La caisse noire de l’UIMM : ce qu’ont dit les protagonistes

mardi 20 mai 2008
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A qui étaient destinés les 21 344 691euros prélevés, par liasses de billets de 100 euros, sur les « comptes spéciaux » de l’UIMM de 2000 à 2007 ? Pourquoi l’enquête judiciaire pour abus de confiance a-t-elle démarré en septembre 2007, par un signalement de l’organisme antiblanchiment Tracfin, alors que les retraits suspects étaient connus des banques depuis 1995 ?

En huit mois d’enquête, la brigade financière a découvert les curieux atermoiements. Mais elle n’a pu identifier ceux qui ont préféré étouffer l’affaire. Il a fallu neuf ans à la BNP Paribas, qui détenait avec la banque Martin-Morel les comptes de l’Union des industries et métiers de la métallurgie (UIMM), pour saisir Tracfin, trois ans aux enquêteurs financiers pour se décider à saisir la justice. Un délai étonnamment long qui laisse deviner l’embarras des pouvoirs publics.

Perquisitions au Medef et à Tracfin, auditions, sur fond de sourdes rivalités entre Laurence Parisot, la patronne des patrons, et Denis Gautier-Sauvagnac, l’ex-président de l’UIMM, et de pratiques occultes ancestrales…, l’enquête sur n’a pas encore livré tous ses secrets. Les syndicats sont implicitement désignés par les responsables de l’UIMM comme étant les principaux destinataires de ces fonds secrets. Le Monde a pris connaissance du dossier judiciaire et livre, à travers les déclarations des principaux intervenants recueillies sur procès-verbal, le récit d’une enquête hors normes.

« Les billets sentaient le moisi ».

Suzanne Ducouret, 67ans, a été chef comptable de l’UIMM pendant vingt-trois ans. Autant dire qu’elle connaît la maison et ses arcanes. Interrogée par les policiers, en octobre 2007, elle ne feint pas la surprise. « Quand j’ai pris mes fonctions de chef comptable, en 1977, ces pratiques existaient déjà, se souvient-elle. Tout membre entrant au service comptable était fatalement mis au courant. » Elle se remémore quelques scènes cocasses. Comme l’irruption régulière de Michel G., délégué régional de l’UIMM. Il remettait « des valises contenant des espèces, toujours en billets de 500 francs, sans nous dire d’où ça venait (…). Je me rappelle qu’une fois les billets sentaient le moisi. Ils avaient dû séjourner un long moment dans un endroit humide ».

L’Entraide Professionnelle des Industries des Métaux (EPIM), créée en 1972, sert déjà de pompe à finances à l’UIMM. Elle encaisse les cotisations des entreprises du secteur. En 2007, elle se retrouve à la tête d’un patrimoine financier dépassant les 600 millions d’euros. L’argent, collecté et versé sur le compte de l’EPIM, ressort pour être versé sur les comptes « spéciaux » de l’UIMM, d’où sont retirées les sommes en espèces. Un circuit occulte parfaitement huilé. C’est Suzanne Ducouret qui assure le transport final des fonds au siège de l’UIMM, « avec le même sac à main qui était dédié à cela ». Puis elle attend le coup de fil de sa hiérarchie.

« J’ai toujours eu l’idée que ces fonds étaient destinés à des partis politiques ».

Selon Mme Ducouret, Pierre Guillen, délégué général de l’IUMM de 1984 à 1994, se déplaçait « tôt le matin, quand tout le personnel n’était pas arrivé ». « Je lui remettais les fonds demandés qui étaient placés dans une enveloppe kraft ». A chacun son style. Emile Boursier, délégué général de 1968 à 1984, « me passait un coup de fil, se souvient Mme Ducouret, et me faisait comprendre par une phrase qui lui était propre, je suis là , qu’il fallait que je lui apporte les fonds demandés ». Délégué général depuis 1994, Denis Gautier-Sauvagnac, lui, faisait appeler sa secrétaire. Consciencieusement, la comptable faisait établir un reçu, conservé chaque année jusqu’à l’approbation des comptes. Ensuite, « le service comptable avait l’ordre de détruire toutes les pièces comptables de l’UIMM ».

