Monoprix : « de la grève surprise à la grève historique »*

lundi 11 octobre 2010
par  Charles Hoareau
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La chaine Monoprix, propriété du groupe Casino et des Galeries Lafayette, enseigne aux plus de 300 magasins pour un chiffre d’affaire de 3,5 milliards€ annuels en France et qui ne cesse de s’étendre à l’étranger, vient de connaitre à Marseille une grève dont les retombées n’ont pas fini de se faire sentir…Partie d’un magasin sans organisation syndicale qui n’a jamais connu de grève depuis plus de 30 ans, elle a duré 22 jours…jusqu’à la victoire…

Dans les quartiers sud de Marseille (ou quartiers chics) le Monoprix du rond-point du Prado, est un magasin sans histoire où depuis des années la clientèle vient faire ses courses, dans des voitures dont le prix représente souvent des années de travail des salarié-e-s qui les servent. Cette « vitrine » de Monoprix, comme disent (disaient ?) les dirigeants de l’enseigne réalise ici l’un des 3 plus gros chiffres du pays (54 millions en 2009), plus d’un million par semaine !

Derrière l’ambiance musicale et feutrée des rayons d’alimentation bio, de parfumerie ou de prêt-à-porter, des hommes et des femmes, jeunes pour la plupart, subissent les temps partiels imposés auxquels s’ajoutent les brimades, la pression, la surcharge de travail due au non remplacement de personnel et… les bas salaires bien entendu. Comme si cela ne suffisait pas, la ville de Marseille ayant décidé de privatiser l’espace public, nombre de salarié-e-s à qui la direction refuse l’accès au parking clientèle, obligés de venir en voiture à cause de leurs horaires et du manque de transports en commun, doivent se garer dans les rues avoisinantes et payer les parcmètres. Payer pour venir travailler il faut le faire !

Pendant des années les salarié-e-s n’ont rien dit, tout accepté en silence et en serrant les dents, en espérant que leur investissement dans le travail serait reconnu, qu’ils auraient droit à travailler plus pour gagner plus dans une entreprise où il est fréquent de devoir se lever à 4h du matin pour à peine 800€ par mois.

La peur de perdre son emploi aidant, le syndicalisme, la lutte collective étaient des mots étrangers. Leur combat était individuel : conscience professionnelle et investissement dans l’espoir d’une reconnaissance salariale, voire d’une ascension même modeste dans la hiérarchie du groupe. Au fil des années ils durent se rendre à l’évidence : leurs espoirs étaient vains. Alors que les profits de Monoprix ne cessent de grossir au point de faire un bond de près de 40% au 1er semestre 2010 les précaires du Rond-Point (et d’ailleurs) continuent à voir leur fiche de paie désespérément basse.

Aussi, quand ce vendredi 17 septembre, deux déléguées, quasi seules syndiquées CGT, distribuent un tract au personnel appelant à l’action pour les contrats, les classifications, les salaires et le parking, le personnel arrête massivement le travail à la grande surprise de l’encadrement, de la clientèle et des pouvoirs publics… mais pas des salarié-e-s chez qui le feu couvait depuis longtemps.

Dès le début la direction du magasin traite de haut les déléguées, qui en plus – circonstance aggravante – sont deux femmes dont le macho-directeur pense ne faire qu’une bouchée en balayant d’un revers de main toutes les revendications déposées. Pour lui c’est clair la grève n’est qu’un mouvement d’humeur sans lendemain.
C’est sa 1re erreur.

Une direction méprisante et de combat, un conflit dur.

Le lendemain devant tant de mépris et l’absence de réponse, les salarié-e-s qui pour la plupart font leur première grève, la reconduisent.
Commence alors un mouvement dont nul ne soupçonnait l’ampleur et les prises de conscience qu’il permettrait. Le samedi dès 5h 30 les grévistes sont quasi tous présents, avec à leurs côtés en permanence tout au long du conflit, des militants de la CGT qui se relaieront avec le seul souci d’aider sans jamais déposséder les salarié-e-s de leur mouvement. Aider à informer la population et les salarié-e-s des Monoprix et plus largement des magasins de la grande distribution avoisinants, être là en soutien, échanger avec les salarié-e-s qui le demandent, voilà leur rôle.
Le samedi soir 18 septembre la direction propose un pseudo protocole, vide de tout contenu et d’engagement précis (à part sur 10 places de parking !). Le lundi les salarié-e-s le refusent et convainquent la déléguée FO, un moment tentée de le signer de ne pas le faire.

