Sarkozy a perdu le peuple du Nord-Est
popularité : 4%
La popularité de Nicolas Sarkozy : une géographie mouvante
Depuis son élection, la popularité de Nicolas Sarkozy est placée sous le signe des superlatifs. Après avoir connu un état de grâce assez exceptionnel par le niveau de popularité atteint, sa cote s’est ensuite dégradée à une vitesse spectaculaire entre décembre 2007 et février 2008. Il a fallu ensuite attendre près de six mois pour que sa popularité regagne une partie du terrain perdu à l’occasion de la présidence française de l’UE et de sa gestion des débuts de la crise financière.
Aujourd’hui, à l’heure où le climat social se tend et que les baromètres des différents instituts semblent indiquer une nouvelle phase de baisse marquée, nous souhaitions revenir sur cette première partie du quinquennat pour montrer que ces brusques mouvements d’opinion ne s’étaient pas produits simultanément sur tout le territoire et que la cote du Président avait varié à un rythme différent selon les grandes régions, chacune ne réagissant pas de la même façon et au même moment aux évènements et annonces ayant scandé l’agenda politique ces derniers mois. Alors que les résultats du second tour de l’élection présidentielle avaient brouillé un certain nombre de vieux repères de la géographie électorale française, cette analyse tente de repérer et de décrire les nouveaux « tempéraments politiques » pour reprendre l’expression d’André Siegfried, et de mieux comprendre comment les différentes régions réagissent à la politique et au style de Nicolas Sarkozy.
1- Géographie initiale du sarkozysme
La géographie du sarkozysme triomphant telle qu’elle est apparue au soir du second tour de l’élection présidentielle et s’est maintenue jusqu’à la fin de l’été 2007 donne à voir une France coupée en deux selon une ligne de clivage est-ouest. La campagne de Nicolas Sarkozy, placée sous le signe du retour de l’autorité, de la revalorisation du travail et de l’identité nationale, séduisit fortement à l’est d’une ligne Dieppe/Avignon/ Perpignan, à la fois un électorat de droite classique mais aussi des catégories populaires acquises à la gauche [1], sans oublier, élément décisif, une part importante de l’électorat frontiste. Le prix à payer pour cette « prise de guerre » fut de voir, dans toute la moitié ouest du pays, un électorat centriste et modéré (qui avait pu voter pour Jacques Chirac au second tour de l’élection présidentielle de 1995 par exemple) basculer à gauche après avoir soutenu François Bayrou au premier tour. La comparaison entre les résultats de second tour de Nicolas Sarkozy et de Jacques Chirac en 1995 est à cet égard spectaculaire puisqu’à la stabilité du rapport de force national (53 % contre 47 % pour le candidat de gauche) a correspondu un profond réalignement géographique comme le montre la carte suivante (cliquer sur l’image pour l’agrandir).
La carte en grand format cliquer ici.
Mais cette dichotomie spatiale préexistait avant la campagne présidentielle et nous avions montré le fort clivage d’opinion opposant les régions de l’ouest adeptes d’une société dite « ouverte », pour reprendre l’expression de Pascal Perrineau, et des régions de l’Est défendant une société plus « fermée » (refus de l’immigration, adhésion forte au principe d’autorité dans tous les domaines, moins grande acceptation du « libéralisme culturel », de la mondialisation et de la construction européenne). Ce clivage se retrouve dans la carte de la popularité de Nicolas Sarkozy durant les premiers mois de son quinquennat.
