Voyage au royaume des cleptocrates.

dimanche 20 août 2006
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Malgré ses richesses minières et son sol fertile la Guinée est devenue l’un des pays les plus pauvres d’Afrique. La faute en revient à deux générations d’hommes politiques incapables et corrompus.

Diario Della Settimana.

Au moins une heure avant l’aube, les premières lueurs montent à l’horizon, éclairé jusqu’alors par les étoiles. Nous sommes en pleine campagne. Le minibus Mercedes qui nous transportait a rendu l’âme. Les passagers n’ont fait ni une ni deux, ils sont tous descendus, se sont couchés sur l’asphalte et se sont endormis allongés comme des cadavres. Le chauffeur et ses aides, tous très jeunes, ont eux aussi plongé dans le sommeil, la tête sur le volant ou la torche encore dans les mains.

Moussa, mon compagnon de voyage, et moi, nous sommes résignés et nous avons fait à pied les 15 kilomètres qui nous séparaient de Mamou, la ville voisine, ou nous comptions trouver un autre moyen de transport pour sortir de Guinée-Conakry.

Nous étions arrivés de Bamako (la capitale du Mali) quelques jours plus tôt en voiture. Une 505 Peugeot chargée de onze passagers dont un dans le coffre : des étudiants, des femmes de Sierra Leone qui faisaient du petit commerce, des hommes d’affaires. Inutile de se demander quelle heure il est ou combien de temps il va falloir pour parcourir les 800 kiomètres et plus du voyage.

Un arrêt de presque deux heures à la frontière pour négocier, avec l’aide d’un commissaire de police complaisant, la somme à payer pour entrer dans le pays sans visa. Puis vingt-quatre heures sur les routes défoncées de Guinée, compliquées par des crevaisons et la rupture du tuyau d’échappement, réparé en un temps record par des enfants munis d’un fer à souder dans une des improbables bourgades qui bordent la route.

Un paysage splendide nous accompagne : les plaines cultivées, les troupeaux de vaches, les chasseurs le fusil sur l’épaule juchés sur leurs bicyclettes, les enfants qui sortent des écoles dans leurs uniformes beiges de « révolutionnaires », les villages avec leurs cases rondes aux toits de paille fraîchement refaits, les forêts et les montagnes peuplées de singes qui, il y a encore cinquante ans, arrivaient jusqu’à la mer et à la capitale, Conakry.
Nous marchons dans la nuit, sur l’asphalte, en faisant attention ou nous mettons les pieds. Dans notre dos, le soleil se lève sur notre nuit blanche.

"Un jour, dans mon village, un jeune, après la prière à la mosquée, est monté dans un manguier avec une corde et s’est pendu. Il a laissé à sa famille une lettre dans laquelle il expliquait les raisons de son geste.
Il avait écrit : « Je me tue parce qu’il y a trop de souffrance », raconte Judiama, 20 ans, apprenti chauffeur de minibus de nuit.

Nous, les jeunes,nous sommes sans perspectives. On se débrouille avec des petits travaux pour gagner un peu d’argent. Mais on ne s’en sort pas. Moi aussi, j’ai pensé à faire comme ce garçon".

Quand on me demandait d’ou je venais, je disais toujours : « D’un pays très riche, explique Judamia. On me répondait : »Alors, pourquoi vous êtes pauvres ? Ca, je n’ai jamais pu l’expliquer« . Le père de Moussa rit. Il a été aviculteur et fonctionnaire du gouvernement, aujourd’hui il est à la retraite. Or, diamants, bauxite, aluminium, fer, bois, poisson et peut-être aussi pétrole, des terres cultivables à perte de vue, des plaines qui pourraient être »le grenier pour toute la sous-région" : la Guinée, pays de la côte occidentale de l’Afrique, encastrée entre le Sénégal, la Sierra Leone, le Libéria et le Mali, pourrait se considérer comme une nation bénie des dieux ou, comme il advient sur ce continent, maudite par la misère.
Le père fondateur de la nation est un syndicaliste : Ahmed Touré.

En aout 1958, le général de Gaulle est venu à Conakry pour présenter la proposition de Paris aux colonies africaines : l’indépendance tout de suite ou l’autonomie au sein de la Communauté française.
Le 25 aout, Sékou Touré a dit un « non » qui est entré dans l’Histoire le seul « non » de toutes les colonies et a demandé à son peuple de voter pour l’indépendance, ratifiée par le référendum du 28 octobre 1958.

« IL N’Y A PAS DE DIGNITE SANS LIBERTE. NOUS PREFERONS LA LIBERTE DANS LA PAUVRETE A LA RICHESSE DANS L’ESCLAVAGE ».

Des déclarations qui provoquèrent la colère du Général ; et la réaction française ne se fit pas attendre. Les coloniaux qui tenaient en main l’économie du pays partirent, en emportant la caisse.

