Burkina Faso : une dette illégitime qui doit être répudiée

lundi 2 mars 2015
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Dette : de quoi parle-t-on ?

Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque Africaine de Développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds Européen de Développement.

Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.

Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.

La dette publique du Burkina Faso s’élevait en 2013 à 2,56 milliards de dollars [1]. La dette extérieure représente 80% de cette somme et est composée à 83% de dettes multilatérales (dues aux Institutions financières internationales comme le Fonds monétaire international et la Banque mondiale) et à 17% de dettes bilatérales (dues à d’autres pays). La dette intérieure correspond donc aux 20% restants de la dette globale et est constituée à 70% de titres (bons et obligations du Trésor) [2]. La dette du Burkina a augmenté de 78% entre 2000 et 2013.

La dette du Burkina Faso est très largement illégitime car elle a été contractée en violation du droit international et qu’elle n’a pas bénéficié à la population. Plusieurs arguments juridiques peuvent être avancés pour le démontrer, nous n’en citons ici que quelques uns [3]. La chute du dictateur Blaise Compaoré le 31 octobre 2014 ouvre la possibilité pour le peuple burkinabè de répudier cette dette publique.

Une dette de régime, pas du peuple

Selon la doctrine de la dette odieuse, « si un pouvoir despotique contracte une dette non pas pour les besoins et dans les intérêts de l’État, mais pour fortifier son régime despotique, pour réprimer la population qui le combat, etc., cette dette est odieuse pour la population de l’État entier […]. Cette dette n’est pas obligatoire pour la nation ; c’est une dette de régime, dette personnelle du pouvoir qui l’a contractée, par conséquent elle tombe avec la chute de ce pouvoir » [4].

Si d’aucuns doutent encore que le règne de Blaise Compaoré puisse être qualifié de despotique, citons la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH) : « il est essentiel que les droits de l’homme soient protégés par un régime de droit pour que l’homme ne soit pas contraint, en suprême recours, à la révolte contre la tyrannie et l’oppression » (préambule). « Toute personne a droit à ce que règne, sur le plan social et sur le plan international, un ordre tel que les droits et libertés énoncés dans la présente Déclaration puissent y trouver plein effet » (article 28). À la lumière de la DUDH, on peut considérer que les dettes de régimes déchus (démocratiques ou non) sont présumées illégitimes. En effet, le renversement d’un gouvernement par le peuple indique a priori que ce dernier ne le représente plus et que l’état de droit n’est pas garanti. Ses dettes n’engagent donc a priori pas la population qui s’est libérée de son joug.

Ces deux arguments montrent clairement qu’une grande partie de la dette du Burkina est une dette de régime. Rappelons que Blaise Compaoré est arrivé au pouvoir le 15 octobre 1987 suite à un coup d’État et à l’assassinat de Thomas Sankara. 27 ans de créances peuvent dès lors être répudiés. En accordant des prêts à ce régime, les créanciers « ont commis un acte hostile à l’égard du peuple » [5] et ne peuvent pas attendre du peuple affranchi qu’il assume les dettes « odieuses ».

Une dette qui viole la souveraineté et le droit du peuple burkinabè

La Charte des Nations Unies, les Pactes de 1966 sur les droits humains, le « jus cogens », la Déclaration sur le droit au développement de 1986 ou encore la résolution du Conseil des droits de l’homme de l’ONU du 18 juillet 2012, affirment qu’un accord est nul à partir du moment où son application entraîne une violation des droits humains et de la souveraineté d’un État. Dans le cas du Burkina Faso comme de nombreux pays du Sud, les plans d’ajustement structurel (PAS) liés aux contrats de prêts des Institutions financières internationales violent de manière flagrante le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et nombre d’autres droits fondamentaux. « Les conditionnalités imposées par ces créanciers appauvrissent la population, accroissent les inégalités, livrent le pays aux transnationales et modifient les législations des États (réforme en profondeur du Code du travail, des Codes minier, forestier, abrogation des conventions collectives, etc.) dans un sens favorable aux créanciers et “investisseurs” étrangers. » [6]

Le Burkina Faso est devenu le quatrième producteur d’or du continent. Les créanciers ont poussé le Burkina Faso à mener une politique extractiviste, d’abord sur le coton et aujourd’hui dans le secteur aurifère. Cette politique permet d’obtenir des devises étrangères, qui sont utilisées pour rembourser la dette. En 2012, le stock de la dette extérieure publique atteignait l’équivalent de 72% des recettes d’exportations et la production d’or représentait quant à elle 76% des recettes d’exportations. Les mines ont rapporté 125 milliards de francs CFA à l’État en taxes et impôts en 2011, pour un chiffre d’affaires - officiel - de 750 milliards de F CFA... Il n’est pas étonnant que la part du Burkina soit minime puisque le code minier offre d’importants avantages douaniers et fiscaux aux multinationales tant dans la phase de recherche que dans la phase d’exploitation (admission temporaire des matériels professionnels, exonération totale des droits de douanes sur les pièces de rechange, les carburants, les lubrifiants, les matières premières et les équipements divers, exonération de la patente et des licences, de la TVA, de l’impôt sur les bénéfices, de la Taxe d’apprentissage, de l’impôt minimum forfaitaire et des frais d’enregistrement). D’autre part, une investigation d’Africa Mining Intelligence parue en avril 2013 sur le secteur minier burkinabè révèle que celui-ci est entre les mains de Blaise Compaoré, de son frère François, des amis de la famille, des anciens premiers ministres et ministres en charge des Mines, et de quelques autres privilégiés [7].