Savait-elle où allaient ces sommes ? « J’ai toujours eu l’idée que ces fonds étaient destinés à des partis politiques, dit-elle benoîtement. Je n’ai jamais posé la question. » Elle n’ignorait pas, en revanche, qu’une petite partie du pactole servait à des compléments de rémunération en liquide, jusqu’à 2000 euros mensuels, pour des cadres de l’UIMM : « tout le monde avait un jour touché une enveloppe. » Un beau jour de 2000, Suzanne Ducouret a quand même pris sa retraite. Champagne et petits fours. Dominique Renaud lui succède. Les bonnes habitudes ne se perdent pas. Sauf en septembre 2007, à la révélation de l’affaire, quand Dominique Renaud panique. A son bureau, elle sort la chemise contenant les reçus et les talons des chèques. « J’avais sorti cette chemise, et je me posais la question de savoir si je détruisais ou si je ne détruisais pas, et finalement je les ai passés au broyeur. J’ai fait ça spontanément, de ma propre initiative. » Et tant pis pour la brigade financière.

« C’est le patron qui paye le verre »

10 000euros par an de frais de réception. A 60 ans, Dominique de Calan, l’ex-adjoint de Denis Gautier-Sauvagnac (dit DGS), recevait beaucoup à son domicile. D’où, selon lui, cette somme débloquée par l’UIMM, en sus de ses notes de frais. « Quand nous sommes en déplacement en province, c’est le patron qui paye le verre , explique-t-il aux policiers. Je n’ai jamais demandé une rallonge. » DGS avait parlé de « régulation sociale » à propos des espèces prélevées sur les comptes de l’UIMM ? M.de Calan argumente : le « climat de lutte de classes est nocif à l’économie de marché ». Il faut donc « rapprocher l’entreprise de nos concitoyens ».
Et arroser tous azimuts : « Les associations, les partenaires sociaux, les intellectuels, les médias, les pouvoirs publics bien évidemment… » Qui, précisément ? « Denis Gautier-Sauvagnac les voyait en tête à tête, je ne peux donc répondre… » M. de Calan se montre plus prolixe sur les 30 000 euros annuels affectés à ce que DGS appelle les « organismes en liaison avec la vie universitaire ». « Ne connaissant pas du tout ces milieux, M. Gautier-Sauvagnac m’a demandé si je pouvais remettre à des personnes qu’il me désignait ces sommes », explique M. de Calan. Il s’agissait aussi d’œuvrer « au rapprochement école-entreprise ». Les remises d’enveloppes, à « moins de dix organismes », avaient lieu entre décembre et mi-février, auprès « des représentants nationaux de ces organismes ».

« Mon erreur, c’est peut-être de m’être coulé dans le moule ».

Dès le début, le système de défense de DGS apparaît clairement : assumer, seul, l’héritage d’une tradition. « Mon erreur, c’est peut-être de m’être coulé dans le moule », dit-il au juge Roger Le Loire. Pour autant, pas question de tout raconter par le menu. « Ces versements ont été faits à des gens très honorables, liés à des organismes qui font partie de notre vie sociale, et je ne crois pas, très sincèrement, qu’il soit de l’intérêt général de procéder à un grand déballage. » Il avait prévu, assure-t-il, de mettre fin au système à l’automne 2007. « Non pas que je me posais tellement de problèmes de légalité », dit-il. Mais, « je n’étais pas à l’aise avec ces mouvements d’argent, donc j’avais demandé à notre comptable de faire des provisions et que je procède d’ici mars 2009 à de derniers versements pour solde de tout compte ». D’où ces 2 400 000euros trouvés par les policiers dans un coffre de l’UIMM.

Et quid de cette note de M. de Calan, datée du 26 octobre 1995, suggérant de payer à mi-temps un attaché parlementaire auprès d’un député ou d’un groupe parlementaire ? « Nous n’avons jamais offert un attaché parlementaire à qui que ce soit », clame DGS. Mais, « oui, bien sûr », l’UIMM procédait à un lobbying parlementaire.

Et ces chèques émis en 2006 en faveur de FO – pour une somme de 14 284,65euros –, la CFDT ou encore la CGT ? « Je pense qu’il s’agit de chèques relatifs à des frais de déplacement ou de restauration », déclare DGS. Un autre chèque est exhumé par les enquêteurs, pour une somme de 23000euros, en juillet 2006, au bénéfice de la CFTC. « Cela correspond sûrement à une dépense parfaitement régulière de l’UIMM », veut croire DGS.