Indépendante, mais revenue à la case départ la Guinée se retrouva aussi politiquement isolée des autres anciennes colonies, en particulier le Sénégal de Lépold Sédar Senghor et la côte-d’Ivoire de Félix Houphouët-Boigny.
Les entreprises furent nationalisées, une monnaie fut frappée (le sily, du nom qui (en soussou, une langue mandingue de Guinée) signifie « éléphant », surnom de Sékou Touré. Le modèle soviétique d’abord, puis chinois fut adopté, le travail agricole collectivisé.

Des centaines de Guinéens, à partir des années 1960, s’envolèrent pour aller se former à Cuba, à Moscou, en Chine ou, comme le père de Moussa, en Hongrie.

La dérive totalitaire valut à la Guinée de se retrouver en tête des classements d’Amnesty International dans les années 1970 et 1980, jusqu’à la mort de d’Ahmed Sékou Touré, le 26 mars 1984.
La ferme collective de Forécariah est fermée, la mangrove a étalé ses racines sous les anciennes habitations du personnel, et dans les bâtiments en ruine résonne encore l’écho de 12 000 volatiles, souvenir d’un rêve d’indépendance économique qui échoua prématurément et d’un régime qui infligea à une génération entière des blessures qui ne sont toujours pas refermées.

« Sily national ! Sily national ! » Depuis le matin, c’est dans la capitale guinéenne une explosion de frénésie et de couleurs patriotiques, rouge, jaune, vert. Des petits drapeaux, des tee-shirts, des bandanas et des bandeaux. L’équipe nationale joue dans la Coupe d’Afrique contre les Tunisiens, champions en titre.

Les jeunes qui passent leurs journées à fumer d’énormes joints d’herbe et laver des voitures sur le bord de mer sont en effervescence. Dans les rues de Conakry, écrasées de soleil, des hommes assis dans les cafés discutent des capacités techniques des différents joueurs.Aujourd’hui, c’est donc jour de fête.

La trêve de la Coupe d’Afrique va ramener, pendant les parties, un peu de courant dans le réseau électrique rachitique de la capitale. Ce n’est pas seulement un match de foot-bal qui se joue là.
Les espoirs d’une nation semblent suspendus aux exploits des onze Eléphants. C’est ce que pourrait bien penser le président, qui, selon les rumeurs, aurait personnellement décidé de la composition de l’équipe nationale.

Porté au pouvoir par un coup d’Etat militaire quelques jours après la mort de Sékou Touré, le 3 avril 1984, Lansana Conté semblait vouloir rompre avec le passé répressif. Il libéra les prisonniers politiques et ouvrit le pays aux donateurs internationaux.
Mais le printemps guinéen fut très bref.

La nouvelle élite au pouvoir - composée de colonels et de généraux semi-analphabètes et du résidu de cette classe politique formée à l’étranger qui avait échappé aux purges de Sékou Touré s’appropria les richesses du pays, avec l’aide des programmes de réformes structurelles et des privatisations imposées par la Banque mondiale et le Fonds monétaire international.

Les concessions pour l’exploitation de la bauxite, de l’or et des diamants furent bradées à des multinationales. Et surtout, les contrats prévoyaient un poucentage qui était aussitôt détourné vers les poches du ministre ou du président en exercice.

Si Sékou Touré « n’a pas développé le pays et a laissé ses ressources intactes, Lansana Conté n’effectue aucune opération de développement, mais en même temps il saccage nos ressources naturelles », analyse Alpha Condé, dirigeant du principal parti d’opposition (Rassemblement du peuple de Guinée (RPG).

Le président guinéen, bien qu’il continue à tenir le régime d’une main de fer, est malade. Atteint d’une forme aigüe de diabète, il ne peut plus, depuis plusieurs années, s’éloigner des appareils de dialyse.

Agonisant, mais déterminé à ne pas quitter le pouvoir, Conté entraîne lentement la Guinée dans son agonie. Voilà des années qu’il n’a pas visité l’intérieur du pays, qu’il n’a plus quitté la capitale. Quand il se rend à l’étranger, c’est pour se faire soigner.

Le reste du temps, il est absent, comme l’Etat en Guinée. « Nous sommes gouvernés par des ectoplasmes », estime l’opposant Sidya Touré, président de l’Union des forces républicaines, qui fut Premier ministre de 1996 à 1999.
Le mandat de Lansana Conté s’achèvera en 2010, au terme de sa troisième réélection, en 2003.
En 2001, il avait modifié la Constitution pour s’assurer la présidence à vie.

Conakry est une capitale sinistrée, ou le courant n’arrive que quelques heures par jour, en alternance selon les quartiers, ou les centrales électriques sautent à cause de trop nombreux branchements clandestins et ou l’on passe les soirées eclairé à la lampe à pétrole.
Il n’y a pas de téléphones, et les antennes-relais pour téléphones portables ne trasmettent le signal que dans certains quartiers.

L’eau courante est une chimère, et chacun s’arme de patience et se débrouille pour avoir son puits.
Les bâtiments les mieux protégés, après le palais présidentiel, sont ceux de la radio-télévision et ceux de la nouvelle ambassade que les Etats-Unis sont en train de construire et qui ressemble à Fort Knox.

