TOUS LES CHEMINS MENENT-ILS AU COMMUNISME ?

dimanche 6 mars 2011
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La revue « Contretemps » avait posé la question : « De quoi le communisme peut-il être le nom ? »
Dans son numéro 4 de février 2011, elle, et ils, sont sept, dans le désordre : Bruno Boosteels, Christian Laval, Pierre Dardot, Michal Kozlowski, Isabelle Garo, Michel Surya et Alex Callincos, à essayer d’y répondre.

UN PLURALISME COMMUNISTE !

Des personnes et des personnalités diverses donc, et simultanément, une diversité de cheminements, de larges différences d’approches et de raisonnement.
Les suivre, c’est envisager, sinon considérer, qu’il deviendrait opportun de parler d’un pluralisme communiste, ce qui ne pourrait conduire qu’à contrarier tous ceux, amis ou ennemis, qui s’inscrivent davantage dans une vision fixiste, dans une pensée unique plutôt désincarnée.

BRUNO BOSTEELS : POURQUOI FAUDRAIT-IL CHOISIR ?

C’est peut-être Bruno Bosteels qui est le plus assuré, non sans questionner fortement : « Mais, dit-il, pourquoi faudrait-il choisir parmi les différentes versions du communisme ? Au-delà des polémiques, des auto critiques et des débats internes, ne pouvons-nous pas, ne devons-nous pas proposer un communisme générique de tous les communismes ?

« Ou – ici la voix du maître se fait entendre une dernière fois – tout cela ressent-il la politique des fronts populaires, voire la politique des fronts culturels, dont l’issue historique, par exemple en Amérique latine, le plus souvent a été un violent coup d’Etat anticommuniste ?
« Enfin, si c’est le communisme qui est une idée nouvelle aujourd’hui, pourquoi est-ce que ce sont les soixante-huitards, trotskystes ou maoïstes ou anarchistes, qui nous en proclament la nouveauté ? »

UN COMMUNISME TOUJOURS EN QUESTION

Auparavant, cependant, Bruno Bosteels avait considéré que le problème est que le communisme, s’il y en a un, n’a jamais cessé d’être en question. Aujourd’hui plus que jamais d’ailleurs.
Aussi, dit-il, « face aux célébrations et aux commémorations sans doute excessives et symptomatiques de la chute du mur de Berlin, de quoi s’agit-il si nous voulons partir ou repartir du communisme enfin en question ? »
Son questionnement interroge surtout le passé.
« Il s’agit de savoir si, outre un reste ou une restance qui nous viennent du passé, qu’il soit nostalgique ou criminel, le communisme peut être autre chose aussi qu’un avenir utopique qui se maintiendrait incorruptible au-delà des vicissitudes de l’histoire. »

LE PENSER PAR RAPPORT AU PRESENT

Aussi, « essayons de penser le communisme en termes ni du passé ni du futur mais par rapport à l’actualité du présent comme vérité effective. Marx et Engels, dans l’Idéologie allemande semblaient déjà insister sur l’actualité du communisme : « Le communisme n’est pour nous ni un état qui doit être créé, ni un idéal sur lequel la réalité devrait se régler. Nous appelons communisme le mouvement réel qui abolit l’état actuel. »
« Mais cette abolition, dit-il, ou cette destruction de l’état actuel, peuvent-elles donner lieu, ici et maintenant, à un moment de recomposition sans dogmatismes, sans feu ni lieu ? »

MICHEL SURYA : LE MOT AURAIT DU disparaître

Pour Michel Surya, le mot « communisme », puisqu’il en faut un et puisque c’est celui-là que vous avez retenu, implique deux remarques préalables :
- tout, ou à peu près, appelait le mot « communisme » à disparaître ;
- il n’a pas disparu, il reparaît même ( je veux dire qu’il connait ce surcroît d’actualité), à la faveur de l’usage qu’en a fait Alain Badiou il y a peu.
- d’autres mots n’auraient-ils pas mieux convenu, que l’histoire n’eût pas pareillement – entre-temps – chargés ( souillés ).
Michel Surya l’affirme : cette troisième question est elle-même une réponse : oui d’autres mots auraient, de beaucoup mieux convenus ( anarchie par exemple), à ceci près qu’il n’y a aucun sens à le prétendre dès lors que c’est « communisme », et que ce n’est pas « anarchie » qui est revenu.

