Danielle Mine - une héroïne de la guerre de libération de l’Algérie - s’est éteinte hier
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Djamila Amrane - Danielle Mine - s’est éteinte ce matin [ ce message de A. Azzi a été écrit hier] à Alger, des suites d’une longue maladie . Fille de Jacqueline Gueroudj, Djamila a fait partie du réseau de poseuses de Bombes dans la zone autonome d’Alger, avant de rejoindre le maquis de la wilaya III en 1957. La nouvelle de son décès à suscité une grande tristesse parmi ses compagnons d’armes. L’enterrement aura lieu demain à Bejaïa. Mes condoléances à son époux, le professeur Rabah Amrane et à ses enfants Abdeltif et Mina.« Abdelmadjid Azzi »
Je m’appelle Djamila Amrane Daniele Minne.
Je suis arrivée en Algérie en 1947 à l’âge de huit ans. Djamila est mon nom de guerre que j’ai gardé à l’Indépendance. Comment j’ai fait mon chemin ? Je crois que c’était ma vie.
J’habitais à la campagne dans un village près de Tlemcen. L’Algérie coloniale était un pays où il y avait des différences flagrantes. Énormes. Comme ma mère et son deuxième mari faisaient de la propagande dans les campagnes pour le Parti communiste algérien, je voyais les gens dans les villages. Je rentrais dans les maisons où ils habitaient. C’est cette différence entre Algériens misérables et Européens largement à leur aise qui m’a profondément choquée. Je ne comprenais pas comment ça pouvait être possible.
Quand la guerre éclate, tout le monde l’entend. Progressivement elle envahit tout le territoire algérien. Je suis entrée dans la clandestinité en 1956. J’avais 17 ans. J’étais une gamine pour dire la vérité mais je me sentais prête à militer. A l’époque, la France était la troisième ou quatrième puissance militaire mondiale.
En face d’elle, des petits groupes, mal armés, dont les membres n’étaient pas formés et qui arrivaient difficilement à prouver leur existence. Très vite j’ai rejoint le maquis comme infirmière. Bien sûr il y a eu les batailles mais ça ne se raconte pas. Ce qui m’a aussi marqué, c’est quand on s’est fait arrêter, en novembre 1957 en arrivant à Médjana, dans la région Bordj Bou Arreridj.
Raymonde Peychard, une autre infirmière, était devant nous, un peu à l’écart. Quand les soldats l’ont encerclée, elle était seule. D’après les témoignages, y compris ceux des militaires, c’est elle qui a tiré la première. Je me souviens que nous étions une quinzaine de maquisards, camouflés dans les arbustes. Avec nous il y avait Ould Kaci, un bandit d’honneur.
Les bandits d’honneur sont les Algériens qui ont prit le maquis avant la guerre. Condamnés par les autorités françaises, ils sont recherchés pour des infractions qu’ils n’ont pas commises ou qu’ils ne jugent pas comme telles. Ils prennent le maquis, pour leur honneur.
Les soldats français nous encerclaient depuis une heure ou deux ; ils ne savaient pas combien on était et avaient peur d’engager le combat. Ils préféraient qu’on se rende pour essayer de nous faire parler.
De notre coté on savait que si ils attaquaient, on y passait. C’est Ould Kaci qui a décidé de notre rédition. Ça a du être un déchirement terrible pour lui. Un bandit d’honneur qui se rend, ça ne se fait pas, ça ne se voit pas.
Je me souviens que nous étions dans une sorte de cuvette qui se terminait par un éboulement, dans le vide. Deux jeunes maquisards s’y sont précipités. L’un après l’autre. On n’a rien entendu, ni coup de feu, ni cri. Rien. Je n’ai jamais pu savoir ce qu’ils étaient devenus. Et s’ils ont pu se sauver. Je ne connaissais même pas leurs noms.
Avant de se rendre, comme le veut la tradition, on a enterré nos armes. Même si on n’avait pas grand chose. Et le bandit d’honneur s’est levé. Nous nous sommes rendus. De la prison j’ai correspondu avec Ould Kaci jusqu’à l’Indépendance. J’avais gardé ses lettres mais quand on sort de prison, ils confisquent tous vos papiers.
Dans une guerre de libération, les femmes sont face à une situation où elles peuvent agir ; et effectivement elles agissent. Nombreuses sont celles, qui n’ont pas été reconnues comme moudjahidates mais qui on eu des actes de militantisme absolument exceptionnel.
En 1956, c’est toute la promotion de l’école des infirmières qui rejoint le maquis ; et la France qui ferme l’école. Durant toute cette période, je n’ai jamais vu de mépris à l’égard des femmes. Les discussions se faisaient sur un terrain égalitaire. Le sentiment profond de fraternité qui nous unissait estompait ce qu’impose la société.
A l’indépendance, on avait prouvé qu’on était égales. Il nous semblait que les relations qu’on avait eu avec nos frères de combat seraient toujours les mêmes.
C’était peut être un manque de maturité politique. Ce n’est pas par anti-féminisme avoué que les relations ont changé. C’est par une sorte d’emprise des habitudes sociales. On ne donne même pas de raisons. C’est comme ça, c’est tout. Du pain et des roses ?
Je ne sais pas. Il y a trop longtemps que je ne réfléchis plus à ça. A l’époque on imaginait qu’on prendrait le pouvoir ensemble ; qu’on construirait le socialisme dans une Algérie libre. Pourtant dès le début de l’indépendance, il y a eu lutte pour le pouvoir.
Je suis sans illusion. Alors bien sûr, j’aimerais que la société évolue vers la voie socialiste. Mais ce n’est pas facile.
Djamila Amrane Minne, décembre 2012.
Historienne et poéte
Membre du FLN/ALN 1956-1962 73 ans
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