Culture : les égarements d’une gauche aveuglée par les sunlights
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Et si on parlait aussi de culture ? L’article qui suit, signé de Valérie Saint-Do, rédactrice en chef de la revue Cassandre, et paru dans Mediapart ce 18 avril 2011, nous invite intelligemment à observer la question culturelle avec la même rigueur d’analyse que les phénomènes sociaux et économiques. Du coup, elle nous révèle une « gauche » là aussi égarée.
Un article à recommander à nos artistes marseillais (subventionnés ou pas) qui ont brillé par leur absence quand, à l’été 2010, la société civile s’est mobilisée en faveur des Roms et des sans papiers, quand à l’automne, les salariés sont longuement descendus dans la rue pour défendre les retraites.
La culture n’est pas un domaine à part : elle pâtit du même mal que l’ensemble de la société, elle fait partie des droits fondamentaux, ces droits auxquels les plus modestes ont si difficilement accès parce que le capitalisme transforme systématiquement en marchandise ce qui devrait être la propriété de tous : la santé, l’eau, l’énergie, la culture, entre autres. Voici l’article :
Des phalènes égarées dans l’éclat des projecteurs : c’est le spectacle un rien pathétique qu’offrent des responsables politiques de gauche, dans leurs réactions pavloviennes à quelques faits divers culturels. Quitte à se sentir un peu penauds le lendemain.
L’affaire Olivier Py, à cet égard, est exemplaire. Du PC au PS, bon nombre de ténors – habituellement fort discrets sur les questions culturelles – lui ont manifesté leur soutien face à une décision gouvernementale effectivement absurde et arbitraire.
Quand, le lendemain, le ministre de la Culture, sommé d’assumer piteusement le diktat élyséen, annonce la nomination d’Olivier Py à la tête du festival d’Avignon et que l’intéressé (qui n’a jamais brillé par l’insoumission politique ni par la solidarité avec des confrères moins bien lotis) s’empresse d’accepter, aucune voix ne s’élève pour dénoncer une décision tout aussi arbitraire que la précédente, scandaleuse dans sa forme et légalement très contestable. De quel droit un ministre peut-il imposer une nomination qui prendra effet un an après son départ du ministère ? Depuis quand la direction du festival d’Avignon échappe-t-elle à une procédure d’appel d’offres ?
Comment la gauche, qui a volé au secours de Py dans un bel élan indigné, pourra-t-elle contester ce fait du prince sans se ridiculiser ? Qui aura, ce soir, le courage d’un coup de gueule pour rompre l’ennui des Molières ?
Quant à se précipiter sur les ondes de Skyrock pour voler au secours de l’expression des jeunes comme un poulailler affolé par l’intrusion de la belette AXA, elle relève du plus haut comique. Même Jean-Luc Mélenchon, qui flétrit régulièrement l’abrutissement télévisuel et qu’on imagine assez peu adepte du « Touch pas à Skyrock je kif C ma radio » s’est cru obligé de foncer dans le piège ! Le tout-politique de gauche (ainsi que certains politiques de droite, précisons-le) vole au secours de ce pauvre Bellanger, qui découvre ingénument les lois d’airain du capitalisme et des fonds d’investissement. Férues de culture Martine Aubry, comme Anne Hidalgo, volent au secours d’une radio qu’elles n’ont visiblement jamais écoutée... Ignorant, ou feignant d’ignorer à quel point elle est la courroie de transmission des valeurs de la droite ultralibérale dans toute leur splendeur : pub tous les quarts d’heure, rap dépolitisé, insipide et commercial, culte du fric et refus de toute « prise de tête » qui pourrait donner à penser.
On voudrait donner raison à Zemmour, Finkielkraut et autres pleureuses réacs pour alimenter leur mur des lamentations sur la culture française qui fout le camp, ma bonne dame, qu’on n’aurait pas trouvé mieux. Comble du ridicule, Hollande, Martine Aubry, Benoît Hamon et autres héroïques défenseurs de Skyrock se voient en bonne compagnie : le très droitier syndicat de policiers Alliance vient d’annoncer dans un communiqué son soutien « indéfectible » à Skyrock, pour sa « collaboration dans la lutte contre les skyblogs antiflics ». C’est à Pierre Bellanger, son PDG aux affinités sectaires, que le groupe La Rumeur doit ses interminables démêlés judiciaires ! Dis-moi qui te soutient, je te dirais qui tu es...
Conclusion : larguée, la gauche, et le PS surtout, ne sait plus, culturellement où aller. Jusqu’à s’attirer le ridicule de voir l’UMP critiquer son absence de projet culturel (l’hôpital n’a jamais hésité à se foutre de la charité). Et de se voir publiquement flétrir par le très sarkocompatible Jean-Michel Ribes (dont les rires qui se veulent « de résistance » s’accommodent très bien du parrainage de Marc Ladreit de Lacharrière, patron de l’agence Fitch.)