UNE HISTOIRE TOUTE « STALINIENNE »

« Dans la controverse, dit-il, qui a récemment opposé Daniel Bensaïd à Alain Badiou, controverse intéressante à plus d’un titre, plusieurs traits demandent à être un moment remarqués.
« Je retiens pour ma part celui qui autorise le premier à reprocher au second de tenir toute l’histoire du communisme « réel » pour « stalinienne ».
« Toute, c’est-à-dire indistinctement : léniniste, stalinienne, trotskiste...
« On comprend que Bensaïd proteste, lequel tient – comme au communisme lui-même – que penser celui-ci c’est en penser l’histoire, et que l’histoire n’en est pas la même selon qu’elle est léniniste, trotskiste ou stalinienne.
« Il tient qu’on ne doit pas méconnaître comment l’histoire s’est écrite, qu’on le doit d’autant moins que la plupart de ceux qui le revendiquent, et militent encore en son nom aujourd’hui, sont volontiers portés à l’oublier ( vielles lunes, dont leurs luttes n’auraient plus rien à faire). »

QUAND LA TRAHISON A-T-ELLE COMMENCE ?

Mais Badiou a raison aussi, tient Michel Surya, à très peu près, l’histoire est la même et il n’est plus temps de savoir avec précision ou certitude quand la trahison a commencé et avec qui : Staline, Lénine, Trotski, Boukharine, etc...
« Vieilles lunes, si l’on veut, de ce point de vue, qu’il n’est pas même impossible de faire remonter à Marx et Engels eux-mêmes ( ce que l’on a vu faire aux philosophes dits « nouveaux » à la fin des années 70 ).
« Quelque usage que certains en aient fait, et infamants, ce n’est pourtant pas une querelle subalterne.
« Ce l’est si peu qu’elle permet au premier de reprocher au second ( reproche inattendu ) de former là une « hypothèse » plus « philosophique » que « politique... »

QUID DE L’HYPOTHESE ! QUID DU COMMUNISME !

« L’admettre permet au moins qu’on déporte un instant l’attention du mot « communisme » vers le mot « hypothèse », et que la querelle par le coup s’en trouve renouvelée. »

Cependant, ce qui est acquis, et auquel il faut s’en tenir, c’est :
- 1) Le principe d’une opposition irréductible à l’actuel système de domination ;
- 2) Que relèvera du mot « hypothèse » (ou le pourra) n’importe laquelle (ou presque) des formes que revêtira cette opposition ;
- 3) Que « communiste » ne constituera qu’une des formes que cette hypothèse sera susceptible de revêtir, quand bien serait-elle celle sur laquelle le plus grand nombre, non sans raison, s’accorde.

ISABELLE GARO : LE COMMUNISME ET SON REBOURS

Isabelle Garo, elle, considère que « le communisme est un signifiant qui resurgit au moment même où son référent semble avoir disparu, moins défait par son adversaire qu’effondré sur lui-même.
« De ce fait, considère-t-elle, il est logique, mais très problématique que son retour s’effectue avant tout sur le terrain de la théorie et tout particulièrement de la philosophie, sa pertinence politique demeurant très incertaine, au rebours de ce que fut pendant longtemps sa forte présence politique et sa moindre théorisation.
« Mais à rebours, oppose-t-elle, et selon un second angle, on peut le considérer comme le seul terme du vocabulaire politique contemporain qui puisse tracer une ligne de partage entre les diverses versions du ralliement au libéralisme d’un côté, et le projet d’un dépassement-abolition du capitalisme de l’autre... »

Mais comment faire de nouveau jouer un rôle véritable politique à une notion si défaite et si compromise ?
Pour Isabelle Garo, « une chose est au moins claire : s’affronter à la totalité de ses usages fait désormais irréversiblement partie de son sens et inscrit, de façon constitutive, l’examen historique critique au coeur même du projet politique transformateur. »

LA CONTRADICTION SCINDE LE REEL

Ce qui est une bonne nouvelle, poursuit-elle.
« Ainsi, si en première approche, le communisme se présente comme cette contradiction qui lui serait seulement interne et qui met au prise l’actualisation possible du terme à la menace permanente de son obsolescence et de son in-effectivité, cette contradiction se révèle être, plus fondamentalement, ce qui scinde le réel lui-même et réouvre l’histoire comme un espace de choix politique collectif.
Car si, précise-t-elle, comme le pensait Marx, le communisme n’est ni un projet alternatif par avance prescriptible, ni un rêve vide, et si, ajouterons-nous, il n’est pas non plus soluble dans ses pires usages, c’est bien parce qu’il désigne avant tout le mouvement théorique et pratique par lequel une réalité se critique elle-même et envisage comme nécessaire son propre dépassement, modifiant en retour les conditions qui ont rendu une telle critique pensable et possible.
Permanence de la critique donc, comme l’envers des crises réelles les plus radicales. »

