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UKRAINE : « QUELLE POSITION » ?

dimanche 15 décembre 2013

Au moment ou Mac Kain, le candidat républicain aux dernières présidentielles US vient à Kiev apporter son soutien aux opposants, (ce qui en dit long à la fois sur la nature de l’opposition et sur "l’indépendance" de l’UE vis-à -vis des USA), un article qui remet les pendules à l’heure.

La question m’est posée – comme au temps de la « révolution orange » en 2004 – de savoir s’il ne faut pas « prendre position pour un camp contre l’autre », soit pour les opposants unanimement soutenus en Occident, soit pour ceux qui résistent aux ingérences occidentales, en l’occurrence maintenant : le pouvoir légal contre des émeutiers cherchant à « renverser le régime » avec l’encouragement de Bruxelles et de Washington, car c’est bien de cela qu’il s’agit et la violence première n’est pas celle du pouvoir, manifestement confus et incapable de se défendre !

Comme à l’époque, je ne vois aucune raison de « choisir un camp », en l’occurrence un clan de l’oligarchie industrielle et financière contre un autre, les groupes dominants de l’Est, plus proches de la Russie, contre d’autres groupes implantés à l’Ouest , soutenus par les EU et l’UE, et vice-versa. Je n’ai « d’intérêts » dans aucun.

Donc, « ni, ni » ? Désolé, oui : « ni, ni ». Mais pas équidistance pour autant, ni indifférence quant à ce qui se joue entre des acteurs auxquels nous ne nous identifions pas, qu’ils soient « décideurs » (Kiev, Moscou, Bruxelles, Washington) ou manifestants manipulés par ces mêmes décideurs ou par des aventuriers fascistes.

Il y a, dans le débat ukrainien tel qu’il nous est présenté, simplifié à outrance (« prorusses » contre « proeuropéens ») non seulement une caricature (les prorusses ne sont pas antieuropéens, et entre Yanoukovitch et Poutine ce n,’est pas le grand amour) mais surtout une grande absence : le peuple ukrainien, les travailleurs, les paysans, soumis à un capitalisme de choc, à la destruction systématique de tous leurs acquis sociaux, aux pouvoirs mafieux de tous bords.

Je crois que notre vision occidentale – y compris « à gauche » - de l’Ukraine est largement tributaire de préjugés anticommunistes et antirusses. Mais ce n’est pas tout : nous ne voyageons ou nous ne rencontrons généralement que des Ukrainiens de l’Ouest (la très grande majorité des émigrés viennent de l’Ouest) ou de Kiev, s’agissant des élites occidentalisées. C’est cette partie du pays et des populations que nous sentons les plus proches, qui nous renvoient un peu notre image. Même les militants de gauche aiment rencontrer, à Moscou, à Kiev, des gens qui leur ressemblent, parlent leur langue. A l’Est, c’est plus russe, plus ouvrier, plus soviétique, donc moins compréhensible pour l’intellectuel occidental. Et l’intellectuel ukrainien qu’il va rencontrer cherchera, à son tour, à parler comme on parle à Paris ou à Londres. C’est vrai pour les militants comme pour les businessmen : on est dans le « village global », on parle « globish », c’est l’esprit de la jet society.

Le salut par l’Europe ? Beaucoup de jeunes, à Kiev et ailleurs, y compris à l’Est, y croient ferme et ne comprennent pas qu’il faille encore des visas. Si nous leur offrions le libre passage, de beaux appartements chics et des salaires plantureux, toute l’Ukraine se viderait. Autant que l’Afrique. Le problème, que l’on, comprend mal à Kiev, c’est qu’on « ne peut accueillir toute la misère du monde », même ukrainienne. Voyez d’ailleurs nos difficultés avec les Grecs, les Portugais !

Les défenseurs du « choix européen », à Bruxelles ou à Kiev, n’ont apparemment que faire des conséquences désastreuses qu’aurait, pour les productions locales, les emplois, le niveau de vie une « adhésion à l’Union Européenne » qui, de toute façon, n’est pas à l’ordre du jour mais qui, avant de l’être, les priverait déjà de leur « marché naturel » en Russie et dans le reste de l’ex-Union soviétique.

