La situation dans l’Etat d’Oaxaca
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Cet article (qui date de 2 mois) nous semble une introduction toujours utile à la compréhension de « La Commune d’Oaxaca », au moment où la répression féroce du pouvoir mexicain allié des USA mobilise la solidarité internationale avec l’héroïque peuple d’Oaxaca.
Août 2006
L’Etat d’Oaxaca et la capitale du même nom qui est une de principales villes touristiques du Mexique, sont situés à 550 kilomètres au sud de Mexico. D’une superficie de 93 952 km2 (au 5e rang des 31 Etats qui composent le Mexique et trois fois la taille de la Belgique) pour une population de 3,5 millions d’habitants (10e rang national), l’Etat d’ Oaxaca est l’un des plus pauvres du pays (avec le Chiapas et le Guerrero), et celui qui compte la plus forte proportion d’indiens soit 20% de sa population (ce chiffre correspond précisément à celui de la population de l’Etat qui ne parle pas l’espagnol).
Beaucoup d’habitants de l’Etat descendent des Mixtèques et des Zapotèques, mais il existe 15 autres groupes indigènes qui maintiennent vivantes leurs traditions et leurs modes de vie. C’est à Oaxaca qu’est né en 1806 le premier indigène président du Mexique, Benito Juarez [1], qui était un authentique indien zapotèque parvenu à faire des études de droit tout en exerçant le métier de cordonnier.
La vallée d’Oaxaca a été de tous temps une terre de résistance. Elle l’était déjà aux premiers temps de la Conquête espagnole, les indien opposant aux colons une résistance acharnée. Dans la période actuelle, l’Oaxaca indien résiste au plan Puebla-Panama (PPP) [2] annoncé en 2001 par le président mexicain Vicente Fox, en application de l’Accord de libre-échange nord-américain (Alena) [3].
Pour mettre en place cette politique, la militarisation des terres indigènes d’états comme le Chiapas, le Guerrero et l’Oaxaca est la seule réponse apportée aux résistances des populations. Ce plan, qui affecte également les pays centraméricains, accentue un phénomène migratoire aux conséquences dramatiques [4]. Le plan Puebla-Panama prévoit aussi l’exploitation des ressources considérables en minerai de fer (« 200 millions de tonnes de bonne qualité », selon la firme Grupo Acero del Norte) que recèle le sous-sol de la région, ce qui nécessite l’expropriation de milliers d’indigènes et la « vente » de leurs terres aux transnationales. Pour cela les puissances économico-politiques ont recours à deux pratiques : les massacres de populations par des hommes de main, qu’on appelle pistoleros, et l’exploitation ou le montage de conflits intercommunautaires, attisés par des caciques soudoyés et les massacres par des pistoleros et autres paramilitaires.
Un autre volet du modèle de développement du PPP, ce qui n’est pas une nouveauté pour les indigènes, est le tourisme. Pour édifier des paradis à touristes, sept communautés de paysans et de pêcheurs zapotèques ont été, depuis 1984, expulsées de 21 000 hectares, contre des indemnités dérisoires. Ceux qui se sont opposés à ces expulsions ont souvent été assassinés.
Depuis plusieurs années, sur la place centrale de la ville d’Oaxaca, les protestations sont quotidiennes : pour se faire entendre les communautés campent devant le palais du gouverneur, et ce malgré la répression. Mais unir les communautés pour la reconnaissance des peuples indigènes et la défense de leurs droits a toujours été difficile. Difficile également de se débarrasser des potentats locaux, les caciques, qui en combinant corruption, usure et force, contrôlent les indigènes avec la complicité des autorités. Difficile encore d’unir métis et indigènes, alors que souvent, dans les villages, quelques familles métisses sont propriétaires de l’essentiel du commerce et tiennent les indigènes par l’usure (prêts à 30%... par mois !).
Mais depuis quelques mois, on assiste à une nouvelle donne dans les luttes sociales. Cela a commencé le 22 mai dernier par la traditionnelle lutte des enseignants pour la satisfaction de leurs revendications. A priori, il n’y avait rien de bien nouveau. Sauf que cette fois le gouvernement de l’Etat d’Oaxaca a voulu en finir au plus vite avec le mouvement par une répression brutale le 14 juin 2006, qui a eu pour effet de le radicaliser. Les enseignants ont alors exigé la démission du gouverneur, le sénateur Ulises Ruiz Ortiz, membre du Parti Révolutionnaire Institutionnel (PRI), le parti qui a été au pouvoir 71 ans au Mexique, et qui était jusqu’ici particulièrement implanté dans les Etats du sud. Une grande partie de la société s’est jointe à la lutte des enseignants. Révoltés tant par la fraude électorale par laquelle Ruiz était devenu gouverneur que par la violence gouvernementale contre une multitude d’organisations communautaires et régionales, des centaines de milliers d’habitants de l’Etat d’Oaxaca ont occupé la rue et une trentaine de mairies. Plus de 380 organisations (communautés indigènes, syndicats et associations civiles), ont formé l’Assemblée Populaire du Peuple d’Oaxaca (APPO). Chaque organisation a un représentant à l’APPO.
