L’Ardennais qui épingle « le président des riches »
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Michel Pinçon et son épouse travaillaient depuis des années sur la grande bourgeoisie. Dès le 7 mai 2007, ils commencent à rassembler les éléments d’un livre qui décortique « un gouvernement des riches pour les riches »…
Avec son épouse Monique, le chercheur ardennais Michel Pinçon - natif de Lonny - a étudié la classe ouvrière… et la grande bourgeoisie. Le couple dresse un réquisitoire sans concession de la politique présidentielle.
MICHEL PINÇON, vos origines ardennaises ont-elles influencé votre parcours ?
« Peut-être… Je suis né à Lonny en 1942 et mes parents ont ensuite déménagé à Mézières en 1950. C’est là que j’ai débuté ma scolarité, à Monge (qui réunissait alors collège et lycée), étant même maître d’internat alors que j’étais élève en classe philo. Puis, comme toute ma génération, c’est à Lille que j’ai poursuivi mes études que j’ai achevées à Vincennes. Entre-temps, il y avait eu le service militaire dans le sud marocain… Mon père, originaire de Nouzonville, y a été longtemps polisseur… »
C’est donc le lien !
« Oui : une de mes premières publications concernait le « désarroi ouvrier » et était centrée sur une étude menée à Nouzonville, précisément auprès des salariés de Thomé-Génot et de leurs familles. C’est l’époque où le spectre du chômage devenait envahissant. »
« Le dîner au Fouquet’s »
Mais par la suite, avec votre épouse, vous vous êtes intéressés à un autre pan de la société…
« Chercheurs au CNRS, nous avons constaté qu’aucune étude n’était consacrée à cette part de la population : la grande bourgeoisie. Voilà pourquoi nous avons choisi de nous y intéresser. Sans rien renier de nos engagements ! Mais nous avons pu observer, décortiquer et analyser le fonctionnement d’un monde effectivement particulier. »
Et le 7 mai 2007, un déclic s’opère…
« C’est vrai. Nous avons été immédiatement persuadés que la victoire de Nicolas Sarkozy allait être synonyme de rupture, mais pas forcément celle qui était annoncée. En fait, les gens ne voyaient que la part émergée de l’iceberg. Alors avec mon épouse nous avons pensé qu’avec cette élection (et la politique du gouvernement et de sa majorité qui allaient suivre), nous allions avoir une occasion unique de percer un peu l’enveloppe, du mode de fonctionnement de cette oligarchie du monde de l’argent… »
Dans l’ouvrage que vous publiez, vous expliquez même que tout commence lors du dîner au Fouquet’s où Nicolas Sarkozy fête son succès.
« Il y avait ce soir-là autour de la table plus de patrons que de politiques. C’était symbolique… Cela annonce tout le reste. Cela faisait alors des années que l’avocat d’affaires et maire de Neuilly avait tissé sa toile parmi les grands noms du CAC 40. »
Quelles sont donc, alors, les caractéristiques de ce monde de l’argent qui, le 7 mai, savoure la victoire du candidat de l’UMP ?
« L’opacité, le secret : c’est un univers où l’on entre et où l’on vit par cooptation (c’est l’exemple type dans les conseils d’administration), où l’on fonctionne par réseaux. Il y a des cercles, des dîners, et il y a aussi une forme de reproduction avec le passage obligé par certaines écoles de commerce, par exemple. Cette élite s’auto-reproduit. Dans les premiers mois de la présidence, des mesures comme le bouclier fiscal sont clairement destinées à ce monde-là. Plus tard, viendront les nouvelles dispositions sur les successions, l’idée d’un Grand Paris contrôlé par cette même élite, avec en point d’orgue l’affaire de la Défense où le président voulut placer son fils, la mainmise sur les médias (avec une arrière-pensée politique mais surtout celle de rediriger des chiffres d’affaires publicitaires vers le privé). Liste non exhaustive. C’est le temps de lobbies, du mélange des genres en permanence, des conflits d’intérêt. »
Cependant, une part de cette grande bourgeoisie ne se reconnaît pas dans la personnalité de Nicolas Sarkozy. Comme s’il était le « président des riches » (pour reprendre le titre de votre livre), mais pas le leur…
« Nous rencontrerons tous les jours des gens de ce monde-là qui, effectivement, se disent « désorientés ». Il y a l’aspect bling-bling, il y a une forme de vulgarité (y compris dans la façon de s’exprimer du président quand il prend volontairement ou non des accents populistes) qu’ils rejettent. Dans ce monde où l’on cultive une forme de discrétion, évidement, on est gênés… »
« L’aboutissement de nos travaux antérieurs »
Toujours est-il que cet ouvrage tranche avec vos précédentes publications. C’est moins un travail de sociologie qu’un livre de militants, non ?
« Oui et non. Nous avons toujours été des radicaux. Et encore une fois, nous avions là une occasion de mettre en valeur et en exergue une grande part de ce que nous avions étudié pendant vingt ans. De vérifier, finalement, des systèmes que nous avions mis en évidence et qui soudain, étaient au cœur de toute une politique. On dira plutôt que cet ouvrage est un aboutissement, qui cependant s’appuie bien sur des faits, uniquement des faits… »
Hasard du calendrier, votre livre sort alors que le bouclier fiscal est désormais remis en cause au sein même de la majorité…
« Oui, mais il avait été mis en place pour contrecarrer les effets de l’impôt sur la fortune. Or on entend aujourd’hui que si l’on supprime l’un, on supprimera l’autre… On n’en sort pas ! »
Ce pouvoir est donc clairement pour vous un pouvoir de classe. Même si celle-ci se définit par l’argent, et pas uniquement sur la naissance. Vous terminez par une série de propositions, de pistes, de mesures que l’on pourrait envisager pour sortir de cette situation d’« oligarchie », soit d’un « gouvernement des riches par les riches ». C’est inhabituel, pour des chercheurs…
« Il ne s’agit pas effectivement d’une démarche habituelle. Nous avons hésité. Pour autant, cela nous a semblé quand même dans la logique de cette entreprise. On ne peut pas vouloir le changement sans avancer quelques idées, quelques pistes. Sans vouloir apporter notre pierre à ce que certains principes comme celui de l’égalité des chances ou la reconnaissance des vrais mérites redeviennent, un jour, d’actualité… Parmi les suggestions, une réforme de la fiscalité. Mais a priori pas celle que préconise la majorité… »
Recueilli par Philippe MELLET dans l’Ardennais le 25/10/201
Transmis par Linsay
Le Président des riches Edition la Découverte Prix : 14 €
« Le président des riches », 224 pages, éditions Zones, 14 euros.
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