La justice recale la police

dimanche 18 février 2007
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La critique est sévère. Selon un document interne de la chancellerie, que Le Monde s’est procuré, les vols et autres agressions ne sont pas traités correctement par les services de police. Ceux-ci transmettent des dossiers bâclés à la justice.

Le rapport 2006 sur la politique pénale de la direction des affaires criminelles et des grâces dénonce l’"affaiblissement de la qualité des procédures" dressées par la police et la gendarmerie. Le document évoque un "constat largement partagé" : il émane des procureurs, chargés d’engager les poursuites contre les auteurs de délits. Bien que le ministère de la justice appelle les magistrats à un travail en commun avec la police, un tel constat n’est pas de nature à améliorer les relations entre les deux institutions, dégradées par les attaques récentes du ministre de l’intérieur contre le "laxisme" des juges.

Le problème naît à la source. "La qualité de la justice pénale dépend avant toute chose des conditions dans lesquelles les services et unités de police judiciaire procèdent à l’administration de la preuve", explique le document. Or, "la grande majorité des parquets interrogés souligne la baisse de la qualité des procédures dressées par la police et la gendarmerie nationale". La situation, précise le rapport, vaut "plus particulièrement encore [pour] celles dressées par les brigades territoriales de la gendarmerie nationale ou par les circonscriptions de sécurité publique de la police nationale". Seuls les services et les unités spécialisés en matière de police judiciaire " paraissent échapper à ce constat".

Les enquêtes pèchent d’abord dans la forme, souligne le rapport : les procureurs évoquent "les difficultés des enquêteurs à maîtriser certaines règles procédurales fondamentales, notamment dans le domaine de la garde à vue (...) ou des contrôles d’identité". La critique vise le non-respect des droits élémentaires des personnes : délais pour avertir le parquet, recours aux interprètes, notification des droits aux individus en état d’ébriété, notamment.

Le coût de la mauvaise qualité

A l’unanimité, les parquets constatent aussi des "difficultés sérieuses" dans la rédaction des convocations par les officiers et agents de police judiciaire, et la "méconnaissance par les enquêteurs des conséquences induites par l’absence des mentions essentielles à la régularité de ces convocations". Ces conséquences sont pourtant lourdes : l’annulation pure et simple de la procédure devant le tribunal.

Par ailleurs, les services d’enquête ne semblent pas avoir assimilé les réformes pénales qui se sont succédées à un rythme soutenu ces dernières années. "Certains n’hésitent pas à solliciter l’autorisation du parquet pour mettre en Å“uvre des moyens d’enquête dédiés à la criminalité organisée, dans des procédures de droit commun", souligne le rapport. Ce constat confirme la crainte qu’avaient exprimée tous les défenseurs des droits de l’homme lors de l’élaboration de la loi Perben 2 sur la criminalité, qui a donné des moyens accrus à la police.

La situation est encore plus problématique sur le fond : "absence de rigueur dans la conduite des investigations" ; "absence de constatations précises, d’auditions, de confrontations" ; "mauvaise qualité rédactionnelle des procédures établies dans un français approximatif, voire incompréhensible". Les difficultés concernent la caractérisation même des délits. Selon les procureurs, "les services d’enquête méconnaissent les éléments utiles à l’analyse et au débat judiciaire, comme si le sens des enquêtes n’était plus maîtrisé".

Une raison est avancée : l’investissement de plus en plus important des agents de police judiciaire (APJ), mal formés et mal encadrés, dans la conduite des investigations, en lieu et place des officiers et des commissaires. Quant aux officiers de police judiciaire (OPJ), leur "forte charge de travail", leur "manque d’expérience" et la "rapidité de leur formation constituent l’une des causes susceptibles d’expliquer la baisse de qualité des procédures".

Dans les tribunaux, le problème était déjà relevé par les juges correctionnels, confrontés à des dossiers mal ficelés débouchant sur des renvois ou des relaxes. L’explosion des procédures pénales rapides - comparutions immédiates en tête -, a aggravé la situation, les relations entre police et parquet s’organisant majoritairement par le biais de permanences téléphoniques.

Les injonctions délivrées à la justice - donner une réponse pénale systématique, ferme et rapide aux faits délictueux -, rappelées avec vigueur par le gouvernement en 2005 lors des violences urbaines, rendaient pourtant "impérieux" les critères de qualité et de fiabilité des comptes rendus faits par la police aux procureurs, souligne le document ministériel.

D’autant que la mauvaise qualité des procédures a un coût. Le rapport souligne que l’indemnisation des détentions provisoires injustifiées augmente fortement : le montant moyen accordé s’élève à 15000 euros en 2005 contre 10000 en 2003. L’Etat a été condamné en 2005 à verser plus de 6 millions d’euros aux justiciables, soit deux fois plus qu’en 2003.

Source Le Monde

Transmis par Linsay



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