Ce n’est pas moi qui met le feu à la Guinée...

lundi 29 janvier 2007
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RABIATOU DIALLO, la Secrétaire Générale de la Confédération nationale des travailleurs de Guinée, de passage en Belgique, nous raconte son intervention choc au Parlement National. Parce qu’elle avait lancé la grève, elle était accusée de mettre « le feu le feu au pays ». Elle a répondu.

Rabiatou Diallo [1] : « Quand j’allume le feu, c’est en dessous de la marmite pour préparer à manger pour ma famille. Or, je n’allume plus le feu parce que la marmite est vide. Et pourquoi est-elle vide ? Parce que, comme la population, je ne sais plus rien acheter. Tout est devenu trop cher. L’inflation est galopante, le franc est glissant. Il faut 3 fois plus d’argent guinéen pour un euro. Ce n’est pas à cause des travailleurs, de la population, des syndicats. C’est à cause de vous, les ministres et les députés. La corruption, c’est vous. Le blanchiment d’argent, c’est vous. La mauvaise gouvernance, c’est vous. Ce ne sont pas les travailleurs !

Des experts de la Banque Mondiale et du Fonds Monétaire sont en mission dans notre capitale, Conakry. Que viennent-ils faire ? Continuer à nous coloniser. Ah oui, c’est vrai, notre pays était endetté. Qui a endetté notre pays ? Vos prédécesseurs. Une remise partielle de dettes a été accordée : où est passé cet argent. On a déjà remboursé plusieurs fois cette dette ... Qui en profite ? Vous. Qui la paie ? Nous. Des ministres ont voulu me donner de l’argent pour que je me taise. J’ai dit non. A quoi peuvent servir des millions si je perds la confiance des travailleurs » ?

J’ai les yeux mouillés en vous parlant... c’est parce que je suis une femme. Oui, je suis une femme et une mère. J’ai nourri de mon lait mes 6 enfants. J’en suis fière. C’est la rage qui me fait pleurer. Un pays aussi riche que le nôtre, le château d’eau de l’Afrique de l’Ouest, ne peut même pas nous donner de l’eau potable ! L’électricité ne fonctionne que deux heures toutes les deux nuits : les frigos ne servent plus à rien. Le prix du riz a été multiplié par 3, le pain par 2, le poisson par 4. Nous sommes en mauvaise santé et nous mourons à l’hôpital faute de soins. Nos enfants ne vont plus à l’école parce que les professeurs ne savent plus payer les frais de transport pour se rendre à leur travail. Les jeunes deviennent des brigands. Est-ce la faute au peuple, aux syndicats ?

Notre Bourse du Travail, notre secrétariat syndical a été démoli par une tornade et un tremblement de terre. Ce sont des amis belges qui comprennent notre situation et qui viennent nous aider. Ce bâtiment est un symbole historique de notre pays, puisque c’est là qu’est née notre indépendance. Vous, vous n’avez même pas eu la fierté de nous aider à le reconstruire.

Depuis le 1er mai 2005, vous connaissez nos revendications. Trois fois, nous avons appelé au dialogue en frappant à vos portes. Vous fermez les yeux et bouchez vos oreilles. On a pris patience parce que le gouvernement n’avait pas fait son budget, parce que des ministres étaient en mission à l’extérieur du pays, parce qu’il y avait les élections municipales... Le comité inter-ministériel cafouille. Les ministres n’arrivent même pas à se mettre d’accord sur une date. En plus, vous nous menacez de prison durant cette grève...
Le Conseil Syndical national avec ses 100 délégué-e-s des bases a été convoqué en janvier. Trop, c’est trop : la grève commencée depuis 4 jours était inévitable !
 »

Rabiatou, explique-nous cette intervention.

Mon collègue Fofana (de l’Union syndicale des travailleurs guinéens (USTG) et moi avons été convoqué sur le champ à l’Assemblée Nationale. C’est notre Parlement. On n’a même pas eu le temps de préparer notre intervention. J’ai fait parler mon cÅ“ur et j’ai dit tout haut ce que la population vit et pense.