Conakry est une capitale sans panneaux indicateurs dans les rues, sans plan d’urbanisme et sans entretien d’aucune sorte des voies publiques.
Les ordures s’amoncellent dans les ruelles en latérite et sur les marchés grouillants de monde. Les égouts sont tous à ciel ouvert.

Alors que l’anarchie règne en ville, on peut voir, le soir, en prenant une bière sur la jetée du port, arriver des wagons de marchandises pleins de bauxite, de diamants, d’or, prêts à être exportés et dont les profits seront happés dans le labyrinthe des comptes à l’étranger du clan au pouvoir.
Quand la nuit tombe, les militaires entrent en scène. Barrage routier devant le pont du 8-Novembre, ou l’on pendait les prisonniers trucidés par Ahmed Sékou Touré et que tous les gens qui entraient et sortaient devaient nécessairement franchir chaque matin.

Nous sommes trois dans la voiture : mon ami Moussa, Mohamed Tall, un jeune opposant politique, et moi. On nous arrête et on nous demande nos papiers. Le Blanc ne les a pas avec lui, et s’il les avait ce serait un passeport sans visa ni tampon d’entrée.

Ils veulent que le Blanc descende de l’auto, ils veulent que le Blanc paie. L’argent que nous avons ne suffit pas. Moussa se rebelle. Mais pas Mohamed Tall, qui voudrait changer la Guinée. Moussa hausse le ton. Il dénonce les dérives crapuleuses de son pays, et la peur qui tenaille ses concitoyens et les empêche de réagir.

Personne ne bouge, personne ne s’interpose tandis que Moussa, « traité comme un chien dans le pays ou (il est) né », hurle et se démène. Il est jeté au sol et traîné sur cette terre qui est aussi la sienne. Les tee-shirts sont déchirés, les coups de pied et les coups de poing volent ; le militaire est nerveux et il voudrait le faire monter dans la première voiture qui passe. D’autres soldats accourent. L’échauffourée reprend mais ils finissent par laisser partir Moussa.

Le « kilomètre 36 », l’ultime obstacle pour sortir de Conakry ou y entrer, en est devenu le symbole ; un no man’s land autour d’un barrage routier. Des échoppes, des petites boutiques, des gens qui s’affairent de part et d’autre tandis que des policiers en combinaison bleue et des militaires en tenue camouflage se partagent les candidats au passage.

Ils doivent tous payer. On donne quelque chose quand on montre ses papiers.
Pour arriver à la maison d’Alpha Condé, il faut traverser tout le quartier Madina. Une fourmilière d’échoppes et de ruelles ou tout le monde sait ou les uns et les autres habitent.

C’est avec ce bouclier que se protège le président du RPG, dans sa villa entourée de paraboles et dont l’entrée est défendue par un service d’ordre.

A son retour dans sa patrie, en juillet 2005, après un exil en France de deux ans, Alpha Condé a été accueilli par des milliers de personnes. « Si j’avais voulu, j’aurais pu marcher sur le palais présidentiel. Toute la Guinée était dans la rue. Mais je ne l’ai pas fait ».
C’est ainsi que commence la conversation dans le salon de ce fortin placé sous protection populaire. Le président du RPG est considéré comme un des principaux opposants historiques au régime de Lansana Condé.

Arrêté en 1998 à la frontière ivoirienne, sous l’accusation de vouloir recruter des mercenaires pour faire un coup d’Etat, il a passé deux ans et demi en prison avant d’être gracié, en mai 2001.
Sa victoire en, en 1993, à la première présidentielle de l’histoire de la Guinée avait été anéantie par une décision de la Cour suprême, qui avait annulé les votes de la préfecture ou Condé était majoritaire.
C’est un moment particulier pour Alpha Condé et son RPG. Les élections municipales qui ont eu lieu en décembre sous la pression des donateurs internationaux ont vu le parti au pouvoir, le Parti de l’unité et du progrès PUP), s’assurer 30 des 38 communes en lice, le reste est allé aux partis d’opposition.

Si une nouvelle période peut s’ouvrir après les municipales guinéennes, la question du devenir du régime de Lansana Conté reste entière.
L’ancienne puissance coloniale française pourrait jouer un rôle particulier.
« La France a un gros défaut, estime Alpha Condé. Elle n’aime pas les intellectuels. Elle préfère des gens comme Bokassa, Mobutu, des gens qu’elle peut manipuler. Nous faisons peur à la France parce que nous y avons fait nos études. J’ai fait Sciences-Po à Paris et ceux qui sont au gouvernement aujourd’hui étaient avec nous à l’université. Nous ne sommes donc pas manipulables et nous pouvons penser de manière autonome le développement de notre pays ».

Art de « Emmanuelle Piano », trouvé dans « Le Courrier international », par Linsay.


La Constitution de 1958 a transformé l’Union française en Communauté et donné leur autonomie aux colonies. A ne pas confondre avec la Communauté France-Afrique (CFA), nom donné aujourd’hui aux huit pays de la zone du franc CFA.



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