Du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes
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DE BARCELONE AU KURDISTAN, DE L’ÉCOSSE A LA CORSE, DU SOUDAN A LA LIBYE
LA « PROLIFÉRATION ÉTATIQUE » A LE VENT EN POUPE
On croyait définitivement morts Franco et sa Guardia Civil : Ils ont sillonné à nouveau les rues de Catalogne en terrorisant les citoyens coupables de ne pas avoir oublié les jours heureux de la République et des libertés catalanes. Les voici revenus à l’occasion du référendum catalan, camouflés en démocrates européens, déguisés en bourgeois bien mis, avec lunettes cerclées d’or et barbiche à la Napoléon le Petit, affirmant sans rire que l’Espagne des Rois et des possédants est toujours éternelle, et que le vote de quelques millions de citoyens catalans exprimé malgré les matraques et les balles ne compte pas. Alors, redisons le : pour les Communistes que nous sommes, le droit de chaque peuple a s’exprimer librement est imprescriptible, le règne des monarques, des politiciens soumis au capital qui ne sont élus que par les scrutins manipulés, le fric, et la police, est proprement insupportable, que ce soit à Paris, à Barcelone, à Madrid ou ailleurs. Tout peuple a droit de choisir lui même son destin, sans ingérence extérieure, jusques et y compris celui de se vouloir Nation indépendante, avec son état, ses lois, et d’en décider démocratiquement à la majorité. Les Communistes français fidèles à leurs principes surent au siècle dernier soutenir le droit des peuples à l’émancipation, y compris contre le colonialisme français. Ceux d’aujourd’hui ont la même mission. Les centaines de blessés par la Guardia Civil de Rajoy en Catalogne l’ont été en défendant ce droit, et nous en sommes solidaires, a l’inverse de Mrs Macron et de ses opposants-alliés de la Droite française.
Ces principes réaffirmés, que l’on ne fasse pas de nous les suppôts bornés de quelque nationalisme que ce soit, qu’il soit catalan ou d’ailleurs. Selon la vieille formule marxiste, le droit de divorcer n’implique pas l’obligation du divorce, on ne peut juger d’un processus d’indépendance qu’en déterminant s’il est majoritaire et au profit de qui il s’accomplit : les séparatismes sont parfois les déguisements favoris d’une bourgeoisie qui se refuse égoïstement à la solidarité nationale, et n’aspire qu’à détourner le mécontentement populaire vers la xénophobie contre les immigrés.
Certes, la Catalogne est un pays prospère en Méditerranée, avec ses presque 8 millions d’habitants ( la Belgique menacée d’implosion flamande n’en a que 11, l’Autriche moins de 9, et nombre d’états indépendants au sein de l’Union Européenne sont moins peuplés encore : Chypre,le Luxembourg et Malte ont respectivement 1 million, 2, 600.000 et 500.000 habitants, et les trois pays baltes, Lithuanie, Lettonie, Esthonie, n’atteignent pas ensemble le total catalan. ). Ses industries actives et son tourisme florissant dans une Espagne en crise lui permettent de réaliser 20 pour cent du PIB du Royaume ibérique. Le Royaume d’Espagne est le résultat d’une histoire spécifique, très différente de celle de notre pays : la nation française s’est affirmée par l’assentiment des citoyens durant la Révolution de 1789-99. Le royaume d’Espagne s’est constitué par le rassemblement plus ou moins contraint de diverses régions et royaumes ibériques sous l’ autorité parasitaire de la Couronne de Castille et des Possédants, terriens et financiers, cautionnés par l’épiscopat catholique. Seule la République au XXe siècle à permis l’éclosion des libertés régionales, souhaitées par les divers peuples d’Espagne, notamment le peuple catalan, fier de sa langue et de sa culture séculaire, avant l’étouffement franquiste. Les manifestants de Barcelone, indépendantistes ou pas, aspirent aussi massivement au rétablissement de la République, le Roi ne s’y est pas trompé en volant au secours de Rajoy.
Est ce à dire que la majorité des Catalans veulent l’indépendance ? Ce n’était pas le cas il y a 10 ans, cela peut le devenir face à l’intransigeance obtuse du pouvoir madrilène. Une partie de la bourgeoisie y aspire, et les milieux populaires sont divisés : tout nationalisme charrie des motivations contradictoires, de la xénophobie égoïste des uns aux aspirations démocratiques de certains travailleurs.