Je ne suis pas en mesure de juger des résultats éventuels d’une intégration à l’Union douanière Russie-Belarus-Kazakhstan-Ukraine, qui a certes l’avantage de se fonder sur une communauté séculaire, des liens économiques, technologiques, humains, au moins à l’Est et au Sud. Seraient-ils désireux de se retrouver dans la banlieue de Bruxelles ? Beaucoup y sont déjà , exploités à outrance dans les chantiers de construction, les serres d’Andalousie, les réseaux de prostitution – des millions d’Ukrainiens ont pris le chemin de l’exil de puis la fin de l’URSS qui a signifié, pour eux encore plus qu’en Russie, une catastrophe.

Je pense que le « désir d’Europe » que l’on voit s’exprimer sur Maïdan est surtout le fruit de fantasmes, et sans doute d’intérêts d’une nouvelle bourgeoisie, d’une jeunesse très excitée par notre « look », mais aussi de l’action tentaculaire des fondations et médias financés par les Etats-Unis et l’Union Européenne pour promouvoir l’idéologie occidentaliste, le libre échange, le consumérisme, la russophobie. Prétendre « analyser » ou même « soutenir » la contestation en cours (comme la « révolution orange » il y a dix ans) sans mentionner ou en minimisant ces interventions extérieures relève de l’aveuglément ou de la manipulation intellectuelle. Or, je constate que celle-ci a lieu dans les médias habituels, sans surprise, mais encore dans les milieux « de gauche » qui, de facto, participent à cette espèce d’idéologie coloniale se réclamant des « valeurs » de l’Europe.

Il y a plus grave, c’est l’occultation ou la minimisation d’un phénomène que l’on qualifie aimablement de « nationaliste » et qui est de fait néofasciste voire carrément nazi. Il est principalement (mais pas uniquement) localisé dans le parti SVOBODA, son chef Oleg Tiagnibog et la région occidentale correspondant à l’ancienne « Galicie orientale » polonaise. Combien de fois n’ai-je vu, entendu, lu des citations de ce parti et de son chef comme « opposants » et sans autre précision ?

On parle même de sympathiques jeunes « volontaires de l’autodéfense » venus de Lviv (Lwow, Lemberg) à Kiev, alors qu’ils s’agit de commandos levés par l’extrême-droite dans cette région qui est son bastion.

Lourde est la responsabilité de ceux – politiques, journalistes – qui jouent à ce jeu, à la faveur de courants xénophobes, russophobes, antisémites, racistes, célébrant la mémoire du collaborationnisme nazi et de la Waffen SS dont la Galicie (et non toute l’Ukraine !) fut la patrie. Les bureaucrates de Bruxelles jouent avec le feu.
Il semblerait que la haine de la Russie soit devenu le ciment de notre idéologie médiatique, littéralement hystérique sur ce plan.

Et je pense également aux « spécialistes de l’Ukraine » sur la place de Paris, qui sont de mèche avec les « historiens » militants, héritiers de l’Organisation des Nationalistes Ukrainiens alliés aux nazis puis convertis au « Monde libre » pendant la guerre froide, aujourd’hui idéologues du nationalisme en Ukraine…et presque tous originaires de la même région galicienne. Un fameux pot aux roses !

Il importe aussi de savoir (combien de fois faut-il le répéter ?!) que l’Ukraine est partagée – historiquement, culturellement, politiquement – entre l’Est et l’Ouest, et qu’il n’y a aucun sens à dresser l’une contre l’autre, sauf à miser sur l’éclatement voire la guerre civile, ce qui est peut-être bien le calcul de certains. A force de pousser à la cassure, comme le font les Occidentaux et leurs petits soldats sur place, le moment pourrait bien venir où l’UE et l’OTAN obtiendront « leur morceau » mais où la Russie prendra le sien ! Ce ne serait pas le premier pays qu’on aurait fait délibérément exploser, en misant sur le « clash des civilisations », en l’occurrence ici les écarts entre ukraïnophones et russophones, entre cultures industrielle-urbaine de l’Est et agricole-rurale de l’Ouest, entre Orthodoxie majoritaire à l’Est, et catholicisme uniate (uni au Vatican) influent à l’Ouest. Nul ne doit ignorer non plus que le choix européen serait également militaire : l’OTAN suivra et aussitôt se posera la question de la base russe de Sebastopol, de la Crimée majoritairement russe et stratégiquement cruciale pour la présence en Mer Noire. L’un des buts poursuivis est
évidemment le débarquement de troupes étatsunienne dans le sud de l’Ukraine. On doute qu’un Poutine leur fasse le tapis rouge.