Le PS chauve souris : élitaire pour tous ou mainstream ?
La culture ? Ils y pensent, disent-ils au PS, en promettant bientôt une rencontre et un projet détaillé. Elle n’occupe qu’une page de projet socialiste. Et encore se voit-elle, comme dans le journal Le Monde, regroupée avec les « loisirs » (n’apprendront-ils donc jamais ?)
Ce fut pourtant un marqueur de la gauche, tant communiste que socialiste (1), incarnée par les deux Jack, Ralite et Lang. C’est avec la victoire de l’Union de la gauche aux municipales en 1978 que les villes socialistes ont commencé à cultiver leur aura culturelle. La ceinture rouge les avaient précédées, accueillant dès les années soixante les premiers centres dramatiques nationaux. Et si le maillage culturel de la France reste considérable, malgré une précarité grandissante et la baisse constante des moyens pour les structures les plus fragiles, c’est grâce au financement des collectivités territoriales, le plus souvent marquées à gauche, qui pallient le désengagement de l’État.
Mais quid du sens de l’action publique culturelle ? Les années Jospin, déjà, voyaient à l’œuvre une politique uniquement soucieuse de gérer l’existant, sans souffle ni utopie. Si Martine Aubry déclare à tout va son rêve d’être, d’avoir été ministre de la culture, si Jean-Marc Ayrault comme elle surfent sur l’effervescence culturelle de leurs villes, bien malin qui pourrait décrypter une vision politique de la culture dans leur action municipale.
Dans les innombrables colloques culturels, bon nombre de porte-parole du PS déclarent vouloir se démarquer des aspects les plus contestables des années Lang : le clientélisme vis-à-vis des baronnies artistiques, le culte de l’excellence oublieux des talents balbutiants, le culte du brillant et de l’événementiel au détriment de l’action artistique en profondeur.
La nécessité d’une politique culturelle dépassant l’adresse au seul public MAIF/Télérama ou IKEA/Inrocks s’impose. La doctrine est prise en tenaille entre les vieilles amitiés de ténors artistiques et les piliers de l’éducation populaire en son sein, les fondamentaux de la décentralisation culturelles et l’appétit d’une politique industrielle. Comment satisfaire tout le monde et le SYNDEAC (Syndicat national des entreprises artistiques et culturelles NDLR) ? Une récente rencontre organisée par le PS à l’Assemblée nationale a montré les clivages– de classe, parfois– entre les responsables d’institutions qui restent bien nanties, et les autres. Ajoutons à ces contradictions les effets catastrophiques de la loi Hadopi, qui a alimenté le populisme anti-artistes et effrayé certains anciens ministres devant la fuite des habituels soutiens people du PS...
Le constat largement partagé sur les limites de la démocratisation culturelle telle que la concevait Malraux, et sur la nécessité de prendre en compte le citoyen comme porteur et producteur de culture peut aboutir aux pires solutions. Au nom de la critique – souvent justifiée– d’un milieu artistique endogame, et de la reconnaissance nécessaire des expressions venues des quartiers, on en vient au relativisme ; par peur du surplomb, on sombre dans la démagogie. Les jeunes ne fréquentent pas les institutions culturelles ? Défendons Skyrock, c’est leur culture, et alimentons le grand marché culturel ! Il y aurait à s’interroger sur l’influence de Frédéric Martel, auteur de Mainstream et grand manitou du libéralisme culturel, sur l’appareil du Parti socialiste. Invité récemment à la tribune du congrès de la Ligue de l’Enseignement, il y affirmait la prééminence de la consommation individuelle sur l’action culturelle, du produit grand public sur. Ne pas mépriser ce que les jeunes consomment. Et voilà pourquoi votre fille est muette quand il s’agit de défendre de petits festivals menacés, des équipes artistiques fragiles œuvrant sur tous les terrains sociaux, et se précipite au chevet des causes médiatiques. Politique de la chauve-souris : « Je suis élitaire pour tous, je défends Py, voyez mes ailes, je soutiens les expressions populaires et de la diversité, je signe pour Skyrock, voyez mon poil ! » Gramsci, reviens, ils sont devenus fous !