Pour une popularité de 65 % au niveau national [2], on observait ainsi à l’époque un taux de 73 % dans l’Est intérieur (Picardie, Champagne-Ardennes et Bourgogne, dont bon nombre de départements ne constituaient pas pourtant des bastions historiques de la droite), 72 % dans le Grand Est (Alsace, Lorraine, Franche-Comté), 69 % en Paca et Languedoc-Roussillon (où à l’électorat de droite classique s’étaient joints de nombreux électeurs frontistes) et 69 % également dans le Nord-Pas-de-Calais, où le discours d’autorité et les signaux envoyés au monde ouvrier avaient semble t’il, rencontré un certain écho dans ces terres de gauche. Le Sud-Ouest (Aquitaine, Midi-Pyrénées et Limousin) avec 60 % et le Grand Ouest (Bretagne, Pays de la Loire et Poitou-Charentes) avec 62 %, relativement fidèles à leur vote massif pour Royal et Bayrou, faisant figure de régions les plus réfractaires au sarkozysme (avec néanmoins une cote de bonne opinion de 60 %…).
2- Un décrochage précoce et sévère dans la quart Nord-Est
Sans connaître un décrochage spectaculaire, la cote de Sarkozy au plan national va néanmoins s’éloigner assez rapidement de l’état de grâce tout en restant élevée : 58 % en moyenne entre septembre et novembre 2007. La baisse moyenne entre les deux périodes qui s’établit donc à 7 points cachait en réalité des mouvements très contrastés selon les régions. Le Sud-Ouest et l’Ouest en baissant respectivement de 8 et 6 points accompagnèrent sans excès, bien qu’étant en résistance à Sarkozy, le mouvement national tout comme l’Ile-de-France, qui allait d’ailleurs se révéler sur l’ensemble de la période comme parfaitement en phase avec la tendance nationale tant en niveau qu’en évolution [3]. La baisse fut plus faible que la moyenne (- 4 points) en Rhône-Alpes/Auvergne, régions assez acquises au sarkozysme et quasi-nulle sur le pourtour méditerranéen (- 2 points et 67 % de bonne opinion) dont l’électorat âgé ou de classes moyennes, de droite ou frontiste rallié maintint son soutien à Nicolas Sarkozy.
Ce dernier connut en revanche une érosion sensible dès l’automne 2007 dans les terres nouvellement conquises du Nord et de l’Est. Sa cote plongea ainsi de 12 points dans le Grand-Est et dans le Nord-Pas-de-Calais et même de 17 points (soit 10 points de plus que la chute moyenne) dans l’Est intérieur, où il avait pourtant été plébiscité. Contrairement à l’électorat sarkozyste méridional, cet électorat populaire conquis dans ces régions sur la gauche et le FN commença donc très vite à se détourner de lui. En dépit du train de réformes engagé, cet électorat estima sans doute que la « rupture » à laquelle il aspirait et avait cru tardait à se concrétiser. Le style présidentiel adopté (ouverture à la diversité et à la gauche notamment) s’éloignait de la radicalité de la posture et du ton qui avait été le sien et les avait séduits pendant la campagne. Cet électorat populaire du Nord-Est et plus spécifiquement de Picardie, de Champagne-Ardenne et de Bourgogne, qui avait été sensible au volontarisme et à l’énergie du candidat Sarkozy (notamment sur le pouvoir d’achat et contre les délocalisations) ne vit pas non plus ses conditions de vie quotidienne grandement changer dans des régions où la désindustrialisation et le chômage frappaient durement.
Lorsque la spirale baissière s’accéléra à la fin de l’année 2007 [4] et tout au long du premier semestre 2008, période marquée par l’aggravation de la crise économique et la défaite des municipales et des cantonales, le mouvement fut de nouveau encore plus brutal dans le quart Nord-Est. Comme on peut le voir dans le tableau ci-dessous, la baisse fut d’abord limitée dans l’Est intérieur (qui avait déjà décroché) et dans le Nord-Pas-de-Calais fin 2007 pour s’emballer ensuite au premier semestre.
L’évolution par rapport à la période précédente de la popularité de Nicolas Sarkozy par grande région
(cliquer sur l’image pour l’agrandir).