Mardi 21 septembre 2h du matin, le téléphone sonne : « Vous dormez ou quoi ? » C’est le cri de Samy, la déléguée de Monoprix Canebière (le deuxième plus grand Monoprix de Marseille) où la grève vient de commencer, initiée par 3 femmes, les 3 déléguées, qui sont là en pleine nuit devant l’accueil livraisons avec leur drapeau CGT flottant au vent.

2h du matin, la grève démarre à Canebière

Comment elles ont fait et comment elles feront avec leurs collègues pour assurer une présence jour et nuit sur le piquet de grève, elles qui sont souvent sans voiture, quand elles ne sont pas en plus mères isolées ? Elles ne s’étendront pas sur le sujet mais elles seront là.

Jeudi 23 septembre, les salarié-e-s du Monoprix Castellane nous ont contactés pour entrer elles et eux aussi dans le mouvement. A 6h du matin le directeur s’en prend aux grévistes des autres magasins présents devant l’accueil livraison, parle des méthodes de la CGT, appelle la police, puis un huissier…et finit par lâcher, quand le ton s’apaise, que les revendications sont légitimes, mais qu’il n’a jamais fait grève car il est trop individualiste : CQFD. Dans ce tout petit magasin, hormis le 23 septembre où 9 salarié-e-s (sur 15) seront en grève, l’action prendra d’autres formes les jours suivants.

Les grévistes de Castellane

Les méthodes de Monoprix

Ce matin-là on eut un aperçu des méthodes de Monoprix dont les salarié-e-s nous avaient parlé à plusieurs reprises, quand vers 6h, au beau milieu de la rue, une voiture arrivée à toute vitesse s’arrête, bouche la circulation et en sort un directeur des ventes local.

Monoprix est plein de salariés parés du titre pompeux de directeur mais n’ayant en réalité que l’apparence vestimentaire de la fonction et peu de pouvoir tant les décisions, même les plus minimes comme le changement de classification d’un employé, se prennent en fait à l’échelon régional, voire national. Ce cadre donc, à l’évidence chargé de mission, prend à part l’un des grévistes qu’il connait personnellement, et pendant une heure maniant l’affectif, le psychologique et les promesses, opérera sur lui un véritable chantage idéologique jusqu’à le « chambouler » comme le dira lui-même le salarié par la suite et ainsi le convaincre d’arrêter la grève. Ce « directeur » essaiera cette méthode plus tard sur d’autres grévistes en vain. Instruits par l’expérience les salarié-e-s résisteront.

On pourrait longuement parler des méthodes de ce groupe de petits et moyens magasins où l’encadrement est formé, pour ne pas dire formaté, à une gestion du personnel, savant dosage de machisme, de paternalisme, de promotion de l’individualisme et où les brimades, voire les insultes, font partie intégrantes des méthodes de direction. Pendant la grève, outre la présence permanente d’un huissier qu’on imagine payé largement plus qu’une caissière, les salarié-e-s ont dû affronter les provocations, les tentatives de coups de force, le refus absolu de négocier, la volonté affirmée de sanctionner « les meneuses » en particulier lors des procès intentés contre les 5 déléguées des deux magasins qui se verront condamnées à 300€ d’astreinte par jour de retard des livraisons. [1] Un soir à Rond-Point c’est même à une compagnie de gardes mobiles que les salarié-e-s durent faire face ce qui fera dire à Christiane dont c’était la première grève en plus de 30 ans de magasin : « Si on m’avait dit que pour 50€ par mois on m’enverrait la police je ne l’aurais jamais cru… Il faut que j’arrive à l’âge que j’ai pour ne plus croire ni à la justice, ni à la police ».

L’imagination sur les murs

Ce qui révolte les salarié-e-s c’est de voir les sommes que la direction du groupe est prête à dépenser plutôt que d’accéder aux revendications. Une estimation rapide montre que le groupe, entre les pertes de recettes et les dépenses en vigiles et autres procédures juridiques, a perdu sur ce conflit entre 3 et 4 millions d’euros …alors que les revendications des salarié-e-s représentaient un maximum de 150 000€ annuels sur les 3 magasins !

