Trois cent soixante- cinq jours pour rien.
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Banlieues : un an après les émeutes qui ont enflammé les banlieues françaises et mis le pays en face de rudes réalités, rien n’a changé.
Un éditorialiste algérien le déplore avec virulence et nous prédit des lendemains explosifs.
Vingt-sept octobre 2005, 18 h 53, deux jeunes de 15 et 17 ans, Ziad et Bouma, meurent électrocutés dans un transformateur à proximité de la ville de Clichy-sous-Bois, en région parisienne. Quelques heures plus tard, l’incendie débute ; il se transforme très vite en un brasier incandescent qui va ébranler la France et la faire douter de son modèle social. Les violences urbaines ont duré près de trois semaines, obligeant le gouvernement à décréter l’Etat d’urgence le 8 novembre. Puis la police a arrêté plusieurs centaines d’émeutiers et les flammes ont fini par s’éteindre d’elles-mêmes.
Complètement ? Rien n’est moins sûr, et personne n’est dupe. Le feu de novembre 2005 couve encore, et la “forme d’insurrection non organisée” évoquée par les Renseignements généraux en décembre 2005 peut se reproduire à tout moment. Dans les cités, dans ces quartiers où la police ne vient plus qu’en force, on parle, encore et encore, de ces émeutes. On raconte ses “exploits”, on se réinvente une virilité tandis que ceux qui se sont tenus à l’écart rêvent d’un deuxième grand soir, d’une nouvelle épopée à ne pas rater.
Pourtant, au cours des derniers douze mois, des artistes ont prêché la bonne parole et incité à s’inscrire sur les listes électorales. Des associations ont sillonné les maquis périurbains pour vanter les vertus de la non-violence. Des députés, des maires, des patrons d’entreprise et même quelques ministres inutiles ont fait moult promesses. Oui, mais voilà : dans ces quartiers, rien n’a changé ou presque, et deux camps se font toujours face. D’un côté, la police, de l’autre, une minorité, au sein même des minorités qui vivent dans ces zones mortifères.
La police, qui contrôle et contrôle sans cesse les papiers. Qui tutoie, humilie et met tous les basanés dans le même sac. La police dont l’action avant et pendant les émeutes n’a fait l’objet d’aucun débat de fond. La police, dont quatre fonctionnaires sur dix seulement sont sur le terrain et qui, à maintes reprises et faute de moyens, a reculé devant le déchaînement des émeutiers. La police, qu’une vision idéologique et comptable du pouvoir politique empêche de gagner le respect des cités puisqu’on lui refuse la possibilité de faire un travail de fond, de prévention et de proximité. Dans la cité, les honnêtes gens ont peur de la police tout comme ils ont peur des voyous qui leur imposent leur loi de gangsters.
Parlons-en, de ces voyous. Ces émeutes leur ont fait franchir un cap. Il ne s’agit plus pour eux de provoquer, de s’inventer des bastons héroïques qui forgeront leur réputation dans le neuf-un, le neuf-trois, le neuf-cinq ou ailleurs. Il s’agit désormais, et je pèse mes mots, de tuer. Avec des barres de fer, des pierres, des plaques d’égout lancées des balcons ou, plus grave encore, avec des balles. Tuer, pour aller encore plus loin dans l’ivresse que procure le combat de rue. Il y a dans les venelles et les immeubles des quartiers une énergie maléfique qui ne demande qu’à se libérer. Les récentes embuscades tendues à des policiers sont autant d’avertissements. Il y a un risque certain de mort d’homme et personne ne peut prévoir ce qui risque d’arriver, si, demain, un policier y perd la vie et que ses collègues ouvrent le feu.
Dans le rôle du provocateur, Alain Finkielkraut
Que reste-t-il de ces émeutes ? Il y a le souvenir des affirmations péremptoires mais totalement erronées de Nicolas Sarkozy, le ministre de l’Intérieur, qui veut absolument devenir président de la République. Il y a eu cambriolage sur un chantier, c’est pour cela que la police est intervenue à Clichy-sous-Bois, avait-il affirmé aux premières heures de l’embrasement. Faux, dira plus tard l’information judiciaire. Ces émeutes sont planifiées et en lien avec le crime organisé, a-t-il ajouté. Faux, toutes les notes des RG à ce sujet mais aussi les premières enquêtes de sociologues l’ont montré : ni planification ni complot.
Quant à son bilan sécuritaire, le ministre-candidat-meneur de campagne permanente a beau triturer les statistiques, on est devant une évidence : jamais la violence n’a été aussi présente dans les quartiers.
Dans un livre récent d’une rigueur implacable [Le Frisson de l’émeute, violences urbaines et banlieues, Seuil, octobre 2006], l’universitaire Sebastian Roché analyse ces émeutes et enfonce le clou. Parmi les émeutiers, relève-t-il, “il n’y a eu ni symbole confessionnel brandi, ni slogan (antijuif ou antichrétien), aucune référence au conflit du Moyen-Orient, ni revendication liée à l’observance de l’islam (porter le voile à l’école ou ailleurs, disposer de lieux de culte)”. Ni planification, ni revendication, ni solidarité entre les bandes. Voilà pour les provocateurs qui, à l’instar de Finkielkraut, ont tenté, et tentent encore, de nous faire croire qu’il s’agissait d’émeutes ethnico-religieuses annonciatrices d’une guerre civile en France entre les Blancs et ce magma indéfini constitué d’Arabes, de Noirs et de musulmans.
C’est cela qui est préoccupant.
Un feu qui couve, une politique de sécurité qui n’admet aucune remise en question, des voyous déterminés à en découdre quitte à entraîner avec eux tout leur quartier dans la folie et des intellectuels incendiaires qui, au fond, ne rêvent peut-être que d’une seule chose : une grande crise, une vraie crise, sanglante, qui contribuerait à infliger une remise au pas musclée aux Français d’origine étrangère. Propos outranciers, me dites-vous ? On verra. Je suis sûr qu’on y reviendra. Ce n’est qu’une question de temps.
Source : Akram Belkaïd
Le Quotidien d’Oran
Transmis par Linsay
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