Une guerre française cachée pendant quarante ans.
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Récemment diffusée sur la chaîne Public Sénat, l’enquête « Foccart, l’homme qui dirigeait l’Afrique » éclaire un passé militaire glorieux et pourtant méconnu de la France.Avec l’appui des gouvernements de la IVe République puis de De Gaulle et de Foccart, son conseiller Afrique, Paris a mené des guerres secrètes sur ce continent.
Exemple, la répression menée au Cameroun, entre 1956 et 1962, dont le bilan dépasse sans doute 100 000 morts.
Tandis que s’installait un régime de terreur et de torture.
Telle est aussi la conclusion d’un récent ouvrage, « Kamerun ! » [1]fruit d’une enquête très documentée des journalistes Thomas Deltombe et Marcel Domergue et de l’historien Jacob Tatsitsa.
Tout commence avec la création de l’Union des populations du Cameroun (UPC), un parti pacifique qui, en 1948, a l’audace de réclamer l’indépendance.
Avant de passer à la lutte armée (attentats, assassinats), huit ans plus tard, en 1956.
Le haut-commissaire de cette colonie française se nomme alors Pierre Messmer (futur Premier ministre, de 1972 à 1974).
Avec l’accord du gouvernement, il déclenche la répression.
« Puisqu’ils n’acceptent pas le jeu démocratique (sic), je les ...élimine », commentera-t-il, à la télé, des années plus tard.
Messmer peut bientôt compter sur le soutien du ministre de l’Outre-Mer, le SFIO Gaston Defferre (il sera ministre de l’Intérieur de Mitterrand en 1981), qui se félicitera, dans ses Mémoires, de cette « pacification ».
Il obtient, en 1957, l’appui du ministre des Armées, Jacques Chaban-Delmas, lequel crée, en Algérie, le Centre d’entraînement à la guerre subversive, confié au sinistre colonel Bigeard.
Plusieurs de ses élèves feront leurs classes au Cameroun.
Messmer appelle aussi à ses côtés des anciens d’Indochine, comme lui.
Parmi eux, Daniel Doustin, futur patron de la DST, qui finira directeur de cabinet de Raymond Barre a Matignon.
Dans une note confidentielle, Doustin déplore la rébellion :
« Ils préfèrent remonter aux cocotiers et être libres... »
Nombre de coloniaux gouvernent par le racisme et la diabolisation de certaines ethnies, par exemple les Bamilékés, vivier de l’UPC, victimes d’effroyables pogromes.
Références nazies
A l’approche de l’indépendance promise en 1960 par De Gaulle, la France met en place une administration néocoloniale.
On installe ainsi le président Ahmadou Ahidjo, et l’on dote le pays d’une Constitution sur mesure, assortie d’accords secrets d’assistance militaire.
Les conseillers du Président sont nommés par les Français.
Au nombre desquels Samuel Kamé, qui avoue son admiration pour les régimes fascistes et cite volontiers Hitler et Goebbels.
C’est avec ses alliés que Paris prépare son ultime opération avant de retirer le gros de ses troupes : la liquidation de l’UPC, qui persiste à combattre pour une authentique indépendance.
Camps à l’allemande.
Depuis la fin de 1959, les opérations antiguérilla se sont intensifiées.
La torture n’a plus pour seul but de faire parler les chefs maquisards, elle devient systématique à l’égard des opposants.
Gégène, baignoire, balançoire, importées d’« Indo » ou d’Algérie, sont pratiquées dans tous les postes de police.
Des prisonniers sont jetés vivants dans les chutes d’eau de la rivière Metchié.
L’un deux, en tombant, entraînera d’ailleurs dans la mort un gendarme français.
Des camps de concentration sont édifiés.
Ancien haut-commissaire (il sera plus tard ambassadeur, puis maire de Cannes), Maurice Delauney évoque, dans ses Mémoires, celui de Bangou :
« J’avais été prisonnier en Allemagne, je savais comment ça se passait ! J’avais fait un camp avec des barbelés, des miradors. »
Il abrite de 700 à 800 détenus, gardés par des gendarmes français et camerounais.
L’année 1960 est terrible.
« Je décide d’entreprendre une véritable reconquête », écrit le Premier ministre, Michel Debré.
Une note secrète (mars 1960) de l’état-major, dirigé par le général Max Briand, recommande d’« annihiler les groupes terroristes...et leurs sympathisants », ce qui autorise les massacres de masse.
Briand a rapporté d’Indochine cette riche idée :
Exposer les têtes coupées des rebelles sur la place publique.
L’ouest du pays est bombardé.
Des centaines de milliers de personnes sont déplacées dans des « villages de regroupement ».
En octobre, le Sdece (future DGSE) repère le chef de l’UPC, Felix Moumié, à Genève et le fait assassiner (empoisonnement) par son agent William Bechtel.
Conseiller ès affaires africaines et barbouzardes de De Gaulle, Jacques Foccart rend compte de tous ses faits et gestes au Général, prétend qu’il n’y est pour rien...
Le coup porté à l’UPC est rude, mais le conflit avec le pouvoir d’Ahidjo continuera pendant des années.
Les français, concluent les auteurs, ont installé une dictature durable, mais aussi une « co-opération » politique, économique et militaire qui a servi de modèle aux relations entre la France et plusieurs autres pays d’Afrique francophone...
Enfin, Paris a entretenu la guerre contre son propre peuple.
Et l’on prétend que Kadhafi ou Assad ont innové dans le genre...
Par Jean-François Julliard dans Le Canard enchaîné du 27/04/2011
Transmis par Linsay
[1] 744 pages, 25€ éditions La Découverte, prix du livre anticolonial 2011
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