On ne peut néanmoins ignorer que ce drame s’insère dans un contexte plus large, continental. L’Union Européenne, conglomérat supranational de 27 états, est taraudée depuis le début de ce siècle de séparatismes régionaux, souvent le fait de régions riches qui se refusent à assumer plus longtemps une solidarité nationale qu’elles estiment à leur détriment. Ce sont des Flamands qui ne veulent plus financer les chômeurs et les malades de la Wallonie belge en déshérence. Des Écossais persuadés de se faire voler leurs richesses pétrolières par un Royaume Uni en perte d’industries. Des tenants de la Ligue du Nord en Italie, rêvant d’une mythique Padanie [1], débarrassée des pouilleux de Calabre et de Rome. Dans tous ces cas, les spécificités culturelles ont bon dos, la motivation première est la quête xénophobe de boucs émissaires aux difficultés sociales et politiques : un argumentaire proche de celui utilisé par des partis classiques d’extrême droite nationaliste en Allemagne ( AFD ), en Hongrie ou en France. Dans les trois cas, leur discours démagogique anti-europeen ne doit pas nous leurrer : l’Union Européenne n’a été fondée et construite que pour élargir le Marché capitaliste aux dimensions du continent. Depuis sa naissance, sa mission est de rogner ce qui entrave la liberté de circulation des capitaux, des marchandises et des salariés, et de favoriser les profits qui en découlent. Dans ce but, les dirigeants de cette Europe occidentale du Capital détruisent autant qu’ils le peuvent les prérogatives des États nationaux, parce qu’ils sont une protection légale des citoyens et des conquêtes sociales. C’est dans le même objectif libéral que les dirigeants français s’affairent à détruire le tissu des collectivités locales élues, communes et départements, au profit de vastes régions bureaucratiques à l’image des Landers allemands et d’une future Europe fédérale. En ce sens, la floraison de séparatismes en Europe occidentale est lie a l’Union Européenne, et au processus qu’elle incarne de mise en cause des Nations.
La France est elle immunisée par son histoire contre ces implosions séparatistes qui menacent les états voisins ? Certes, les velléités indépendantistes dans des régions françaises comme la Bretagne, l’Alsace ou la Corse n’ont jamais été que marginales, et n’ont constitué un danger pour la Nation que dans le contexte particulier des occupations allemande et italienne durant Nazisme et Fascisme. Mais elles traînent dans certaines têtes, comme l’a montré le fugace mouvement breton des « Bonnets rouges », qui mêlait patrons et salariés contre l’état . Et lors des élections de 2015 et 2017, les Nationalistes corses, profitant du mode de scrutin majoritaire comme l’ont fait les tenants de Macron sur le continent, ont emporté la direction de l’Assemblée territoriale et deux députés insulaires sur trois. Et grâce aux médias locaux, journaux et télés, à leur emprise sur l’Université de Corse, à leur influence dominante dans l’économie régionale, à leur habileté prudente aussi ( ils désavouent la clandestinité passée, et les débordements racistes d’une partie de leur mouvance ), ils sont en passe de l’emporter a la prochaine consultation électorale en décembre 2017. Il faut dire que leurs succès tiennent aussi à la décrépitude des opposants traditionnels, la Gauche radicale totalement discréditée par sa corruption et son clientélisme, et un PCF autrefois influent, en perte de repères et d’influence pour avoir soutenu de longues années une « Gauche » locale encore plus indéfendable que celle au pouvoir à Paris. Evidemment, ces Nationalistes insulaires ne parlent que d’autonomie dans le cadre français et de l’union Européenne, dont les options libérales leur conviennent autant qu’à Macron. Et, bien qu’émoustillés par les événements de Barcelone, ils ne se risquent pas à proposer un référendum sur l’indépendance à la catalane, sûrs qu’ils sont de le perdre, toutes les enquêtes d’opinion le confirment. Il est vrai que l’île, réduite à un tourisme ravageur et spéculatif, ne produit que 0,4 pour cent du PIB français...l’indépendance en Corse ne pourrait s’envisager que sous la forme d’un paradis fiscal dans le cadre de l’UE, comme celui de Malte.
Des la dernière partie du XXe siècle, le Capitalisme était devenu majoritairement international, constitue en grandes sociétés financières privées transnationales, pour lesquelles les états nationaux sont des obstacles quand ils protègent les citoyens, ou des instruments pour assurer leur domination militaire ou économique. La stratégie impérialiste qui en découle repose sur la mise en cause des états nationaux dans toutes les régions du monde ou des peuples peuvent les utiliser pour résister à l’exploitation par les firmes transnationales et aux puissances politiques et militaires à leur service :
De 1990 à nos jours, cette destruction organisée des états nationaux par l’invasion guerrière et la manipulation des séparatismes nationalistes se sont multipliés, toujours suscité par les grandes puissances impérialistes, toujours acharnés à les émietter en petits états à base ethniciste, d’autant plus faciles à vassaliser qu’ils auront peu de ressources propres.
Le rétablissement du capitalisme en URSS entraîna la renaissance des nationalismes des périphéries de l’Union, et l’indépendance sous leur égide des nouveaux états baltes, d’Asie centrale, et du Caucase, avec pour corollaire de multiples conflits à prétextes ethniques ou religieux entre nationalités ( Arméniens, Azéris, Géorgiens, etc ). Le même processus a détruit la Fédération socialiste de Yougoslavie, qui avait réussi à s’unifier sous la direction du Maréchal Tito, dans l’esprit de la Résistance antifasciste. Tito disparu, les nationalismes slovènes, serbes, croates ou bosniaques ont refleuri avec le soutien des Puissances capitalistes de l’UE et des USA, morcelant le pays en états agressifs et en minorités ethniques, jusqu’à une guerre féroce, qui a servi de prétexte aux ingérences militaires occidentales.
