2017 ou la mort annoncée des partis politiques
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Le 15/16 janvier 2017, l’éditorialiste M. Noblecourt publiait avec gourmandise dans le quotidien Le Monde, un bilan cruel mais malheureusement lucide des bientôt cent ans d’existence du parti des communistes en France (« Le siècle brisé du P.C.F. »).
Il drainait près du tiers des électeurs français en 1946, et en 1969, Jacques Duclos, le dernier candidat authentiquement communiste aux élections présidentielles, réunissait encore 21% de l’électorat, avec un discours où la lutte des classes l’emportait sur les opportunismes électoraux. La perte d’influence a été continue tout au long du demi-siècle suivant. Après l’absence suicidaire au profit du socialiste François Mitterrand en 1974, le candidat (G. Marchais) du PCF obtenait encore 15% en 1981, mais Marie-Georges Buffet dégringolait en 2007 à moins de 2%... pour en arriver en 2017 à disparaître totalement du paysage électoral présidentiel et médiatique. Le ralliement contraint à un leader non-communiste de la « gauche radicale », qui n’éprouve même plus le besoin de se prévaloir d’un défunt « Front de gauche », et distribue les investitures aux futures législatives, révèle l’atonie, sinon l’agonie, d’un « mini parti miné par ses fractures internes…en voie d’extinction » [1]. Le PCF, né en 1920, qui fut, avec ses défauts, le porte parole des ouvriers et intellectuels révolutionnaires français, incarné par des militants aussi prestigieux et divers que Thorez, Duclos, Aragon, meurt d’avoir peu à peu perdu le contact avec les hommes et les femmes qui, en France, vivent du fruit de leur travail ou voudraient bien pouvoir le faire. Et ce « siècle brisé » a des causes qui se sont nourries l’une de l’autre.
D’abord celles, objectives, liées à l’évolution du capitalisme régnant : financiarisé, mondialisé, il n’a cessé d’exporter depuis 1970 ses capitaux, vers des contrées lointaines où le profit serait plus fort, détruisant pour cela les grandes concentrations industrielles de la France depuis deux siècles, mines, textile, métallurgie, transports, et par la même occasion, les concentrations ouvrières qui furent depuis 1830, le terreau nourricier du mouvement révolutionnaire et progressiste français. Cette colonne vertébrale ouvrière, d’où naquirent les conquêtes sociales et politiques de 1936 et 1945, donna encore naissance au massif mouvement de grèves du printemps 1968. Après ce chant du cygne, qui réussit encore à imposer au capital quelque succès des salariés, les luttes ouvrières, déstabilisées chaque année un peu plus par les destructions d’entreprises, le chômage, la précarité des contrats, furent peu à peu acculées à des combats défensifs, et trop souvent défaites. Ce fut le cas encore en 2016, quand l’admirable mouvement de grèves et manifestations contre la loi El Khomry ne réussit pas à la briser face à la coalition du patronat, des politiciens de droite et du PS, et des syndicats « d’accompagnement » et de soumission, CFDT et autres. Dans ce contexte, où les reculs sont le pain quotidien, un PCF né des luttes de classes, ne pouvait que subir l’étiolement des bases ouvrières, qui furent dès 1920 son terreau nourricier.
Autre cause objective, l’effondrement en 1990 du « socialisme réel » en URSS et ailleurs, et le discrédit qui rejaillit de cet échec sur le mouvement révolutionnaire et progressiste dans le monde entier. Dès la fin du XXe siècle, tous les peuples ont connu une véritable « contre-révolution culturelle », propageant les idéologies conservatrices, irrationnelles, individualistes, qu’on qualifie souvent d’ « ultra-libéralisme », et qui ont partout, de l’Afrique à l’Europe, de l’Asie à l’Amérique, détruit les partis communistes, ou les a transformés en partis « de gauche », vidés de leur caractère subversif, ralliés aux lois du capital hypocritement baptisées lois du marché.