On ne sait pas d’ailleurs pas pourquoi nous avons été convoqués ? Est-ce que des ministres voulaient que les députés nous demandent de terminer la grève ou des députés nous ont-ils utilisés pour s’opposer au Gouvernement ?
Mon collègue Fofana n’a pas mâché ses mots non plus. Ancien professeur d’économie à l’université, il a eu plusieurs ministres actuels comme étudiants. Il a dit devant l’Assemblée Nationale qu’ils n’avaient rien compris et rien retenu des cours donnés ! Donc, on a été écouté et cela a servi à quelque chose pour discuter avec les ministres...

Mais il y a eu une fabuleuse mobilisation...

Extraordinaire, oui. Ce ne sont pas seulement les travailleurs... Toute la population était à l’arrêt. Les marchés du secteur informel n’ouvraient que la nuit parce que les ménagères devaient quand même acheter du manioc et autres produits de première nécessité. Tout était mort : les mines, les banques, les ministères, les bureaux. Aucun véhicule ne circulait. Les rues toujours bondées de monde étaient désertes. Depuis 40 ans, notre pays n’avait connu une telle mobilisation. Même les mendiants des mosquées sont venus me dire qu’ils faisaient la grève avec nous parce qu’ils comprenaient que les gens n’avaient plus d’argent.

La consigne chez nous quand on fait la grève, c’est de rester chez soi. On ne fait pas de piquet de grève comme en Europe puisqu’il n’y a que très peu d’entreprises. En plus, quand tu es dans ton domicile privé, les forces de l’ordre ne t’emmènent pas en prison.

C’est aussi votre travail de sensibilisation depuis des mois...

Depuis mai 2005, nos revendications sont connues. Il y a une grève d’avertissement en novembre. Un rendez-vous avec le gouvernement a été fixé... puis non tenu. Les bases syndicales de tout le pays, réunies en janvier, nous ont stimulés. Elles étaient déterminées. Elles nous encouragé aussi à faire front commun avec l’USTG. Ce 2e syndicat en terme de représentativité, partageait nos revendications. A deux, on était aussi plus fort pour nous opposer à 3 autres syndicats qui étaient payés par les patrons et les ministres pour nous diviser.
Ils ont échoué... La population voit clair !

Qu’est-ce que tu retires de ce grand évènement ?

Seule la lutte amène un progrès social. Pour cela, il faut s’organiser. Depuis 4 ans, on a renoué les contacts avec les bases à l’intérieur du pays. Ce sont les délégués, les femmes et les hommes, qui font le syndicat. C’est grâce à elles et à eux que nous avons avancé.

Le travail avec l’autre syndicat a été aussi important. C’est un syndicat correct : on se met d’accord et les 2 partenaires tiennent parole.
Notre succès est dû aussi aux messages écrits de la CMT, de la CISL, l’OUSA de la CSC , de Social Alert, de la CGT, de nos partenaires hollandais et évidemment des camarades des syndicats africains. Les lettres expédiées au Président de la République l’ont fait sûrement réfléchir. Pour nous, c’était important : dans la bagarre, on est épaulé.

Ce qui nous a aidé aussi, ce sont les bêtises des ministres. S’ils sont malins pour se faire de l’argent, ils ne sont pas intelligents. Leurs provocations ont renforcé la mobilisation. En plus, ils n’étaient pas d’accord entre eux et cela s’est vu tout de suite.

Et quoi, après cette victoire ?

La chose essentielle, c’est que la population a relevé la tête durant 5 journées et y a mis le prix. Nous, les dirigeants des deux syndicats, on a crevé. Durant 5 jours, 5 nuits on a logé sur des mousses au secrétariat mais une fois le protocole d’accord signé, on s’est senti défatigué !

Disons que cette victoire nous a apporté 40% pour mieux vivre. Restent les 60%. Il nous faut continuer à travailler : des commissions sur des sujets précis (index et inflation, filières industrielles, déblocage des salaires...) avec des représentants des ministres, des patrons et des 2 syndicats se sont engagées à faire des propositions. Des échéances sont fixées et des décisions doivent être prises.
Mais nous avons l’espoir.

Source : Site de Michel Collon

Transmis par Linsay


[1La CNTG ancien syndicat unique est à présent un syndicat autonome. Rabiatou Serah Diallo a été réélue pour un 2e mandat comme Secrétaire Générale en 2005.
C’est la seule femme qui porte la 1re responsabilité syndicale en Afrique.



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