Notons que Lamoussa Salif Kaboré, ministre des Mines, des Carrières et de l’Énergie sous Blaise Compaoré, a été élevé au rang de chevalier de l’Ordre national de la légion d’honneur française en décembre 2011, à la Résidence de l’ambassadeur de France à Ouagadougou.
Le gouvernement de transition semble se préoccuper du secteur minier, qui, selon le Colonel Boubacar Ba, le nouveau ministre des Mines, « n’a pas toujours été transparent » [8]. Par ailleurs, ce dernier a déclaré vouloir ré-examiner certains permis accordés durant la présidence de Blaise Compaoré. À voir si ces déclarations seront suivies par des actes.

Comme le souligne le FMI dans son rapport de février 2014, « le Burkina Faso a un solide bilan en matière d’appropriation et d’exécution de son programme » [9]. Le pays a signé son premier plan d’ajustement structurel en 1991 (bien après la plupart des pays subsahariens qui ont appliqué des PAS dès les années 80) et a souscrit en 1996 à l’initiative PPTE (Pays Pauvres Très Endettés) lancée par le FMI et la Banque mondiale. Cette initiative visait à « ramener à un niveau soutenable la charge de l’endettement extérieur des pays pauvres les plus lourdement endettés » [10] à travers la mise en place de réformes structurelles. Après avoir atteint le point d’achèvement en novembre 2003, le Burkina Faso a enchaîné en 2005 avec l’IADM (l’Initiative d’Allègement de la Dette Multilatérale menée par le FMI, la Banque mondiale et le Fonds africain de développement) pour « accélérer les progrès vers la réalisation des Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD) des Nations Unies » [11]. Depuis 2010, le Burkina Faso suit un programme économique appuyé par l’accord triennal de la Facilité Élargie de Crédit (FEC) du FMI. Dans ce cadre, le 27 décembre 2013, le Conseil d’administration du FMI a approuvé un nouvel accord triennal d’un montant de 41,6 millions de dollars US. Chaque plan ou programme conclu avec le FMI a été conditionné à la mise en place de réformes politiques et économiques contraires aux intérêts de la population. Les dettes contractées dans le cadre de ces accords sont illégitimes et ne doivent pas être remboursées.

Le Burkina Faso est un des pays les plus pauvres de la planète. Plus de 44% de la population « vit » en dessous du seuil de pauvreté (1,25 dollar par jour) dont la moitié survit au quotidien avec moins de 50 cents. Cette situation d’extrême pauvreté engendre une violation permanente des droits humains fondamentaux. En 2012, le service de la dette (remboursement du capital et des intérêts) a représenté 141,08 millions d’euros et a mobilisé 7,6% des recettes budgétaires alors que 6,2% du PIB était attribué aux dépenses de santé [12]. Les États sont tenus de respecter les textes internationaux protégeant les droits humains et cette obligation de respecter, protéger et de promouvoir les droits humains prime sur tout autre accord. Ainsi, le Burkina Faso pourrait refuser de rembourser ses créanciers en invoquant la suprématie des droits fondamentaux et en allouant les sommes prévues au remboursement de la dette à des dépenses sociales.

C’est au peuple de décider

Il appartient au peuple burkinabè, désormais débarrassé de Blaise Compaoré, de décider si la dette du Burkina Faso, ou une partie de celle-ci, est illégitime et si elle doit être répudiée.

Le nouveau gouvernement, poussé par les mobilisations populaires, peut décider de manière souveraine de répudier la dette publique, en s’appuyant notamment sur des arguments juridiques. La réalisation d’un audit citoyen de la dette peut également permettre de démontrer que celle-ci est très largement (voire totalement) illégitime et d’appuyer, par une large mobilisation, une décision souveraine de non-paiement.

Pauline Imbach le 23/02/2015

Transmis par Linsay



[12 564 129 000 dollars. Les montants des dettes indiqués sont tirés de l’International Debt Statistics 2015 de la Banque mondiale.

[2Réunion du groupe consultatif du SYGADE, Genève, 14-15 novembre 2013. Expériences des pays avec le système SYGADE : Cas du Burkina Faso - Présenté par Boukaré ZOUANGA, Directeur de la Dette Publique du Burkina Faso. http://unctad.org/divs/gds/dmfas/ne...

[3Lire le texte : Renaud Vivien, Quelques pistes juridiques pour qualifier une dette publique d’« illégitime », 2013, dont sont tirés les arguments juridiques cités dans ce texte, http://cadtm.org/Quelques-pistes-ju...

[4La doctrine de la dette odieuse, formulée par Alexander Sack en 1927, constitue une source du droit international public, en vertu de l’article 38 du Statut de la Cour Internationale de Justice (CIJ).

[5Alexander Nahum Sack, Les Effets des Transformations des États sur leurs dettes publiques et autres obligations financières, Recueil Sirey, 1927.

[6Renaud Vivien, Quelques pistes juridiques pour qualifier une dette publique d’« illégitime », 2013, dont sont tirés les arguments cités dans ce texte http://cadtm.org/Quelques-pistes-ju...

[9FMI, Rapport du FMI n°14/43, février 2014. http://www.imf.org/external/french/...

[10Fiche Technique, Allègement de la dette au titre de l’initiative en faveur des pays pauvres très endettés (PPTE), mars 2014. https://www.imf.org/external/np/exr...

[11Idem



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