’intellectuels, de scientifiques ou de cadres supérieurs à présenter pour illustrer l’éclosion d’un élite Africaine en Ile de France ? Et quid aussi de ces étudiants Africains qui constituent une bonne part des immigrés Africains dans l’hexagone ?

Si j’ai beaucoup d’estime pour l’ensemble des personnages qui ont été présentés dans votre reportage, M. De La Villardière, je pense néanmoins qu’il aurait fallu au minimum présenter la vie d’un étudiant Africain à Paris (ils sont nombreux dans les grandes écoles et universités de Paris) et celle d’un cadre supérieur d’une profession dite "intellectuelle" ou même, si vous souhaitiez vraiment rester dans les clichés, le parcours de l’un de tous ces Africains qui se battent dans des métiers difficiles (BTP, hôtellerie, gardiennage) que le Français lambda, Blanc, refuse en général de faire.

Par ailleurs, j’aimerais vous préciser, M. De La Villardière, que vous auriez dû éviter de faire l’amalgame habituel entre Africains et Noirs. Un Noir n’est pas nécessairement Africain et un Africain n’est pas nécessairement Noir. Donc vous me voyez très surpris de constater que dans une émission dédiée aux Africains de Paris, on n’ait pas parlé des Maghrébins.

Je suis d’autant plus surpris que vous ayez présenté la Miss Sénégal de France comme une Africaine alors qu’il a bien été mentionné dans l’émission que cette charmante demoiselle de 19 ans était Française, née en France, y avait grandi et n’était jamais allée dans le pays d’origine de ses parents (eux même naturalisés), le Sénégal. De même, la chef Rougui Dia, certes d’origine Sénégalaise, est une Française à part entière, née en France, qui ne connaît le pays d’origine de ses parents qu’à travers quelques voyages épisodiques.

Pourquoi donc parler de ces deux femmes, exceptionnelles chacune à leur manière au demeurant, dans une émission sur les Africains de Paris alors qu’elles ne sauraient prétendre les représenter ? On est là encore dans cette totale confusion entre minorités visibles, Noirs et Africains.

Cette enquête exclusive était donc au mieux une émission insidieusement raciste. Ce racisme là qui ne s’exprime plus ouvertement mais qui est véhiculé par la caricature, le cliché et qui confirment les préjugés et la différenciation raciale. Le traitement médiatique des communautés, qu’elles soient religieuses ou ethniques, doit être abordé avec de la rigueur et les plus grandes précautions. Les émissions comme celles là, si on veut qu’elles aient du sens, doivent avoir des vertus pédagogiques pour le téléspectateur lambda qui se base sur ce qu’il voit pour se faire une idée sur ces "mondes" qu’il ne côtoie pas au quotidien.

Et en cette période trouble où on nous dit que Marine Le Pen caracole en tête des sondages, on se demande si des reportages racialistes de ce type ne sont pas là pour lui donner du grain à moudre. In fine, la meilleure réponse que ces "étonnants" Africains puissent vous faire, M. De La Villardière, ce serait certainement de ne plus jamais regarder votre "enquête exclusive". J’espère qu’ils n’y manqueront pas.

Olivier Nyobe,
Téléspectateur "Africain" de M6




Commentaires

Sites favoris


20 sites référencés dans ce secteur