Dès le début du XXIe siècle, l’impérialisme occidental coalise autour du plus puissant, celui des USA, à mis en place sa grande stratégie de remodelage du Moyen-Orient, cœur des gisements pétroliers et gaziers les plus importants du globe. Cette stratégie passe par l’élimination par la guerre des états nationaux qui lui résistent, en soutenant ou même en suscitant des insurrections armées internes, souvent d’inspiration intégriste : Ce fut d’abord le cas avec succès de l’Irak, par les armées de Bush, puis de la Libye, sous la houlette de Sarkozy, enfin de la Syrie,sans succès pour l’instant. Mais toute cette partie du monde sort détruite pour longtemps de ce début de siècle, livrée aux séparatismes, aux intégrismes, aux trafiquants, vidée de millions de réfugiés et parsemée de villes détruites. C’est dans ce contexte dramatique que Barzani, dirigeant pro-occidental des Peshmergas d’Irak envisage de proclamer un état indépendant de Kurdistan, avec le parrainage du seul Israël, qui espère ainsi détruire l’Iran , tout en continuant à traiter les Palestiniens en parias : Un bel exemple de détournement hypocrite du droit des peuples à disposer d’eux mêmes.
Les mêmes ingérences impérialistes se sont répandues en Afrique, utilisant des séparatismes régionaux pour déstabiliser les fragiles états nationaux nés de la décolonisation, ensanglantant régulièrement l’est de la République du Congo riche en minerais, après avoir permis au Sud du Soudan de proclamer son indépendance à l’issue de massacres. On sait le rôle destructeur joue par le MNLA contre l’état national du Mali, qui, avec la complaisance du Quai d’Orsay français, tente d’amputer le pays de toute sa partie nord saharienne, pour en faire l’état indépendant de l’Azawad. L’Algérie elle même est menacée : profitant des revendications culturelles justifiées des millions de citoyens qui s’expriment en langue berbère plutôt qu’en arabe, les séparatistes du MAK prônent la sécession d’un État indépendant de Kabylie berbère, l’ANAVAD, au détriment de celui national d’Algérie, ne de la guerre d’indépendance contre le colonialisme : un retour en arrière qui ne déplairait pas aux Impérialismes occidentaux....
Comment dès lors pourrait on s’étonner de voir ce processus de « prolifération étatique » se répandre à son tour sur l’Europe occidentale capitaliste, dont les idéologues de l’UE ne cessent de prôner le fédéralisme. Certaines bourgeoisies, en général de régions riches, imprégnées de l’idéologie libérale de l’Union Européenne, voient dans le séparatisme un moyen de supprimer les solidarités nationales, d’accroître encore l’exploitation et la précarité des salariés. C’est le cas en Écosse britannique, en Flandre belge, en Italie du Nord, et c’est aussi le cas en Catalogne. Ces bourgeoisies égoïstes et volontiers xénophobes sont présentés dans les manifestations « nationalistes », ambiguës comme le sont toutes les idéologies nationalistes, qui prétendent nier la lutte de classe, comme si le proletariat et le patronat qui l’exploite avaient les mêmes intérêts. Certes, les dirigeants de l’Union Européenne sont prudents : ils ne veulent pas risquer une rupture avec les autorités de Madrid, en favorisant trop ouvertement le séparatisme catalan. Mais leurs objectifs fédéralistes demeurent...
Face à cette aspiration incontournable qu’est le droit des peuples à disposer d’eux mêmes, on ne peut se prononcer sans répondre à une question essentielle :
Qui est porteur de cette aspiration, la majorité, c’est à dire ceux qui dans ce peuple vivent exclusivement du fruit de leur travail, ou la minorité privilégiée, bourgeoise, qui aspire à en tirer un profit plus grand encore, quitte pour cela à se faire aider par une ingérence extérieure ?
C’est vrai en Catalogne comme ailleurs. En dernière analyse, ce ne sont ni les lois constitutionnelles en vigueur, ni les politiciens du pays où de l’Union Européenne qui en décident.
Seul le peuple concerné, majoritairement, sans ingérence extérieure, est habilité à choisir son destin, c’est un des « impératifs catégoriques » inclus dans l’idéal des Communistes.
A la date d’aujourd’hui, nul ne peut prévoir l’issue du drame catalan. Les deux nationalismes sont en surchauffe, et la situation à même redonné de la vigueur à la vieille extreme-droite espagnole. Les discours sur la primauté de la race ou de la nation font oublier les réalités de classe. Ces dérives peuvent engendrer y compris des morts si les forces progressistes, syndicats et partis, ne sont pas capables, en Catalogne et dans l’ensemble de l’Espagne, de stopper cette marche à l’abîme. Nous ne pouvons que le souhaiter aux travailleurs d’Espagne et de Catalogne,
en réaffirmant notre solidarité avec eux, en refusant toute ingérence.
FRANCIS ARZALIER. . 26/ 10/ 2017. Collectif polex. ANC )
[1] Padanie est une dénomination géographique alternative utilisée pour décrire la Val Padana, ou toute la partie continentale et septentrionale de l’Italie, recouvrant globalement la Plaine du Pô
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