« Il était loin d’être idiot, il a compris ce dont il s’agissait… »

François Ceyrac, 95 ans, est officiellement en retraite depuis trois ans. De sa maison au Vésinet (Yvelines), propriété de l’UIMM, il a suivi attentivement l’enquête judiciaire. Il se sait concerné. Ne perçoit-il pas 5 000euros par mois en liquide, un complément de retraite attribué par l’UIMM ? C’est lui qui a créé l’EPIM, en 1972, « en solidarité face à l’agression », dit-il, pour décrire le contexte social tendu de l’époque. A l’époque, il préside à la fois le CNPF, le syndicat des patrons, et l’UIMM. « J’ai lu qu’une partie des fonds recueillis par l’UIMM aurait servi à payer des syndicalistes, dit-il. Cela me paraît aberrant et inadmissible. » Il assure tout de même qu’« il y a toujours eu des retraits d’espèces », afin d’aider les entreprises adhérentes à l’EPIM. « Ces retraits d’espèces ne sont que des accidents de route », conclut-il.

A 81 ans, Pierre Guillen, qui fut le délégué général de François Ceyrac, parlerait plus volontiers de « dépenses de rayonnement ». Et il précise : « Ces fonds allaient en direction de toutes les organisations qui pouvaient faire l’opinion : bureaux d’études, journalistes, sociologues… Ces fonds ne sont jamais allés à destination de politiques, cela n’aurait servi à rien. » En 1995, Pierre Guillen confie « les clés de la maison » à DGS. « Je l’ai informé effectivement de certaines pratiques, je lui ai communiqué les noms de certaines personnes, il était loin d’être idiot, il a compris ce dont il s’agissait… »

« DGS n’a rien lâché, rien de rien, je l’ai expliqué au bureau… »

En septembre 2007, lorsque l’affaire éclate, Laurence Parisot, la patronne du Medef, saute sur l’occasion ; les révélations sur la caisse noire lui permettent d’asseoir son pouvoir sur la forteresse UIMM. Elle n’a pas les faveurs des patrons de la métallurgie, qui la prennent de haut. A-t-elle pour autant joué un rôle dans le déclenchement de la tempête judiciaire ? Et était-elle au courant des retraits en espèces ? A l’UIMM, on en est persuadé.

Pour mieux comprendre les responsabilités éventuelles des uns et des autres, le juge Le Loire perquisitionne les bureaux de Mme Parisot au Medef, le 10avril. Il consulte les mémoires des trois téléphones portables de Mme Parisot – un Blackberry, un iPhone et un Sony-Ericsson. Trois SMS lui semblent importants, au point de les consigner sur le PV de perquisition. Le 15juin 2007, soit trois mois avant que le parquet de Paris ne lance l’enquête judiciaire, à 21h42, Laurence Parisot écrit à « Cathy » : « Chère Cathy, je viens seulement d’entendre ton message, stupéfaite… DGS n’a rien lâché, rien de rien, je l’ai expliqué au bureau. La mauvaise foi de certains est stupéfiante, je t’appelle demain pour t’en parler de vive voix. » Rien ne prouve que ce SMS soit lié à l’affaire, il pourrait s’agir de négociations tout autres. Le 26 septembre 2007, Mme Parisot envoie un SMS à 7h26 à Anne Méaux, grande prêtresse de la communication dont elle est proche : « Urgent, Anne, lis le Fig-p11 une enquête de Tracfin sur DGS et l’UIMM, faut qu’on se parle ce matin. » Dans ce Texto, elle paraît découvrir l’affaire.

Enfin, ce troisième SMS, envoyé le 26 septembre à 17 h 04 à « C » : « Je vois DGS dans 5 min. » Le juge place aussi sous scellés la messagerie informatique de Mme Parisot, de même que les notes manuscrites rendant compte des réunions du bureau du Medef du 22 janvier et du 10 octobre 2007. Les documents sont en cours d’analyse.

« Nous avons pris en compte l’honorabilité de ce syndicat ».

D’autres questions assaillent les enquêteurs chargés de ce dossier très politique : quels chemins tortueux a empruntés ce dossier pour leur parvenir ? Il aura fallu douze ans avant que la justice ne soit saisie de ces retraits d’espèces suspects, connus dès 1995. Pourquoi un tel délai ? Selon Henri Quintard, directeur de la sécurité financière à BNP Paribas, DGS est contacté en 1995, puis en 1998, par un responsable de la BNP Paribas, qui s’alarme de l’importance des sommes prélevées sur les comptes de l’UIMM. Le patron de la métallurgie reçoit la visite d’une délégation de la banque, un rien embarrassée. La scène est rapportée par M. Quintard : « Ce dernier [DGS] aurait confirmé que les différentes instances de l’UIMM étaient parfaitement au fait des retraits d’espèces effectués et de la destination qui leur était réservée. » Un courrier de la banque, en date du 9septembre 1998, en fait foi.

