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Palestine, ces prisonniers ignorés en grève de la faim
samedi 12 mai 2012
Imaginons un instant deux mille prisonniers politiques en Chine engagés dans une grève de la faim depuis plusieurs semaines ; ou bien deux mille autres, mobilisés dans un mouvement similaire en Russie. Il y a peu de doute que les télévisions et les radios, si promptes à se mobiliser sur les atteintes aux droits humains dans de lointains pays, ouvriraient leurs bulletins d’information sur cette nouvelle, s’indigneraient de cette violation des droits élémentaires, appelleraient nos autorités à réagir et même à intervenir, à imposer des sanctions à Pékin ou à Moscou.
Il y a bien deux mille prisonniers politiques qui font la grève de la faim, mais en Palestine. Et l’information ne semble pas intéresser grand-monde. Mais nous le savons depuis longtemps, les Palestiniens, les Arabes, les musulmans ne sont pas vraiment des êtres humains comme les autres.
Revenons d’abord sur les faits, rapportés par le correspondant du Monde (« Le mouÂvement de grève de la faim des priÂsonÂniers palesÂtiÂniens en Israël s’étendrait à 2 000 détenus », Lemonde.fr, 6 mai) :
« Israël éprouve des difÂfiÂcultés croisÂsantes à contrôler le mouÂvement de grève de la faim des priÂsonÂniers palesÂtiÂniens, qui ne cesse de s’étendre. ComÂmencée le 17 avril pour proÂtester contre la praÂtique de la détention admiÂnisÂtrative (qui permet de mainÂtenir un suspect en prison sans jugement, pendant une période de six mois renouÂveÂlable), cette action regrouÂperait aujourd’hui quelque 2 000 détenus, selon Addameer, l’association palesÂtiÂnienne de défense des droits des prisonniers. » (...)
« Deux priÂsonÂniers au moins sont dans un état criÂtique : Bilal Diab, âgé de 27 ans, est oriÂgiÂnaire de Jénine, et Thaer Halahla, âgé de 33 ans, oriÂgiÂnaire de Hébron (tous deux membres du Djihad islaÂmique), ont comÂmencé leur grève de la faim le 29 février. Après soixante-six jours sans aliÂmenÂtation, ils sont entrés dans ce que les médecins appellent “une phase aléaÂtoire de survie”. Les deux hommes ont comparu, jeudi 3 mai, sur une chaise rouÂlante, devant le Cour suprême d’Israël, mais celle-ci a renvoyé sa décision sur une évenÂtuelle remise en liberté à une date ultérieure. »
« Au moins six autres priÂsonÂniers sont dans un état de santé jugé alarmant. Ce mouÂvement de grève s’est étendu aux prinÂcipaux centres de détention en Israël, et pluÂsieurs chefs de file de la résisÂtance palesÂtiÂnienne, comme Ahmad Saadat, chef du Front popuÂlaire pour la libéÂration de la Palestine (FPLP), l’ont rejoint. Alors que les maniÂfesÂtaÂtions de soliÂdarité se mulÂtiÂplient dans pluÂsieurs villes palesÂtiÂniennes, le gouÂverÂnement du premier ministre israélien, Benyamin NétaÂnyahou, hésite sur la conduite à adopter. »
Cette grève pose d’abord la question des détentions administratives (c’est-à -dire sans preuve et sans jugement), une pratique héritée de l’époque du mandat britannique, quand Londres luttait (1944-1948) contre le « terrorisme sioniste ». Comme je le rappelle dans De quoi la Palestine est-elle le nom ?, ces lois d’exception avaient été dénoncées par nombre de juristes, dont le docteur Moshe Dunkelblum, qui devait siéger plus tard à la Cour suprême d’Israël. Le 7 février 1946, il déclarait : « Ces ordonnances constituent une menace constante contre les citoyens. Nous, juristes, voyons en elles une violation flagrante des principes fondamentaux de la légalité, de la justice, de la discipline. Elles légalisent le plus parfait arbitraire des autorités militaires et administratives. (…) Elles dépouillent les citoyens de leurs droits et confèrent aux autorités des pouvoirs illimités. » Mais, une fois arrivés au pouvoir, les sionistes oublièrent ces critiques et retournèrent ces lois contre les Arabes.
La Cour suprême d’Israël, que certains présentent comme le garant de la démocratie dans ce pays, a rejeté l’appel de deux prisonniers administratifs en grève de la faim depuis deux mois [1]. En toute hypocrisie, elle a noté que cette pratique de la détention administrative était « une aberration dans le domaine juridique » et devait donc être utilisée « aussi peu que possible », mais les prisonniers qui avaient fait appel étaient déboutés. Il fut un temps où Israël autorisait officiellement des « pressions physiques modérées » contre les détenus palestiniens : un peu de torture, pas trop... Une décision que cette Cour suprême « humaniste » a soutenue jusqu’en 1999 (on était, à l’époque, en pleines « négociations de paix » entre Israël et l’OLP !).
La grève des prisonniers palestiniens a été relayée par les déclarations de Richard Falk, le rapÂporteur spécial de l’ONU pour les droits de l’homme dans les territoires palesÂtiÂniens occupés, qui s’est déclaré « écœuré par les vioÂlaÂtions continues des droits de l’homme dans les prisons israéÂliennes. Depuis 1967, 750 000 PalesÂtiÂniens, dont 23 000 femmes et 25 000 enfants, ont été en détention dans les prisons israéÂliennes, soit près de 20% du total de la popuÂlation palesÂtiÂnienne des terÂriÂtoires occupés », a-t-il rappelé (cité dans Armin Arefi, « Israël : la dernière arme des prisonniers palestiniens », AFPS).
Conclusions : silence radio dans la plupart des médias ; aucune pression sur le gouvernement israélien ; aucune indignation morale de tous ces grands intellectuels... La terre continue de tourner et certains s’étonnent que les discours européens sur la démocratie et les droits humains suscitent surtout des ricanements dans le monde arabe.
Par Alain Gresh le 08/05/2012 source Le Monde diplomatique
Transmis par Linsay
[1] « Court rejects petition by Palestinian hunger strikers against detention », Haaretz, 8 mai 2012