Mais ces partis, nés révolutionnaires, auraient peut-être réussi à adapter leur stratégie à l’évolution de la société et des idéologies, s’ils n’avaient pas connu une mutation interne décisive, et quasiment inguérissable. La raison essentielle de leur déclin tient à la dérive opportuniste, électoraliste et carriériste de leurs dirigeants. Ces tares politiques, toujours présentes au sein même des organisations communistes, sont devenues peu à peu majoritaires à la fin du XXe siècle. En 1981 déjà, l’alliance avec le PS tournait à l’allégeance pour accéder aux ministères et aux fauteuils de députés et maires. En 1994, l’arrivée de Robert Hue au secrétariat général a signé la prise du pouvoir au sein du PCF de dirigeants nationaux et locaux dont l’objectif essentiel se limitait à assurer les réélections, grâce à l’appoint de suffrages socialistes, quitte à édulcorer suffisamment ses objectifs pour les obtenir : la « mutation » détruisit progressivement ce qui faisait l’identité révolutionnaire du parti : cellules d’entreprises et locales aptes à animer les luttes de classes, débats internes et cursus de formation des militants, ont fait place à un PCF qui ne s’éveille guère qu’à l’occasion des élections, et perd peu à peu le contact avec les revendications des salariés, et, au premier chef des ouvriers. Cela pour en arriver au désastre actuel que tous les sondages et les analystes sérieux constatent : « A Garges les Gonesses, Val d’Oise, où 40% de la population vit en dessous du seuil de pauvreté, les abstentionnistes constituent la première force politique. En 2015, près de 70% des électeurs ont déserté les urnes… ». Garges était encore une municipalité communiste en 1980. « Le vote d’extrême gauche n’attire plus guère, en 2017, que les ouvriers retraités, qui fuient la ville dès qu’ils le peuvent, ou partent s’installer dans la zone pavillonnaire, séparée des barres d’immeubles par un cimetière… » [2]. Le même quotidien constate un basculement massif des ouvriers les plus précaires : ils auraient voté en décembre 2015, à 64% pour l’extrême droite FN, au premier tour des élections régionales. Le sondage IPSOS de décembre 2016 relève parmi « ceux qui s’en sortent très difficilement avec les revenus du ménage », 44% d’intentions de vote pour Marine Le Pen, 34 à 37% parmi les chômeurs et les inactifs [3].
Cette désertion de l’électorat le plus exploité qui autrefois faisait confiance au PCF annonce t’elle sa mort, comme le souhaitent les ennemis du communisme ? Seul l’avenir le dira, car la crise de cet instrument politique que fut durant un siècle le parti, réduit par des causes extérieures et internes à une spirale suicidaire, ne signifie en aucun cas la disparition de l’idéal qu’il a si longtemps assumé, inscrit dans les réalités d’une société capitaliste générant toujours plus d’inégalités. Mais la cause est en 2017 entendue : il existe un risque réel de disparition du PC à l’issue de son siècle d’existence. Seul l’avenir dira s’il peut se régénérer en se ressourçant dans ses idéaux d’origine.
2017, l’implosion française
Ce constat fait, il reste une question plus vaste que n’abordent guère les anticommunistes de tout poil, du Monde au Figaro, de Libération à Antenne 2. Cette mort annoncée (ou souhaitée ?) du PCF en 2017, n’est t’elle pas liée à une évolution générale de l’expression politique en France (et ailleurs), au détriment de tous les partis structurés, nés au XIXe et au XXe siècles ? Tous, peu ou prou, à l’orée des scrutins de 2017, se révèlent des colosses au pied d’argile, sont menacés d’implosion, de désaffection et de mort programmée. Les représentants de tous ceux qui on assumé le pouvoir, et de gauche, et de droite, ont été piteusement éliminés de la compétition électorale en quelques mois. Le Président socialiste Hollande contraint à ne pas se représenter ; son ex Premier Ministre Valls, balayé à son tour par l’électorat socialiste ; lors des primaires de la droite, l’ex-président Sarkozy humilié par les électeurs de la Droite ; et,après lui, son ministre Fillon, proclamé paladin vertueux du conservatisme et de l’austérité, qui se révèle friand d’avantages personnels indéfendables. A l’issue de ce premier round qui a surtout permis aux médias de focaliser l’attention du public sur autre chose que les problèmes cruciaux de la société française, chômage, précarité, désindustrialisation, inégalités sociales, le jeu de massacre s’est poursuivi : le challenger des Républicains est discrédité ; celui des socialistes, Hamon, est empêtré dans un « projet de gauche » dont le cœur est un « revenu universel » prôné en son temps par des économistes ultra libéraux comme Milton Friedman et Hayek, les maîtres à penser du dictateur chilien Pinochet, et ne fait guère l’unanimité dans son camp. Ce projet est en rupture totale avec le socialisme français, qui lutte depuis 1848 pour obtenir le droit au travail pour tous:le "revenu universel" est une idée "charitable ", elle signifiait pour ses inventeurs que la société capitaliste actuelle, avec ses millions de chômeurs et d’emplois précaires est la seule possible, et qu’il faut l’accepter.