Du côté de la banque Martin-Maurel, qui ne veut pas froisser l’UIMM, on se réfugie derrière « l’importance de cette institution et de la très grande qualité de ses dirigeants ». La banque assure que « le fonctionnement du compte était connu des membres du conseil de l’UIMM ». En novembre 2005, la commission bancaire mise au fait des retraits d’espèces n’estime « pas nécessaire d’étudier le dossier UIMM », explique Lucie Maurel-Aubert, une responsable de l’établissement.

Puisque personne ne s’alarme, les retraits d’espèces reprennent de plus belle. En 2004, Alain Bègue, chargé d’affaires chez BNP Paribas, se rend au siège de l’UIMM, où il rencontre Bernard Adam, le directeur financier de l’association. « Il nous a fait une réponse en quatre points : C’est notre argent, on fait ce qu’on veut avec notre argent, nos comptes sont certifiés par des commissaires aux comptes, l’argent est destiné aux œuvres sociales. » Le 5 février 2004, la cellule antiblanchiment de BNP Paribas est enfin activée. Rien de tel chez Martin-Maurel : « Nous avons pris en compte l’honorabilité de ce syndicat et de ses dirigeants, et ensuite nous n’avions pas de doutes quant à l’origine des fonds ainsi retirés », argumente devant les policiers l’ex-directeur de la banque, Bernard Huart.

« Ma hiérarchie m’a demandé de conserver le dossier ».

Finalement, l’organisme antiblanchiment Tracfin ne reçoit que le 26 mai 2004 une déclaration de soupçon émanant de BNP Paribas. Il faudra attendre encore plus de trois ans, jusqu’au 18 septembre 2007, pour que le parquet de Paris soit saisi ! « Le traitement réservé à ce dossier est tout à fait dans la norme », se défend devant les policiers François Werner, le directeur de Tracfin. Il précise avoir relaté, dès octobre 2006, le contenu du dossier UIMM à Gilles Grapinet, alors directeur de cabinet de Thierry Breton, au ministère des finances.

Le 26 mars 2007, M. Werner fait part à M. Grapinet – aujourd’hui directeur de la stratégie au Crédit agricole – de son intention de transmettre le dossier à la justice. Enfin, il revient le 11 septembre 2007 vers Stéphane Richard, le directeur de cabinet de Christine Lagarde à Bercy, pour l’informer de l’état de la procédure. « Au cours de ces entretiens, dit M. Werner, mon interlocuteur ne m’a donné aucune instruction. » Une semaine plus tard, l’affaire fera les gros titres des journaux.

La brigade financière demeure dubitative sur le déroulement réel de l’enquête initiale de Tracfin. Elle a d’ailleurs procédé à une perquisition dans les locaux de cet organisme qui dépend du ministère de l’économie. Fin 2004, l’enquêteur affecté au dossier UIMM chez Tracfin, Philippe Virey, avait adressé une note résumant les retraits suspects. Cette note est parvenue à Jean-Marc Maury, secrétaire général adjoint de l’organisme antiblanchiment. Pas de réponse. Puis l’enquêteur a reçu pour consigne de « continuer l’enquête ». Une manière élégante d’enterrer un dossier. M. Werner n’était pas en place au moment des faits. Mais, pour le directeur de Tracfin, « 36 % des enquêtes durent plus d’un an (…). La sensibilité évidente de ce dossier exigeait des précautions juridiques maximales ».

Dans sa note, M. Virey se souvient pourtant avoir « listé les flux et les montants depuis 2000 ainsi que les explications du directeur financier de l’UIMM ». Des enquêtes préliminaires ont été ordonnées pour moins que cela. Mais M. Virey n’a jamais eu de retour de sa note. « Ma hiérarchie m’a demandé de conserver le dossier en cours d’enquête , j’ai donc actualisé les flux. » En clair, il a continué à comptabiliser les retraits suspects. Et c’est tout.

Près de trois ans plus tard, ses responsables lui demandent enfin de déterrer sa note, puis de l’actualiser. Après qu’elle a été signée par le directeur des enquêtes le 15 juin 2007, il faut attendre trois mois de plus, pour que, le 13septembre, le magistrat détaché à Tracfin appose son paraphe final. Les autorités n’étaient plus à quelques semaines près. Le 18 septembre 2007, trois pages de signalement finissent par atterrir sur le bureau de Jean-Claude Marin, le procureur de Paris.

Article de Gérard Davet transmis par Linsay



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mardi 20 mai 2008 à 09h54 - par  momo11

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