De Sarkozy à Hollande : quels changements dans la politique africaine ?
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Le 27 janvier 2015, dans les locaux de l’Assemblée nationale à Paris, le Collectif Communiste Polex, association libre de toute attache partisane, organisait sa rencontre annuelle sur la politique internationale de la France, sous la Présidence du Député de l’Oise, Patrice Carvalho. Dans le cadre d’un rendez-vous hebdomadaire, Rouge Midi diffuse les interventions des différents participants.
Cette semaine, Michèle Decaster, secrétaire générale de l’AFASPA (Association française d’amitié et de solidarité avec les peuples d’Afrique) démontre que, indépendamment du parti au pouvoir, « les rapports de la France avec le continent africain sont une succession de dominations par la spoliation de ses richesses .
Depuis l’époque du commerce triangulaire, les rapports de la France avec le continent africain sont une succession de dominations pour la spoliation de ses richesses. Les décolonisations n’ont pas conduit à de nouveaux rapports d’intérêts réciproques pour les peuples et les économies nationales. Les mesures ont été prises pour qu’il en soit ainsi.
Seul changement pour la France, les velléités nouvelles de puissances économiques venues faire leur marché sur le continent et l’hégémonie militaire des USA.
Les réseaux de la Françafrique focardienne puis mitterrandienne constituent un système mafieux politico criminel qui alimente les partis politiques, assurant les intérêts économiques et une présence idéologique dans les anciennes colonies.
La politique de la France sous la présidence Hollande
Le régime hyper présidentiel instauré par Nicolas Sarkozy se poursuit sur le même schéma depuis mai 2012. Le choix est clairement affiché de faciliter les affaires.
- Les mesures économiques et sociales prises en France et les rapports de notre pays au monde sont en parfaite cohérence.
- L’Assemblée Nationale, de la couleur du président, joue un rôle marginal en matière de politique étrangère.
François Hollande du temps où il était à la tête du PS, ne voyait en l’Afrique qu’un moyen de « prendre des coups »… jusqu’à ses nouvelles responsabilités qui lui ont fait entrevoir toutes les espérances que recèle le continent.
La cellule Afrique de l’Elysée a été supplantée par des conseils spéciaux et c’est l’Etat Major qui décide de tout. Le Drian et Cazeneuve sont les hommes importants du gouvernement Valls.
Les alliances et allégeances du pré carré africain de la France lui servent à jouer un rôle international, en particulier à l’ONU pour laquelle François Hollande a rejeté toute idée de réforme, en particulier du droit de veto des cinq pays permanents qui jouent de leur suprématie d’Etats détenteurs de l’arme nucléaire.
Dans le domaine économique
La France perd du terrain en Afrique : en parts de marché, elle est passée de 10 à 5% entre 2000 et 2011, dans toutes les zones où elle était fortement implantée, sans pratiquement en gagner ailleurs. La Chine, elle, passe de 2% à 16% entre 1990 et 2011.
La dépendance énergétique de la France et de l’Europe est la toile de fond de la face « politique étrangère » du projet politique du gouvernement.
Total a obtenu l’accord du gouvernement malgache pour des concessions offshore. Pour exploiter en toute sérénité les réserves de pétrole, il est nécessaire que les « îles éparses » soient françaises et que Mayotte le reste d’où sa départementalisation. Lors de sa visite aux Comores en juillet 2014, François Hollande a susurré au président, qui osait encore évoquer la nécessité de réintégrer Mayotte dans sa nation, qu’il était possible de gérer ensemble les réserves pétrolières prometteuses dans l’Océan Indien. Est-ce un nouveau défi impérialiste aux Nations unies qui, en 1977, ont reconnu la souveraineté de Madagascar sur les « îles éparses » autour d’elle ?
En décembre 2013 François Hollande a organisé le sommet de l’Elysée « pour la paix et la sécurité en Afrique », précédé d’un forum économique réunissant les entrepreneurs, qui devait plancher sur le thème « comment travailler ensemble pour que la croissance du continent africain puisse bénéficier à tous ? ». Une belle opportunité pour lier intervention militaire et reconquête économique de la France. Le chaos tombe à pic.
Belle illustration de la convergence des piliers de la politique française en Afrique au service des investissements privés.
L’évolution de l’intitulé des ministères est éloquente :
- Sous Jospin c’est un « Ministère chargé de la coopération et de la francophonie »
- Sous Fillon 1, c’est un « Ministère de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du co-développement ».