Un groupe qui ayant raté ces manœuvres destinées tout à la fois à décourager les grévistes et à faire intervenir systématiquement les forces de police, finira par accepter, contraint et forcé, de négocier sous l’arbitrage de la direction du travail [2]en imposant de discuter magasin par magasin et en refusant tout syndicaliste autre que les déléguées de site, y compris la déléguée syndicale centrale CGT, pourtant descendue tout exprès de Paris !

A voir le mépris constant de la direction on imagine sans peine comment cela doit se passer à l’intérieur du magasin vis-à-vis de salarié-e-s même quand ils ont une haute idée de leur conscience professionnelle. Ainsi à Canebière, parmi les grévistes il y a Carole, une des 3 salariées à avoir la clef du coffre du magasin et qui occupe un poste stratégique. Le lundi 4 octobre elle doit participer à une action de formation prévue de longue date. En accord avec ses collègues grévistes il est décidé qu’elle aille à sa formation et qu’elle revienne en grève après. Cette conscience, cette détermination tranquille, la direction ne la supporte pas au point que le sous-directeur du magasin, un certain M. Augeras, l’insulte et l’agresse. Il doit être fait appel aux pompiers pour l’évacuer et à ce jour elle est toujours en arrêt de travail...

Une autre erreur de la direction a été de sous-estimer constamment les salarié-e-s.

Sans doute qu’à force de les traiter comme des larbins elle avait fini par croire qu’ils en étaient réellement, incapables de se révolter durablement, de réfléchir, d’éviter les provocations, de résister à la peur. C’est d’ailleurs un comportement fréquent chez des employeurs peu habitués à la résistance des salarié-e-s, qui en viennent à conclure qu’ils sont soumis à vie.
Il va falloir que les dirigeants de Monoprix révisent leur jugement…et leurs méthodes.

Des salarié-e-s solidaires, un extraordinaire soutien

Si tout au long de ces 22 jours les salarié-e-s ont été impressionnants de lucidité et de détermination c’est qu’ils avaient conscience que, bien plus que ce qu’ils pourraient gagner sur les salaires et l’emploi, ce qui était en jeu c’était leur dignité, l’affirmation qu’en face de cette direction arrogante, ils ne plieraient plus. Un air de liberté flottait en permanence sur les piquets de grève ce qui faisait dire à Linda au 15e jour de grève :« Même si on rentre maintenant sans rien je suis très contente de ce qu’on a fait. Avec mon voyage à Dubaï l’an passé ce sont les deux plus beaux souvenirs de ma vie. » Dans ce mouvement la solidarité entre grévistes prend de multiples visages et la détermination aussi : de Ali qui a passé les 3 semaines sur le parking à ne rentrer chez lui que pour se changer à Laurence, surnommée depuis cafetière , qui tous les matins à 5h 45 portait le café, en passant par Sylvie ou Fernand dont le CDD a fini pendant la grève et qui ont continué malgré tout, Camille qui toutes les nuits était là à partir de 1h du matin, de celles et ceux qui ont voulu reverser la solidarité à « d’autres qui en avaient plus besoin »...

Leur révolte est celle contre le système Monoprix, sa perpétuelle course à la carotte assortie en permanence de ses menaces de coups de bâton. Les promesses de passage à temps plein ou de promotion en échange de la docilité, cela ne passe plus. A ces espoirs individuels souvent cachés et source de division entre eux se substitue aujourd’hui l’affirmation collective et solidaire du droit à vivre mieux. C’est cette volonté farouche de montrer de quoi ils étaient capables qui les a fait tenir et les rend fières et fiers à juste titre de ce qu’ils ont réussi.

On ne peut qu’être admiratifs devant cette volonté de ces salariés, en particulier les femmes qui ont résisté tant de nuits et de jours, qui ont passé tant d’heures sur un piquet (car pour aucun d’entre eux cela n’a été une grève à la maison mais au contraire une période où ils ont fait plus d’heures qu’à l’ordinaire !) en sachant l’argent qu’ils ou elles perdaient sur des salaires bien souvent à 3 chiffres !!!

Cette volonté et le soutien qu’ils ont reçu.

Soutien des syndiqué-e-s et organisations de la CGT mais aussi soutien de la clientèle et de centaines de passantes et passants anonymes qui venaient signer la pétition de soutien et verser leur obole en disant :« tenez bon ».

Preuve de ce soutien ce sont plus de 15 000€ qui seront récoltés [3]en 22 jours de conflit !

