Il était bien plus qu’un doux rêveur...
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Bien sûr il y a eu I have a dream, mais Luther King n’était pas qu’un rêveur mais aussi et surtout un homme qui critiquait fermement la politique américaine dans sa globalité .
Salutaire rappel venu d’outre Atlantique...
Quarante ans se sont écoulés depuis la mort de Martin Luther King. Si peu de temps ? Au cours des quatre décennies qui ont suivi son assassinat, à Memphis le 4 avril 1968, la nation américaine a connu un bouleversement sociopolitique époustouflant, que King lui-même n’aurait peut-être pas imaginé. Quand on a 25 ans aujourd’hui, on a bien du mal à imaginer à quoi ressemblait le pays autrefois.
Pas de Tiger Woods, d’Oprah Winfrey ni de Will Smith. Pas de Colin Powell, de Condoleezza Rice ni de Barack Obama. Pas de président noir dans les films catastrophes ni de bébé noir dans les publicités pour les couches-culottes.
Mon enfance, c’était ça. Aujourd’hui, les commentateurs politiques évoquent sans sourciller l’éventualité d’un président noir. Le racisme existe toujours, mais il n’est plus que l’ombre de lui-même. Toutefois, pour en arriver là, le chemin a été semé d’embûches. Nous ne rendons pas service à Martin Luther King et au pays qu’il a contribué à changer quand nous enjolivons l’image du tumulte social et politique déclenché par le mouvement pour les droits civiques, mouvement extrêmement controversé qui s’est heurté à une opposition acharnée. Tout comme King lui-même.
On ne se souvient qu’imparfaitement de Martin Luther King, réduit à quelques fragments de rhétorique dans les gentils sermons du dimanche et à une silhouette de teinte sépia dans les parades scolaires. Si vous vous imaginez que King était un homme paisible et modéré sur le plan politique, passionné mais jamais provocateur, vous ne savez rien de lui. Vous avez fait d’une personnalité complexe une caricature. Il était bien plus que sa célèbre formule « J’ai fait un rêve ».
Les archives historiques montrent que King était rejeté comme un communiste – un traître – par une grande partie des citoyens américains, et non des moindres, tel le directeur du FBI de l’époque, J. Edgar Hoover. Alors que King incitait ses partisans à n’opposer aux chiens policiers et aux lances à incendie que des têtes baissées, on l’accusait de fomenter des violences.
Il s’était lassé des Blancs de bonne volonté qui recommandaient la patience de peur que les manifestations en faveur des droits civiques ne provoquent des représailles, lassitude qui a trouvé une expression éloquente dans sa « Lettre d’une prison de Birmingham », de 1963. Un an plus tard, il revenait sur ce sujet, déclarant : « Pour expliquer les représailles, on a le plus souvent tendance à invoquer l’’agressivité’ des Noirs et leurs ’revendications outrancières’. On les attribue aussi à un gouvernement trop zélé, accusé d’avoir tant privilégié les revendications noires qu’il les a stimulées au-delà du raisonnable. Ce sont, essentiellement, des demi-vérités, et, en tant que telles, de parfaits mensonges. »
Si King louait généreusement les responsables religieux blancs, juifs et catholiques compris, qui soutenaient le mouvement pour les droits civiques, il critiquait aussi férocement les hommes d’Eglise blancs qui ne le faisaient pas. Dans un entretien accordé en 1965 au magazine Playboy, il expliquait : « L’Eglise blanche m’a considérablement déçu. Alors que l’homme noir lutte contre une terrible injustice, la plupart des religieux blancs n’ont à offrir que de pieuses absurdités et de sentencieuses bêtises. Les paroissiens blancs, qui tiennent tant à se dire chrétiens, pratiquent la ségrégation dans la maison de Dieu avec la même rigidité que dans les salles de cinéma. Les croyants blancs sont bien trop nombreux à se montrer timides et inefficaces, et certains sont hystériques dans leur défense du racisme et des préjugés. »
Une des déclarations publiques les plus controversées de Martin Luther King a été sa dénonciation de la guerre du Vietnam, en 1967, lors d’un discours prononcé dans l’église de Riverside, à New York. Outre ses critiques à l’encontre de la guerre elle-même, il s’en est pris vertement au recours à la force de l’Amérique : « Je sais que jamais je ne pourrai de nouveau m’élever contre la violence dont font l’objet les opprimés dans les ghettos sans m’être d’abord exprimé sans ambiguïté à propos du plus grand pourvoyeur de violence dans le monde aujourd’hui, mon propre gouvernement. » Les Vietnamiens « nous regardent empoisonner leur eau, détruire leurs récoltes par millions d’hectares. Jusqu’à présent, peut-être avons-nous tué 1 million d’entre eux, des enfants pour la plupart », avait-il déclaré.
Il est rare que l’on cite ce discours lorsque l’on revient sur sa vie et son œuvre. Or il fait tout autant partie de son héritage que sa fameuse allocution de 1963 durant la Marche sur Washington. Ce discours vient nous rappeler les convictions de King. Il pensait que son véritable devoir envers son pays était de juger ses faiblesses avec réalisme tout en étant prêt à mettre sa vie en jeu pour le rendre meilleur.
C’était un patriote.
Par Cynthia Tucker
The Atlanta Journal-Constitution du 03/04/2008
Transmis par Linsay
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