- Jean-Marc Ayrault nomme Pascal Canfin Ministre délégué au Développement sous l’aile de Fabius. En décembre 2013, le ministre EELV présente la loi de programmation de l’aide publique au développement. Espoir vite déçu. À l’issue de son examen au Parlement, il ne reste qu’un empilement de vœux pieux qui ne tiennent pas compte des racines politiques du sous-développement.
- Valls précise les choses avec le Ministère des Affaires étrangères et du développement international.
L’offensive de François Hollande semble se porter sur cet enjeu.
Le capital est de plus en plus concentré et apatride. Les firmes sont plus que jamais multinationales. D’où le soutien aux entreprises avec la mise en place de structures et la mobilisation des ambassadeurs.
Ces nouvelles structures étatiques vont être mises à disposition du privé. Elles sont les outils de la pénétration des entrepreneurs en Afrique : l’AFII (Agence Française pour les Investissement Internationaux) a fusionné au 1er janvier 2015 avec l’UBI France, une agence Française pour le développement international des entreprises. Le tout est devenu Business France, censé devenir un fleuron sur l’export.
L’AFD (Agence française pour le développement) finance des projets de développement économique et social dans de nombreux pays pour une valeur de 6,8 milliards d’euros, dont 5,9 milliards en Afrique subsaharienne. Elle sort de sa fonction d’aide publique au développement pour un soutien au secteur privé par sa filiale Proparco (Promotion et Participation à la coopération économique) qui a distribué 850 millions pour 63 projets dans divers pays essentiellement d’Afrique en 2013.
L’argent n’est plus versé aux Etats, mais aux entreprises françaises pour leurs affaires en Afrique.
Rôle du Franc CFA
Pour les 16 pays d’Afrique dont il est la monnaie, le Franc CFA est le cordon ombilical avec la France. Ces Etats, dits indépendants, sont contraints de placer 65% de leurs réserves de change sur un compte du Trésor français. L’ancienne puissance coloniale a la mainmise sur leurs économies et tient leur destin. En 1993, la dévaluation de 50% du Franc CFA décidée unilatéralement par le gouvernement Balladur a eu des conséquences économiques et sociales désastreuses.
Il est aisé d’intervenir dans des pays dont les pouvoirs de leurs dirigeants sont amoindris. Il ne s’agit d’ailleurs plus de coopération mais d’interventions économiques décidées par les hommes d’affaires venus d’ailleurs.
Présence et interventions militaires françaises en Afrique
La présence militaire française influe sur la politique des pays où elle est implantée et au-delà dans la région. En février 2013, des unités françaises étaient installées dans 11 Etats d’Afrique, au travers de forces pré positionnées, forces spéciales et celles en opération. Il faut y ajouter les unités de la Réunion et de Mayotte dépendant du commandement des forces armées de l’océan Indien.
« Le livre blanc sur la défense et la sécurité nationale » d’avril 2013, coordonné par Hubert Védrine tend à réduire les arsenaux pour privilégier le développement de la surveillance, les unités aéroportées et les interventions en Afrique, missions définies par l’OTAN. L’objectif est de surveiller les forces de progrès dans les pays et d’exfiltrer les dictateurs déchus comme Blaise Compaoré qu’un avion français a emmené en Côte d’Ivoire.
Le Président de la République, chef des armées, gère son domaine réservé : l’armée. Comme ses prédécesseurs, il l’envoie guerroyer sans prendre avis auprès de scientifiques ou de spécialistes civils sur les dangers de jouer à ce jeu.
Les interventions militaires sont décidées avant ou après un débat sans vote à l’Assemblée Nationale puisqu’on ne fait pas la guerre, mais des « opérations extérieures ». On ne « bombarde » pas, on procède à des « frappes ».
Nous avons là des régimes autistes aux réalités et aux conséquences de leurs décisions qui consistent à organiser un chaos permanent et déstabiliser des Etats forts dont les dirigeants, tout anciens-amis-dictateurs qu’ils soient, ne répondent plus aux attentes du moment.
En Libye, les suites de l’attaque par la coalition franco-britannique sont désastreuses. Aujourd’hui deux gouvernements se sont installés au nord du pays pendant que le sud est sous contrôle des milices islamistes qui participent et laissent libre cours et aux trafics d’armes, de stupéfiants et d’êtres humains.
La situation est identique au Nord Mali où la France refuse au gouvernement malien le dé- ploiement de son armée sur l’ensemble du pays. La France s’est faite marraine du MNLA. Elle lui offre une représentativité qu’il n’a pas dans les tribus touarègues qui ne sont pas elles-mêmes majoritaires dans le peuplement de la région, malgré ce qu’en disent nos grands médias.
