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Le rire de Djamila Bouhired
lundi 10 mars 2014
Répondant à l’appel au secours des femmes de Gaza, une centaine de femmes venues du monde entier, ont voulu se rendre chez elles. Elles ont été bloquées au Caire et expulsées. Parmi elles Djamila Bouhired...
Nous sommes en 1957 à Alger et Djamila Bouhired, résistante, poseuse de bombes, membre du FLN, est à la barre des accusés. Après avoir été torturée, elle est ici jugée par le tribunal militaire du régime colonial français pour « terrorisme ». Le juge demande le silence, il va rendre son verdict, la sentence tombe, Djamila Bouhired est condamnée à mort. Contre toute attente, Djamila Bouhired éclate de rire. Et ce n’est pas un petit rire nerveux et gêné. Son rire explose littéralement dans la face des magistrats effarés. Alors que l’Empire français, vêtu de sa robe noire la plus solennelle et la plus intimidante, vient de la condamner à mort, cette sale petite indigène ose se fendre la poire.
« Mais l’heure est grave, mademoiselle ! », s’égosille le juge dont la voix est couverte par le rire frondeur. Non l’heure n’est pas grave, semble-t-elle lui rire, tu ne juges rien du tout petit-français, tu ne condamnes rien du tout, tu peux me tuer si ça te chante, tu ne tueras pas la résistance du peuple algérien, ni celle de tous les peuples que tu opprimes. Ta fin est proche petit-français, la libération de l’Algérie, de l’Afrique et de tous les pays que tu as colonisés est inéluctable.
Djamila Bouhired rit au nez des juges français, comme Ali La Pointe crache au visage des colons qui le bousculent avec mépris dans les rues d’Alger. Le nif par le crachat, le nif par le rire. Djamila Bouhired incarne plus que quiconque le nif à l’algérienne. Elle rit malgré la peur, malgré la terreur qui s’empare d’elle à l’idée que demain, après-demain peut-être, on va lui trancher la tête. Elle rit aux éclats. A l’heure où « militer » se résume à être en sueur parce qu’on met une photo d’Angela Davis ou une citation de Sayad en statut facebook, la « militance » de Djamila Bouhired ça calme l’orgueil.
Fatima, la fille du Prophète Mohammed (saw), commence par pleurer quand son père, affaibli par la maladie, lui annonce sa mort très prochaine. Mais lorsqu’il ajoute qu’elle le rejoindra bientôt, et qu’elle sera la première à le faire, elle se met à rire.
Comme Fatima, Djamila Bouhired a la foi. Elle croit, en la justice, en la nécessité de lutter pour se libérer de l’oppression. C’est parce qu’elle a la foi qu’elle rit, qu’elle reste debout, malgré les coups pour la faire plier. Après que la sentence du tribunal ait été prononcée, de retour en cellule, elle s’active à rédiger la déclaration qu’elle projette de lire devant la guillotine, juste avant qu’on ne la décapite. Servir la cause et se battre jusqu’au bout. « Que l’Algérie vive libre, inshAllah », prévoit-elle de conclure.
Immensément populaire dans les pays du Tiers-monde, le monde arabe en particulier, Djamila Bouhired est libérée en 1962 grâce à une campagne de soutien internationale orchestrée par son avocat Jacques Vergès.
Le même Jacques Vergès devient quelques années plus tard l’avocat de Georges Ibrahim Abdallah, combattant libanais anti-impérialiste et pour la libération de la Palestine. Lors de son procès en 1987, comme l’avait fait Djamila Bouhired, Georges Ibrahim Abdallah rit de la mascarade qui se joue dans les tribunaux français dès lors qu’il s’agit de combattants arabes jugés pour « terrorisme ». Moquant les juges, il leur lance : « Je suis ici, Messieurs, pour vous demander simplement de bien vouloir laver vos mains maculées de notre sang et du sang de nos mômes, avant de prétendre nous juger ».
Aujourd’hui, Djamila Bouhired se rend à Gaza, parce qu’elle ne renie rien, et qu’elle continue le combat. Quant à Georges Ibrahim Abdallah, il est toujours emprisonné en France, parce qu’il ne renie rien, et qu’il continue le combat. Les deux militants travaillent au même destin. D’Alger à Gaza, en passant par Paris. Leurs trajectoires individuelles impressionnantes de cohérence et de constance politique, montrent que l’Histoire de nos luttes a un sens, un socle commun et partagé.
Cela doit nous motiver à mettre une droite à l’éternel militant qui vient te voir lors des manifestations anti-racistes pour te dire qu’il ne faut pas tout mélanger, le drapeau palestinien n’a rien à faire ici c’est pas le lieu. Peut-être aussi pourrait-on s’encourager les uns-les-autres pour éviter de mettre des sionistes en tête d’affiche de la lutte contre l’islamophobie.
La grande Djamila Bouhired se rend à Gaza... Que la Palestine vive libre, InshAllah.
Le 8 mars 2014
G.A.B (Groupe des Associations de Bagnolet)