Rien de tout cela ne « légitime » la politique du pouvoir en place, largement responsable de la crise sociale qui profite à l’extrême-droite…et aux trompeuses sirènes de l’Union Européenne et de l’OTAN. Pouvoir impuissant, de fait, défenseur qu’il est d’une oligarchie et non « de la Patrie » dont il se réclame.

Il y a de telles situations, où le choix d’un « camp » contre un autre serait absurde, mais où il importe d’être lucide, de chercher à comprendre, de détecter les dangers.

Hélas pour les Ukrainiens, les temps de confusions et de convulsions vont encore durer. Et « l’Europe » rêvée n’existe que dans les rêves.

Jean-Marie Chauvier


Jean-Marie Chauvier (né en 1941 à Bruxelles) est un journaliste et essayiste politique belge, spécialiste de l’URSS et de la Russie.
Il collabore au mensuel Le Monde diplomatique et à divers autres journaux et sites internet.

En médaillon une manifestation du parti communiste d’Ukraine contre l’OTAN

Messages

  • Il y a de nombreux endroits dans le monde où le peuple est déchiré entre des clans bourgeois et des réactionnaires, et ceux qui s’opposent à l’impérialisme occidental ne brandissent pas systématiquement la faucille et le marteau, mais il faut malgré tout distinguer les appétits impérialistes lorsqu’ils se manifestent, et nous y opposer avec fermeté.

    L’hypocrisie de l’Europe est à peine déguisée et ses appétits annexionnistes transpirent par tous les pores.
    Selon certains commentateurs elle n’est pas capable d’absorber les difficultés économiques de l‘Ukraine. Je n’en crois pas un mot.
    L’article dit :
    Le problème, que l’on, comprend mal à Kiev, c’est qu’on « ne peut accueillir toute la misère du monde », même ukrainienne. Voyez d’ailleurs nos difficultés avec les Grecs, les Portugais !

    C’est là que se trouve précisément le nœud de la question : il ne s’agit pas d’accueillir la misère du monde mais d’en extirper le dernier cent
    Qui a des difficultés ? Notre peuple avec les grecs ou bien les Grecs avec la BNP et la Bundesbank ?

    L’Ukraine devrait selon les stratèges US et Européens rejoindre l’armée des pays de second ordre en Europe, réduits en esclavage financier et saignés jusqu’à descendre au rang de pays émergent.

    Poursuivons sur la misère du monde :
    Le cynisme de nos socialistes est tel qu’ils font mine de s’opposer avec énergie à la « concurrence déloyale » des travailleurs détachés tout en ouvrant largement les filets pour pêcher d’autres. Comment pourrait-il en être autrement ?
    L’épisode des bonnets rouges montre que l’essorage des TPE et des PME par la bourgeoisie monopoliste arrive en phase terminale.
    Le statut des auto entrepreneurs est un exemple du laminage des artisans, les travailleurs détachés en sont un autre et à double détente puisqu’ils exacerbent la concurrence entre les ouvriers.

    Nous n’avons pas à nous en laver les mains au nom de notre bonne conscience européenne pétrie de la philosophie des Lumières, de Démocratie et de Liberté, derrière cette façade il n’y a rien d’autre que l’ingérence, la subversion, les guerres civiles, les génocides et les guerres "humanitaires" jusqu’à nos frontières.

    Ceci est la conséquence directe de la crise économique : la perte des profits transforme les capitalistes financiers européens en véritables bêtes de proie.
    On disait à propos des fascistes qu’ils étaient assoiffés de sang. On peut le redire aujourd’hui.
    Derrière le sourire bonhomme de notre président normal il y a des intérêts et des urgences financiers sans commune mesure avec ceux de la deuxième guerre, et qui justifient toutes les exactions, mais si possible par peuples interposés.

    Nous n’avons pas à nous ingérer dans les affaires des peuples mais il est de notre devoir de dénoncer les ambitions et les appétits impérialistes, tout particulièrement ceux de nos propres exploiteurs.

  • Chez nous, on peut compter sur le socialiste Hollande pour nous éviter un tel montage « révolutionnaire ». A moins que lors de ses voeux le premier janvier il n’annonce une sortie de l’euro et de l’OTAN, une hausse du SMIC et des prestations sociales, une limitation de la spéculation, une baisse de la TVA, une meilleure protection des salariés et des services publics, un moratoire sur les OpEx colonialistes dispendieuses...
    Non, aucune chance : on peut compter sur lui pour nous éviter cela.

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