Les jours fous
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Il y a des jours fous.
Il y a des semaines, faites de jours fous, et elles-mêmes totalement folles.
Il y a des temps fous, plus ou moins longs, faits de moments fous et de journées folles, remplis de rires et de larmes, remplis du chant des hommes, des femmes, de leurs cris, de leurs applaudissements, de leurs embrassades et du claquement de ces mains qui se rencontrent au bout de sourires illuminant des visages retrouvés.
« Les temps sont fous » chantait un certain. Ce n’est pas de cette folie là dont on parle, pas de la folie d’un monde dominé par un système en décomposition.
On parle ici de ces temps, plus spécialement de ces derniers jours, où la lutte précipite à un rythme endiablé, les évènements successifs sur les épaules des principaux acteurs et actrices de celle-ci : le procès, les insultes de la droite, la sortie du film, le délibéré, le meeting de soutien des forces politiques, la préparation et la journée grandiose du 3 octobre…
A l’appel de la fédération de l’agroalimentaire CGT, depuis le samedi soir les premiers camarades affluaient sur le site pour dire leur solidarité, leur espoir dans cette lutte. Dès la sortie de l’autoroute, les panneaux et les murs couverts d’affiches les mettaient dans l’ambiance. L’usine entièrement re-décorée achevait de leur donner l’envie de s’engager encore plus au côté des fralibiens.
Chaque arrivée est l’occasion de parler des dernières nouvelles et de ce procès intenté par une direction revancharde et pleine de suffisance, qui ne supporte pas que des femmes et des hommes dorment, pour mieux la garder, dans une usine qui est la leur pour certains depuis plus de 30 ans. Une usine où ils ont travaillé de nuit au détriment de leur vie de famille pour pouvoir avoir des salaires moins bas, une usine dont ils connaissent tous les recoins, dont ils savent dire à l’oreille, laquelle des machines est en marche, laquelle a une panne, une usine dont ils connaissent les senteurs familières au point de deviner en arrivant quelle sera la production du jour.
On raconte l’avocat de la direction qui les traite de terroristes, « de barbares pratiquant la torture à la manière des talibans » !!! La réponse digne Me Amine Ghenim leur avocat « Le groupe UNILEVER, multinationale réalise des bénéfices gigantesques, et décide de fermer l’usine de Gémenos. Il VIOLE LE DROIT CONSTITUTIONNEL FONDAMENTAL DE TRAVAILLER ET VIVRE DANS LA DIGNITE »
« La direction présente les salaries comme des délinquants, la délinquance c’est de mettre les gens au chômage »
On raconte les larmes montant aux yeux quand il évoque les questions d’un enfant disant à son père ou sa mère : « tu ne vas plus aller au travail ? »
On raconte enfin qu’à peine sortis du tribunal, sans s’attarder devant les journalistes, il y a eu le passage à la permanence du député UMP, Renaud Muselier, qui avait comparé les salariés à des morts arrivant au SAMU : « On est vivants et l’Eléphant vivra à Gémenos ! »
On parle de la sortie du film Pot de Thé, Pot de Fer que chacun peut acheter en soutien mais aussi pour nourrir ses propres combats. On parle enfin des Lyondell Basell qu’on a eu au téléphone et avec qui c’est sûr il y aura des occasions d’agir ensemble pour la défense d’une région durement attaquée….
Il a fini par arriver ce grand jour fou.
Par centaines depuis tôt le matin les salarié-e-s arrivaient en trains, en voitures, en cars. Des flots immenses convergeant vers l’usine où à 10h, en guise d’ouverture de la journée, était prévu le dernier spectacle d’Audrey Vernon Marx et Jenny. Un spectacle interrompu par les arrivées incessantes et les moments fraternels qu’elles suscitent. Plus de 400 « spectateurs-acteurs » chantant l’Internationale faisant pleurer l’artiste qui dira par la suite « c’était un moment magique, je veux revenir pour la victoire… »
Puis les prises de parole de Cynthia, Olivier, Jean Luc, Jocelyne écoutées avec passion par des centaines de combattant-e-s galvanisé-e-s.