Cette tactique va dans le droit fil de la tendance à la partition des Etats forts et à leur réorganisation sur des bases ethnico-politiques. Voir ce qui s’est produit au Sud Soudan où rien n’est réglé pour autant et le Nigéria, état puissant et riche, n’est pas à l’abri d’une même partition.
Depuis les indépendances, la France a fait 58 interventions militaires plus ou moins longues dans 23 pays d’Afrique. Pour des raisons nobles de « respect des accords de défense », « la protection des ressortissants français », « le maintien de la stabilité face au risque de chaos », « sécuriser le processus électoral », avec la dernière version : « l’ingérence humanitaire ».
Parmi les pays qui ont bénéficié de ces « bienfaits » : le Zaïre/RDC, le Tchad et Djibouti avec 6 interventions pour chacun d’eux, la Centrafrique avec 5 interventions, 3 en Côte d’Ivoire etc… pour la stabilité qu’on leur connaît.
François Hollande s’est attaché à compléter la longue liste des aventures guerrières françaises de ses prédécesseurs avec en apothéose l’opération Berkhane qui permet de positionner 3000 militaires français qui peuvent intervenir dans cinq pays du Sahel hors du commandement de l’ONU !
C’est enfin l’installation de fait d’une base française au Nord Mali, repoussée en son temps par Amadou Toumani Touré. L’annonce faite aux Maliens par François Hollande que la France n’a pas vocation à rester au Mali n’est pas prête de se réaliser. L’opération Berkhane est-t-elle le premier pas pour réaliser le vieux rêve de De Gaulle d’un Etat saharien ? Les immenses réserves minières du sous-sol au Nord du Mali et du Niger et celles du Sud algérien sont bel et bien dans le viseur.
L’Organisation Internationale de la Francophonie
Bras armé des multinationales, la Francophonie se définit elle-même « pour figurer le dispositif institutionnel organisant les relations entre les pays francophones ». Elle n’est pas seulement l’instrument de domination politique et culturelle, elle joue un rôle économique indéniable.
L’Observatoire de la Langue Française recense 274 millions de francophones sur les cinq continents : c’est un calcul à l’emporte pièce quand on sait que 1% des Malgaches parlent le français, désigné en langage populaire comme « la langue pour donner des ordres ». Tananarive a été désignée pour héberger le prochain forum de la Francophonie. C’est typiquement un choix économique utilisé pour épauler l’opération « Madagascar grenier de l’Océan Indien » gérée par la Commission de l’Océan Indien (COI) et censée produire ce qui est nécessaire aux autres pays de l’Océan Indien et ce que cette région exportera sous l’égide de la France vers les autres parties du monde.
L’OIF a sous ses ordres des outils comme l’Agence universitaire de la francophonie, TV5-monde, l’Association internationale des maires francophones, l’Université Senghor et les Instituts français qui existent dans chaque pays francophones et dans d’autres pays. C’est une belle couverture pour avancer les pions économiques sous prétexte de propositions et programmations culturelles et éducatives.
Toutes ces entités ont joué un rôle en réseau dans le coup d’Etat camouflé à Madagascar en 2009 pour les intérêts de Total. Idem en Côte d’Ivoire pour remettre Bolloré dans la course.
Rapport de la France avec les pouvoirs en place
Poursuite du soutien indéfectible à l’occupation coloniale du Sahara occidental par le royaume du Maroc, avec le blocage au Conseil de Sécurité de l’ONU de charger la MINURSO de la surveillance des droits de l’homme comme toutes les missions de maintien de la paix de l’ONU.
La plupart des élites mises en place par la France, fonctionnent en réseau, franc-maçonnerie, Lyons club, et celui des USA préparent la relève. Nombre de dirigeants sont maîtres de loges nationales et leurs connivences se révèlent dans les instances internationales. Quant aux dirigeants de ces pays aux commandes en Côte d’Ivoire, Burkina Faso (avant le coup de balai), au Togo, au Gabon, au Cameroun… ce ne sont pas de simples marionnettes, ils sont en connivence avec les couches dirigeantes françaises et participent à la distribution des rétro-commissions et au financement des partis. Les ambassades de France dans ces pays sont de véritables lieux d’immixtions dans la politique interne des Etats d’où se fait la coordination entre les élites. À Ouagadougou durant 10 ans l’ambassadeur de France fut un ancien général de la lé- gion qui jouait véritablement le rôle de proconsul.
(En résumé du débat du Bureau National de l’AFASPA du 17 janvier 2015)
Michèle Decaster, AFASPA (Association Française d’Amitié et Solidarité avec les Peuples d’Afrique)
Mis en ligne par Romain
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