Côté Front de gauche, où une grande réunion publique à ce sujet est programmée le 2 mai à Paris, le projet affirme « vouloir mettre la culture au centre du projet de transformation sociale » et détaille des propositions concrètes et honorables. La tradition historique du PC y croise une bonne volonté de ses alliés plus novices pour un socle solide de réflexions. Mais le volontarisme politique est pris en tenaille entre des exigences contradictoires : comment concilier la démocratie culturelle, la dimension politique et sociale de l’art, et la réhabilitation de la pratique amateur avec la défense syndicale des artistes professionnels ? Comment prôner une forme de redistribution des richesses sans se mettre à dos les responsables d’institution ? « En augmentant les budgets ». Ce que tout le monde souhaite, mais qui n’est pas vraiment gagné dans les années à venir. De fait, l’autre gauche se retrouva elle -aussi écartelée entre réformisme et révolution ; d’un côté, ceux qui prônent à juste titre une révision des fondamentaux d’un système aux dérives féodales ; de l’autre, ceux qui se battent, tout aussi justement, pour le maintien
des acquis.
Côté Verts, la culture ne fait pas partie du patrimoine génétique. Affranchis des héritages pesants de Malraux et Lang, ceux qui, dans le parti, s’y intéressent, sont d’autant plus à l’aise pour réformer radicalement le paysage – inspirés notamment par Jean-Michel Lucas, DRAC défroqué et décapant, qui prône une refonte totale des politiques basée sur la notion de « droits culturels ». C’est chez eux que l’on trouve les regards les plus bienveillants envers le foisonnement d’expressions balbutiantes des squats d’artistes aux free parties, et les recherches d’une économie sociale et solidaire de la culture. Mais cette médaille a son revers : comment les militants de la culture au sein d’EELV pourront-ils s’accommoder de la vision ultralibérale d’un Cohn
Bendit, qui estime que « l’artiste doit trouver lui-même son propre marché, sans subvention ? »
Il y a pourtant urgence à dialoguer sur la place publique. Car à tous ceux qui restent tétanisés par l’étiquette de « bobo » si promptement collée par la droite extrême à qui se préoccupe d’art et de culture, rappelons que la droite extrême, elle, n’a pas de ces pudeurs. À eux qui s’effraient de parler culture à un électorat appauvri et précarisé par la gestion calamiteuse du gouvernement, rappelons qu’en face, on mène une guerre culturelle, à grands coups d’identité fantasmée, de clichés sur l’étranger, de Restauration culturelle dans tous les domaines sociétaux : droits des femmes, des homos, des étrangers,
immigration, services publics... avec le soutien actifs d’un aréopage de journalistes caricaturalement réactionnaires qui ont table
ouverte sur tous les médias. Zemmour, désormais adoubé propagandiste officiel de l’UMP par M. Copé, ne se réclame-t-il pas de Gramsci ?
On peut toujours, à raison, les dénoncer comme de l’enfumage, les envolées néopétainistes de Guéant et consorts sur l’identité nationale et l’immigration. Mais les méchants ont probablement compris quelque chose que les bons ignorent, disait Woody Allen. Le score du FN montre que cette propagande identitaire fonctionne et que les Français les plus frappés par la crise, se raccrochent à des « valeurs » et une « identité » qui font sens, aussi nauséabondes soient-elles. La gauche va-t-elle se contenter de leur opposer la seule rationalité économique, même marquée par une meilleure redistribution des richesses ? Où mener de front la bataille pour un nouvel imaginaire de gauche, comme le préconise Yves Citton dans son excellent essai ? [1] Car notre rapport au travail, aux inégalités, à l’Autre est d’abord fondamentalement une question culturelle. Si les ténors de la gauche ne s’allient pas aux artistes et aux chercheurs pour le repenser, s’ils en restent à cette impossible absence, ils vont dans le mur. Et se condamnent à l’impuissance de coups d’épée dans l’eau aussi dérisoires que leurs réactions épidermiques au moindre fait divers culturel.
Valérie de Saint-Do – Rédactrice en Chef de la revue Cassandre
Article paru da ns Mediapart 18 avril 2011
Post scriptum qui a tout à voir : alors que l’œuvre de Serrano présentée à la collection Lambert, Pisschrist, a été détruite par des intégristes catholiques avec la bénédiction de l’archevêque d’Avignon, qui attribue son exposition à la Collection Lambert à l’influence de la franc-maçonnerie, je n’ai lu aucune réaction de ténors de la gauche condamnant ce vandalisme et cette atteinte à la plus élémentaire liberté artistique, autrement grave que les péripéties de la carrières d’Olivier Py et Pierre Bellanger.
Dernière minute : Le Parti communiste a condamné le vandalisme de Pisschrist et la Parti socialiste émis un communiqué d’une dizaine de lignes très « service minimum ».
[1] Yves Citton, Mythocratie, pour un nouvel imaginaire de gauche, (Ed. Amsterdam, 2010
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