Ce sont en fait les deux grands partis des IVe et Ve Républiques qui menacent de voler en éclats, voire de disparaître. Non que les idéologues de droite et de gauche aient disparu. Mais ce sont les partis qui les exprimaient, qui structuraient la vie politique française, dont l’existence est mise en cause par le discrédit total des élites politiques, accusées de corruption, et de faire, au pouvoir, tout autre chose que leurs engagements électoraux. Un discrédit né certes de faits réels, mais qui est systématiquement cultivé depuis des décennies par « l’establishment » médiatique, qui n’aborde les hommes politiques que sur le ton de la dérision ou de la suspicion… comme s’il n’était pas le premier responsable des manipulations de l’opinion….
Une mutation « mouvementiste » ?
Vis-à-vis des partis politiques constitués depuis le XIXe siècle, semble s’esquisser en France un « grand remplacement », tel que les xénophobes le proclament sur le plan démographique. Les générations actuelles, imprégnées d’individualisme, répugnent à la discipline d’une organisation au service de leurs convictions, même s’ils en professent autant qu’auparavant. Tous les partis, syndicats, ONG, ont du mal à renouveler leurs militants. L’engagement, méfiant, se limite souvent à des émotions soudaines et éphémères, aux mobilisations sans leaders reconnus, par le biais des « réseaux sociaux ». Sur le plan strictement politique, cela se traduit en 2017 par l’abstentionnisme massif et le mépris d’institutions dont on n’attend plus rien, voire même pas l’attirance pour une extrême droite abonnée depuis toujours à dénoncer les turpitudes des élus de tout bord. Mais cette critique de fond de la « forme-parti », que cultivent depuis longtemps aussi bien des penseurs « libéraux » que des intellectuels de la « nouvelle gauche », abonnés à Libération, a généré surtout deux étonnants phénomènes pré-électoraux parallèles et concurrents : dans la mouvance ultra- libérale et « moderniste », Emmanuel Macron siphonne à la fois un électorat socialiste converti aux vertus du capitalisme, et celui d’une droite « bobo » : Le mouvement « En marche » affiche en quelques mois plus d’affiliés que le PS et les Républicains, séduits par un leader charismatique, par son lyrisme, plus que par ses analyses. Au côté gauche de l’échiquier électoral, la « France insoumise » de Jean-Luc Mélenchon amalgame des thèmes cultivés longtemps par le PCF (et parfois oubliés, comme la dénonciation de l’UE et de l’OTAN). Ce faisant, et grâce à ses qualités de tribun, il rassemble sur la toile et dans les salles, des dizaines de milliers de jeunes, souvent enthousiastes et combatifs, réunis par leur conviction de ne pas y subir les disciplines surannées d’un parti. Comme me le faisait remarquer récemment un vieux militant communiste : « Hollande a réussi à tuer le PS français, comme Mitterrand avait ébranlé le PCF. Et Mélenchon achève de le détruire ». Un constat réaliste, mais ne rendons pas à César ce qui ne lui appartient pas : ce fut avec la collaboration des victimes !...
Renouveau démocratique ou régression ?