Les protestations ont pris de l’ampleur avec les élections fédérales du 2 juillet. Les insoumis ont décidé de sanctionner les deux partis successifs de gouvernement, le PRI et le PAN (Parti d’Action Nationale, conservateur). Le PRI, qui détenait la quasi-totalité des mandats parlementaires fédéraux, a été balayé. La coalition de centre gauche, « Pour le Bien de Tous » a obtenu 9 des 11 sièges de députés à pourvoir et les 2 sièges de sénateurs. En outre, l’état d’Oaxaca a placé largement en tête Manuel Lopez Obrador le candidat Coalition-Parti de la Révolution Démocratique (PRD) à l’élection présidentielle.
L’APPO a entamé le 11 juin, avec succès, une campagne de désobéissance civile et pacifique qui tend à démontrer la mauvaise gouvernance et l’absence de légitimité de l’Etat. Le mouvement assume le contrôle politique de la ville d’Oaxaca, et procède ponctuellement à des actions de blocages ciblées (hôtels de luxe, établissements appartenant à des multinationales, aéroport, grandes artères, édifices publics, palais gouvernemental, etc.). Le gouvernement officiel est tellement affaibli qu’il a été contraint d’annuler la traditionnelle fête de la « Guelaguetza », d’origine indigène zapotèque, mais enseignants et citoyens ont réalisé une fête alternative populaire, qui a été un immense succès.
A mesure que le temps passe, la situation s’aggrave. Le 22 juillet, un groupe d’une vingtaine d’inconnus a fait usage d’armes à feu de gros calibre contre les installations de Radio Universidad, une radio qui s’est transformée en un important outil d’information et de mobilisation sociale. Dans les jours qui ont suivi, des dirigeants syndicaux ont été menacés ou molestés.
Pour autant, la désobéissance civile, loin de se tarir, n’a fait que s’amplifier et se radicaliser jour après jour. Le mouvement a cessé d’être une lutte traditionnelle de protestations pour devenir un embryon de pouvoir alternatif au travers d’assemblées populaires, alors que les institutions gouvernementales n’ont cessé de se déliter pour apparaître comme des coquilles vides.
Néanmoins, la répression est plus que jamais à craindre. Ainsi le 21 août, des policiers et des paramilitaires ont attaqué des stations de radio communautaires et une chaîne de télévision, faisant des blessés et des disparus. Le photographe du quotidien Noticias, Mario Jimenez Leyba, a été grièvement blessé. L’état de siège a été décrété.
Pour le quotidien Noticias, le plus important de la région, des paramilitaires sont arrivés, qui travaillent de pair avec les policiers déguisés en civil. Ce qui fait craindre au journal, dans son éditorial du 16 août, un retour à la « guerre sale », en référence aux opérations violentes extrajudiciaires et clandestines (enlèvements, tortures, assassinats-disparitions) commises dans toute l’Amérique latine dans les années 70 et 80 du siècle dernier. Si l’on veut empêcher cela, qui n’arrive pas « qu’aux autres », et donner à chacun sa chance de pouvoir choisir vraiment ses formes d’organisation et de vie sociale, il incombe à chacun d’entre nous, individus et organisations, d’apporter, d’une manière ou d’une autre, notre soutien à la population d’Oaxaca, dont la déclaration ci-dessous est une des expressions.
Bien entendu ce mouvement, avec ses spécificités, ne peut être dissocié de la situation politique globale du Mexique et de la tendance générale de montée des luttes sociales en cours dans l’ensemble du continent latino-américain, sans oublier qu’en Amérique du Nord, les latinos importés de l’ « arrière-cour » constituent un prolétariat surexploité qui a su, contre toute attente, se faire entendre massivement tout récemment.
Notes :
[1] [NDLR] LireThibaut Kaeser, Benito Juàrez ou le Vénérable des Amériques, RISAL, 27 septembre 2006.
[2] [NDLR] Consultez le dossier « Plan Puebla Panama » sur le RISAL.
[3] [NDLR] Consultez le dossier « ALENA » sur le RISAL.
[4] Cf. l’article de Cédric Gouverneur, Le Monde Diplomatique de juillet 2003, « Sur l’autel du libre-échange, au Mexique, l’Oaxaca indien résiste ».
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