« L’usine est à nous ! L’usine est à nous ! » Ce n’est même plus un slogan, c’est un murmure, un grondement, une présence qui parcourt la foule, qui s’impose à tous, qui est là au milieu de chacun des échanges, au menu des 650 paellas servies et qui n’ont pas suffi pour nourrir le flot grossissant des voyageurs de la solidarité.
On prend les cars, on quitte les contreforts de la Ste Baume et du Garlaban, les collines qui dominent l’usine, pour longer la Corniche et de là monter jusqu’à ce monument, symbole de Marseille qu’est la Bonne Mère.
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A l’arrivée des fumigènes rouges et verts, encadrent une immense banderole, visible jusqu’au Vieux Port et tendue sur le balcon de la Basilique à partir duquel on voit tout Marseille 200m plus bas.
Gerard prend la parole. Tendu par l’émotion mais déterminé, il raconte aux manifestants massés en contrebas l’histoire de l’usine d’hier à aujourd’hui. Il parle de l’année où elle a été créée à Marseille, il y a 119 ans, tout à côté du parc zoologique d’alors. De l’atelier on pouvait entendre l’éléphant barrir, c’est ce qui a donné le nom à cette marque qui fait partie du patrimoine de la ville et qui appartient à des générations d’ouvrières et d’ouvriers qui y ont donné leur sueur et dont ils sont les héritiers aujourd’hui.
Il est acclamé et pour la première fois de ses 800 ans d’histoire, la Bonne Mère entend à ses pieds, l’Internationale que chantent des centaines de poitrines gonflées d’espoir.
La manifestation repart et retrouve un peu plus bas celles et ceux, en particulier les militant-e-s CGT, qui n’ont pas eu la chance de pouvoir les rejoindre avant pour partager ce grand moment.
C’est donc encore plus nombreux que les manifestant-e-s salué-e-s aux fenêtres par nombre de gens qui les encouragent et les applaudissent, descendent la rue Paradis.
Au passage ils repeignent la façade de l’Union Patronale qui en avait bien besoin. Le rouge de la lutte et le vert de l’espoir : tout un symbole.
C’est dans une ambiance de liesse et de poings levés que la manif arrive enfin au Vieux Port.
Juché sur le camion sono, Olivier parle de solidarité internationale et des milliers de travailleurs qui dans le monde, manifestent aujourd’hui à l’appel de la FSM et particulièrement ceux de l’OPZZ en Pologne.
Dans le ciel, sous les cris de la foule qui scande : « L’Eléphant est français, en Provence il va rester. » des milliers de ballons rouge ou vert s’envolent pour porter en de multiples lieux du territoire le message de lutte des Fralib.
La journée folle va s’achever. On peine à regagner les cars, on s’attarde sur le Port, sous le soleil encore haut et chaud, des images et des sons pleins la tête. Un journaliste me dit : « J’en ai couvert des manifs, mais je n’ai jamais vu ça ! Il faut qu’ils gagnent ! » Ludovic de FR3 qui depuis le matin ne cesse de répéter « cette journée me file des frissons » dira dans son reportage « cette journée restera dans l’histoire des luttes de Marseille ». On repense à Marie Christine de Vénissieux et à Paul de Béziers, disant tous les deux leur joie et leur fierté d’avoir participé à cette journée. On revoit l’enthousiasme que les participants ont emporté dans leurs régions respectives, disant « on reviendra à Marseille »…
Raymonde qui avait connu la lutte contre VITAREX, il y a 23 ans, croise Mireille alors secrétaire de son union locale et aujourd’hui secrétaire d’UD. 23 ans de rassemblements et de manifs où de loin en loin elles se retrouvent. Sauf que celle d’aujourd’hui a une saveur particulière…
Dans le combat des Fralib pour la vie il y aura, nous le savons tous, des moments de flux et de reflux, des moments de lassitude et d’autres d’espoir, des moments de découragement et d’autres de détermination, d’autres de colère et d’autres de joie, mais au cœur de tous ces moments-là, tous et toutes se rappelleront cette journée folle du 3 octobre où nous étions tant et tant à vibrer ensemble…
FRALIB VIVRA !
Ci-dessous, le diaporama de cette journée réalisé par Dominique et Nadir
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