Certains voudraient discerner dans cette implosion des partis structurés, minés par leurs dérives, et leur remplacement par des mouvements jeunes, enthousiastes, assis sur la modernité informatique, un renouveau démocratique. Comme si le fait de répudier le suffrage universel parce qu’il est déformé, et de pratiquer l’abstention, gênait en quoi que ce soit les pouvoirs établis. Comme si le détour éventuel par l’extrême droite génétiquement autoritaire et xénophobe pouvait signifier autre chose que le pire : si les dirigeants élus sont parfois corrompus, ceux non élus le sont bien davantage encore. L’attirance pour des mouvements de type informel, voire ectoplasmique, au programme parfois imprécis, et au leader charismatique, repose sur la répugnance à l’égard des disciplines collectives en usage dans les partis politiques structurés. Pure illusion : moins un mouvement est organisé, structuré par des objectifs communs, plus le risque de manipulation des adhérents est grand, au service notamment de dirigeants plus imprégnés de monarchisme que de démocratie. Mitterrand avait critiqué avec férocité la monarchie gaulliste. Cela ne lui interdit pas d’utiliser à son profit la constitution de la Ve République, une fois au pouvoir. JL Mélenchon prône à juste titre une VIe République, dont les élus devraient être contrôlés par les citoyens, leurs mandants. Mais au sein de sa « France insoumise », entouré de sa garde rapprochée du Parti de Gauche, il s’accommode très bien de la personnalisation née du scrutin présidentiel, avec des accents de type bonapartiste. Macron fait pire : il s’ébroue avec délectation dans cette fange pré-présidentielle et médiatique, il soigne ses cravates et ses formules de " gagnant ", sans daigner préciser à ses électeurs potentiels d’autre programme que " Suivez le chef, en marche vers l’avenir."
En ce sens, le « renouveau démocratique » par la mort des partis politiques pourrait bien se révéler un saut dans le pire passé.
Ce risque ne concerne pas que la France, mais aussi les pays voisins, dont certains ont déjà, dans des conditions spécifiques, vécu la même crise du système politique :
ce fut en Espagne, l’essor fulgurant du Mouvement des Indignés, puis de Podemos, au détriment souvent des communistes organisés, qui n’a guère permis de déstabiliser la droite, tant il est miné par ses contradictions politiques ;
ce fut surtout en Italie l’expansion d’un Mouvement Cinq Etoiles, ectoplasme politique qui ne sait plus trop bien quel projet politique il soutient, tiraillé qu’il est entre des aspirations gauchistes, et d’autres ultra libérales. En attendant cette « insurrection populaire » informelle a contribué à éliminer de l’assemblée italienne tous les députés communistes, dans le pays d’Europe qui eut longtemps le PC le plus important… un résultat d’autant plus dramatique qu’on sait l’enthousiasme et la volonté de changement de la majorité des jeunes emportés par cette évolution contemporaine.
Lénine constatait déjà que « la réalité est têtue », et qu’on ne peut espérer infléchir l’histoire en la niant, quoi qu’on pense des changements de la société qui nous entoure. Refuser de voir le poids des nouvelles technologies d’information et de manipulation ne les fera pas disparaître. Le contexte économique, social et idéologique actuel fait que le dévouement sacrificiel des militants de 1930 ou de 1943, leur discipline quasi militaire des années 50 relève du passé, et ne reviendra pas. Reconstituer un parti révolutionnaire sous ces formes révolues est un leurre. L’évolution, l’adaptation des organisations communistes, de leur discours, du contact avec les citoyens, de leur mode d’organisation, est nécessaire, pour devenir lisible à nos contemporains.
Quelle que soit leur forme, parti ou mouvement, ils ne pourront contribuer à basculer la société capitaliste au profit de la majorité, que s’ils s’appuient sur un programme cohérent, arc-bouté sur la lutte de classes, et un fonctionnement démocratique, organisé, non-monarchique. Au XXIe siècle aussi, « il n’y a pas de sauveur suprême »….
Francis Arzalier
15/02/2017
[1] (M. Noblecourt, article cité)
[2] (Le Monde, 29/30 janvier 2017, B. Collet)
[3] (Le Monde, 29/30 janvier 2017,I. Rey Lefebvre)
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