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Il est intéressant de constater que d’autres régions, initialement acquises à Nicolas Sarkozy, n’ont pas réagi selon le même tempo. C’est particulièrement frappant pour le bloc Paca/ Languedoc-Roussillon qui resta stable jusqu’en novembre 2007, mais allait ensuite voir la cote du Président perdre… 30 points entre décembre 2007 et mai 2008. On retrouve d’ailleurs ce même phénomène mais légèrement estompé un peu plus au nord en Rhône-Alpes/Auvergne.
Alors que ces régions du Nord-Est et du Sud-Est ont eu en commun un soutien électoral important et sondagier massif d’électeurs du FN à Nicolas Sarkozy en début de quinquennat, très vite leur comportement politique ont divergé. Cela s’explique en partie par le fait que les frontistes ralliés ont été accompagnés dans le Nord-Est par de nombreux électeurs venus de la gauche, ce qui n’a pas été aussi fréquent dans le Sud-Est. Mais cela tient également au profil sociologique et aux motivations de ces frontistes ralliés.
Dans le quart Nord-Est, c’est un électorat très populaire, souvent rural qui a quitté le FN (même si c’est dans l’Est intérieur que Jean-Marie Le Pen a le mieux résisté à l’offensive sarkozyste au premier tour de la présidentielle). Il attendait une vraie rupture et des réponses rapides
et concrètes sur sa vie quotidienne d’où un sentiment d’impatience et d’urgence plus présent que dans le Midi. Dans ces régions où les frontistes ralliés étaient plus âgés, plus urbains, moins populaires et davantage attirés par le discours d’ordre et de lutte contre l’immigration qui a été porté plus longtemps par le Président Sarkozy, d’où d’abord localement une meilleure résistance de sa cote de popularité avant une forte baisse au printemps 2008. On notera d’ailleurs qu’aux élections municipales de mars 2008, l’UMP a limité la casse dans les villes du pourtour méditerranéen (à Perpignan, Marseille, Sète, La Ciotat ou Nîmes par exemple).
Le tableau fait également ressortir un recul un peu moins accentué dans toute la partie occidentale du pays (entre 22 et 26 contre un recul de 29 points en moyenne), qui avait été pourtant plus réticente et moins conquise dès le début par le discours et le positionnement de Nicolas Sarkozy.
Au terme de ce brusque mouvement de baisse nationale dont les modalités ont été différentes selon les territoires, la géographie du sarkozysme s’en est trouvée assez modifiée et ses reliefs quasiment aplanis. Au printemps 2008, le Président bénéficiait en effet du même niveau de popularité dans le Sud-Ouest et dans le Nord-Pas-de-Calais alors que l’écart était de 9 points entre ces deux régions entre mai et août 2007 et il était plus populaire de 4 points en Normandie-Centre que dans l’Est Intérieur, alors qu’à ses débuts sa cote dans cette région était de 73 % contre… 62 % en Normandie-Centre.
3- Automne 2008 : un début de reconquête plus rapide dans certaines régions que dans d’autres
Les deux périodes qui suivirent : entre juin et septembre 2008 (+ 1 point) puis d’octobre 2008 à janvier 2009 (+ 6 points) allaient enregistrer au plan national d’abord une stabilisation de la cote du Président sur un point bas puis une remontée à l’occasion de la présence française de l’UE et de sa gestion des débuts de la crise financière. Durant ces deux nouvelles séquences, certaines opinions publiques régionales ont réagi plus vigoureusement que d’autres et la remontée ne s’est pas effectuée au même rythme avec la même intensité partout. Comme on peut le voir sur la courbe ci-dessous, le Nord-Pas-de-Calais et le Grand-Est, où Nicolas Sarkozy avait beaucoup perdu lors des phases précédentes, restent d’abord stables. A l’inverse, l’Est intérieur, maillon fragile du sarkozysme, voit la cote présidentielle de nouveau reculer de 5 points… après une chute de 36 points en moins d’un an. Il faudra attendre la dernière séquence pour que cette courbe reparte vivement à la hausse dans cette région (+ 12 points, soit deux fois plus que l’évolution moyenne).
L’évolution contrastée de la popularité de Nicolas Sarkozy dans différents territoires
(cliquer sur l’image pour l’agrandir).
