Pendant qu’ils comptent les morts

lundi 26 avril 2010
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Dans un livre intitulé « Pendant qu’ils comptent les morts », Brigitte Font Le Bret, co-auteur évoque les problèmes récurrents du management par le stress chez France Télécom. Une situation qui est née de la privatisation de l’entreprise et qui a engendré la vague de suicides que l’on connaît. Mais au-delà des chiffres, les auteurs s’attachent à redonner espoir aux salariés.

Marianne2.fr : Une première réflexion vient à l’esprit après la lecture de ce livre : compte tenu de la chronologie des événements, la privatisation de France Télécom est-elle à l’origine de ces suicides ?

Brigitte Font Le Bret : Effectivement, il y a un lien entre l’ouverture du capital de la Société Anonyme et les premiers symptômes significatifs du stress au travail. La privatisation du groupe a apporté de nombreux changements pour la vie des employés. Tout d’abord, le sentiment d’appartenance à un service public, très important pour eux, disparaissait avec toutes ses conséquences. Rythme de travail plus soutenu, premières mobilités, c’est la qualité de vie en générale qui changeait. Je compare souvent cette situation à celle de la Poste en ce moment. Le postier qui avait pris l’habitude d’aller au fin fond d’une campagne pour distribuer sa lettre disparait du paysage. L’employé à, en quelque sorte, « éthiquement » conscience de ce changement au sens où il intériorise, et même culpabilise l’affaiblissement ou la suppression d’un service public.

Dans cette affaire, on n’a pas eu l’impression que les syndicats aient vraiment joué leur rôle de protection envers les salariés. Leur absence est-elle le signe d’une incompréhension du problème ou ont-ils été muselés par la direction ?

Non. La question est bien plus vaste. Le suicide est un sujet difficile à aborder avec les syndicats. Ce sujet n’est pas abordé facilement dans notre société. Il s’agit d’un tabou persistant. Même un médecin n’ose pas prononcer le mot avec son patient, il se contente de lui demander s’il a des idées noires, mais pas plus ! Et puis, les syndicalistes n’ont pas été préparés à ce genre de situation. Ce sont plutôt les médecins du Travail qui sont muselés bien plus que les syndicalistes.

Peut-on ressentir de réels changements dans le groupe depuis la fin de cette polémique ?

Les suicides sont toujours d’actualité et on en dénombre un par semaine actuellement. Il y a des accords en discussion sur le plan de la prévention médicale. Les dirigeants tentent d’adoucir un peu le management. Mais les objectifs chiffrés restent les mêmes !

France Télécom n’est pas la seule entreprise française où le management par le stress est appliqué. Pourquoi n’y a t-il pas eu d’effet de propagation aux autres entreprises selon vous ?

En tant que psychiatre je peux vous assurer que je rencontre des gens venant de tous secteurs et qui me parlent de leurs envie d’en finir car ils ne supportent plus la manière dont est fait leur travail. Cela peut paraître surprenant mais un tiers de mes patients sont des fonctionnaires territoriaux, des hommes de l’administration d’état. Et c’est d’ailleurs pour cette raison qu’il est difficile de faire émerger.

Vous dites dans votre livre que le questionnaire auquel ont répondu plus de 80 000 salariés concernant les conditions de travail à France Télécom n’est pas une bonne chose dans sa méthode. Quelle aurait été celle que vous auriez mise en place ?

Le questionnaire est bien en soi car on a rapidement pris en compte le problème de tous ces gens en souffrance. Toutefois, il s’agit encore une fois de mettre l’employé seul face à un papier pour remplir des verbatims. Ce qu’il faut c’est un dialogue entre le salarié et ses supérieurs ainsi que ses collègues pour libérer la parole. Qu’il n’y ait pas de non dit.

La situation semble la même à la Poste où là encore on est en passe de privatiser l’entreprise. Quel serait pour vous l’idéal pour éviter d’en arriver à de tels méfaits ?

Il faut arrêter d’augmenter les dividendes des actionnaires, stopper les financiers et remettre l’humain au cœur de l’entreprise. D’ailleurs, il s’agit d’un problème plus global, un projet de société ou l’humain serait la base. C’est un vrai problème citoyen et politique.

Par Arnaud Boisteau web Marianne 2

Transmis par Linsay

Pendant qu’ils comptent les morts
Entretien entre un ancien salarié de France Télécom et une médecin psychiatre
Marin Ledun, Brigitte Font Le Bret
Suivi de la postface “Le Management par la menace” de Bernard Floris.

Editions La Tengo, avril 2010.
15€



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