Preuves aussi ces milliers de signatures et cette présence constante au piquet de grève de gens venus les soutenir. Sur Canebière où vu la taille du magasin les grévistes étaient peu nombreuses et nombreux, la nuit il y eut en permanence des membres d’une association contre la précarité qui étaient à leurs côtés. Leur aide a été précieuse. Il faudrait parler aussi des autres entreprises ou administrations en lutte qui sont venues les saluer en manif : impôts, enseignants, dockers, hospitaliers…et des moments d’émotion que cela a été à chaque fois. Il faudrait parler de ce lundi matin où 50 camarades de la CGT sont venus à 5h du matin pour empêcher un coup de force de la direction et auquel elle a dû renoncer, du collectif femmes CGT qui a, entre autres, récolté 1800€ et se donnait rendez-vous pour ses actions nombreuses dans la période sur le piquet de Canebière...

Solidarité et soutien aussi de la part des salarié-e-s des autres Monoprix de France qui étaient appelé-e-s à la grève le vendredi 8 octobre, ce qui est là aussi un évènement.

Et au bout la victoire

Difficile de mesurer tout ce que ce mouvement a permis, non seulement sur les magasins concernés mais aussi sur les autres où maintenant des liens solides sont établis. Les acquis actés vendredi 8 octobre portent essentiellement sur l’emploi et les salaires.

En terme d’emplois d’abord ce sont 4560 heures (près de 90 000€) par an qui sont gagnées permettant ainsi à nombre de temps partiels (et pas seulement les grévistes) de passer à temps plein. A Canebière le protocole [4] stipule même qu’il n’y aura plus d’embauche en dessous de 30h hebdomadaires ce qui est une sacrée victoire contre la précarité. On imagine sans peine ce que cela représente pour chaque salarié.

En terme de salaires, s’ils n’ont pas obtenu de revalorisation globale ce qui nécessiterait un accord (et donc un mouvement) national ni de prime, ils ont gagné une mise en chantier de la révision des classifications dont la direction reconnait elle-même dans les protocoles, qu’elles ne respectent pas la législation. Quand on sait que certains salarié-e-s n’ont pas vu leur classification - et donc leur salaire – bouger depuis plus de 30 ans, cela devrait faire au bout du compte une sacrée augmentation.

Assemblée matinale à Rond point

En terme de dignité et d’organisation là le résultat est inestimable. Quand on a vu ces salarié-e-s discuter pied à pied chaque ligne de leur protocole et affirmer qu’ils étaient prêts à ressortir à la moindre entourloupe, on mesure la force qu’ils ont acquis dans ce mouvement. Comme le disait l’un d’entre eux au soir de sa première journée de reprise :« C’est vraiment bien de marcher la tête haute ! »

Des salarié-e-s qui se connaissaient peu ont fait une expérience inconnue de solidarité qu’ils n’oublieront pas de sitôt. Juste une anecdote pour terminer. La direction emploie pour désigner les salarié-e-s le terme de collaborateurs ce qui a le don d’énerver nombre des grévistes [5] qui, par opposition, ont découvert pendant la grève, le mot camarade !

Vote de la reprise

Les camarades de Monoprix n’ont pas fini de se battre…ils commencent à peine...la tête haute et le coeur léger !


* Titre de Yann 24 ans gréviste à Monoprix Rond-Point


[1Un matin un chauffeur extérieur à l’entreprise et surexcité a foncé on ne sait pourquoi sur les grévistes et est sorti de son camion armé d’une barre de fer volumineuse : que croyez-vous qui s’est passé ? Ce fut l’un des grévistes, Hassan qui s’est retrouvé convoqué pour de soi disant menaces qu’il aurait proférées...

[2A la première séance de négociation les directeurs sont sortis de la salle avant même que celle-ci démarre, en invoquant le fait que soi-disant des camions de livraisons étaient bloqués dans la rue. Un constat d’huissier demandé par les salarié-e-s prouvera immédiatement qu’il n’en était rien...

[3dont 5000€ dans la manif du 2 octobre !

[4il y a eu un protocole par magasin

[5l’un d’eux le matin de la reprise a d’ailleurs salué plusieurs membres de l’encadrement particulièrement virulents à l’égard des grévistes d’un sonore : « Bonjour collabo ! »



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vendredi 15 octobre 2010 à 11h12 - par  anthony cadran
mercredi 13 octobre 2010 à 13h49

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