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Ces mouvements violents et soudains de cet électorat populaire de l’Est intérieur, n’ont pas échappé à Xavier Bertrand, lui-même élu de Saint-Quentin dans l’Aisne. Le nouveau secrétaire général de l’UMP déclarait ainsi dans Le Parisien du 12 février dernier : « Je surveille le grand quart nord-est. Le jour où on perd cet électorat, on peut se préparer à faire plus de cinq ans d’opposition ! ». Avec sa gestion de la crise financière et son activisme européen, on peut penser qu’à l’automne dernier, Nicolas Sarkozy est parvenu à renouer avec un certain volontarisme qu’il avait mis en avant avec succès auprès de cette catégorie d’électeurs durant la campagne électorale. Dans la période de crise et de tension sociale qui s’ouvre, les marges de manœuvres vont être réduites et la majorité présidentielle peut craindre un nouveau mouvement de décrochage dans ce grand quart nord-est, électoralement stratégique. Dans ce contexte, les déclinaisons concrètes du plan de relance devront tenter de répondre au mieux aux difficultés du secteur industriel régional (plans de licenciement chez Arcelor-Mittal à Gandrange, Magnetto-Wheels à Tergnier, SA Raguet dans les Ardennes ou bien encore Henkel à Châlons-en-Champagne pour ne prendre que quelques exemples). Pour conforter le regain de popularité observé ces derniers mois dans ces régions, des signaux concrets incarnant l’interventionnisme de l’Etat seront sans doute nécessaires dans ces territoires meurtris et très sensibles. Et ce d’autant plus, qu’aux difficultés de l’industrie, se sont ajoutées les conséquences en terme d’emplois [5] de la réforme de la carte judiciaire mais aussi et surtout de la carte militaire qui a durement touché le quart nord-est du pays. Dans cette période de crise, l’exécutif devra également garder un œil sur le pourtour méditerranéen afin, là aussi, de consolider les gains de popularité enregistrés entre juin 2008 et janvier 2009 (+ 12 contre + 6 en moyenne nationale). Si l’opinion publique locale s’est montrée un peu moins « changeante » vis à vis de la politique menée par le locataire de l’Elysée que dans l’Est intérieur et plus généralement dans le grand quart Nord-Est, les mouvements y ont également parfois été brutaux et pourraient en annoncer d’autres dans les prochains mois.
Par Jérôme Fourquet Directeur adjoint du département Opinion et Stratégies d’Entreprises de l’Ifop
8 mars 2009
Transmis par Linsay
[1] Les analyses réalisées à partir des cumuls d’enquêtes de l’Ifop ont montré que la progression significative de N.Sarkozy parmi les ouvriers par rapport aux scores traditionnels de la droite dans cette catégorie s’est faite principalement dans la moitié Est du pays, les ouvriers du Grand Ouest et du Sud Ouest, ayant majoritairement voté pour Ségolène Royal
[2] Données issues du baromètre Ifop / Le Journal du Dimanche, réalisé tous les mois auprès d’un échantillon de 1850 personnes, ce qui permet par cumul sur plusieurs mois de disposer de suffisamment d’effectifs pour réaliser une lecture par grande région.
[3] En dépit d’une sociologie particulière, cette « exemplarité » de l’Ile de France s’explique sans doute par l’aspect très composite de cette région regroupant des départements très antagonistes politiquement, conférant ainsi à la région-capitale une capacité à bien refléter la tendance nationale.
[4] sous l’effet notamment de la visite de Kadhafi à Paris, de l’annonce très « people » de la liaison entre le Président et Carla Bruni et d’une montée en flèche de la préoccupation en terme de pouvoir d’achat alors que « les caisses étaient déclarées vides »
[5] Ce à quoi il faut ajouter, la dimension symbolique non moins importante, puisque ces fermetures de sites et d’établissements accréditent l’idée d’un désengagement voire d’un abandon par l’Etat.
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