MICHAL KOZLOWSKI PREND SES DISTANCES

Michal Kozlowski, comme son nom le suggère, est polonais. Ses appréciations présentent une certaine spécificité.
Il commence par rappeler que le Parlement polonais vent de voter une loi interdisant la production et la diffusion des symboles communistes. Et que cet interdit s’ajoute à celui qui existe, depuis longtemps déjà, concernant la propagation de l’idéologie communiste.
« Le clivage essentiel, dit-il, n’est plus entre la droite et la gauche, mais entre le totalitarisme et la démocratie. Dans cette perspective, il devient clair que le nazisme et le communisme soviétique étaient essentiellement la même chose et que leur hostilité historique n’était donc qu’une contingence. »
Michal Kozlowski prend ses distances : « Il n’y a pas lieu de polémiquer avec ce discours. »

LA VARIANTE BOLCHEVIQUE

« Il faut toutefois reconnaître que l’Union soviétique et son projet de transformation de la société trouvent leurs racines dans une fraction du mouvement communiste (ce qui ne veut pas dire que l’on doive identifier le communisme avec sa variante bolchevique : de ses débuts jusqu’à son dernier souffle, le bolchévisme était critiqué, voire dénoncé par d’autres courants communistes).
« Il existe de nombreuses explications de l’échec du communisme bolchévique : le thermidor stalinien, les purges et les massacres de militants communistes de la première heure effectués par le régime dans les années 1930, les dérives du capitalisme d’Etat en Russie, y compris l’accumulation primitive déguisée en collectivisation.
« L’échec de ce grand projet qui est un fait historique ne peut pas laisser indifférents ceux qui se disent communistes aujourd’hui. »

UN ECHEC SPECTACULAIRE

« Or, poursuit-il, cet échec est spectaculaire. Il ne s’agit pas uniquement de l’effondrement du bloc de l’Est. On connait l’argument hégélien selon lequel la force d’une révolution ne se manifeste pleinement qu’après la défaite politique, militaire ou physique.
« Tel fut le cas de la Révolution française : c’est contradictoirement le Congrès de Vienne qui a assuré le caractère irréversible de certaines illusions révolutionnaires comme le Code civil.
« Rien de tel dans le cas de la révolution d’octobre. Elle a certes changé la face du monde mais pas d’une manière qui permettrait de parler des acquis irréversibles de cette révolution... »

Pour Michal Kozlowski, c’est un de ces paradoxes que l’histoire ne cesse de produire. « Même sous la forme d’un idéal ou d’une idée régulatrice, le communisme n’inspire plus un mouvement ouvrier en grande partie désorienté et morcelé politiquement.  »

OU EST LA PERTINENCE DE L’IDEE ?

« Tout cela veut-il dire que la perspective communiste et l’engagement communiste ne sont plus à l’ordre du jour ? », interroge-t-il, pour y répondre :« Cela ne signifie pas la mort de l’idée communiste. Sa pertinence ne dépend pas de la conjoncture politique et culturelle. Elle dépend avant tout de sa capacité à identifier les enjeux névralgiques de notre modernité (capitalisme, égalité, universalisme). Et c’est précisément en cela qu’elle est puissante. »

PIERRE DARDOT : LE COMMUNISME, SCIENTIFIQUE OU POLITIQUE ?

Pierre Dardot, lui, cherche à savoir si le « communisme scientifique » pouvait être politique.
« Une telle question, dit-il, peut paraître totalement incongrue si l’on considère que tous les mouvements qui se sont réclamés du communisme au cours du siècle passé n’ont de cesse d’affirmer ouvertement leur caractère politique.
« Cependant, à regarder les choses de plus près, on s’aperçoit que le communisme, du moins tel qu’il a été refondé « scientifiquement » par Marx fut essentiellement, et non accidentellement, non-politique, voire antipolitique, précisément en raison de sa revendication de scientificité... »
Pierre Dardot évoque les trois formes du communisme élaborées dans lesManuscrits de 1844. Après la forme du communisme « grossier » et « vulgaire » attribuée à Baboeuf, la forme du communisme « inachevé » se subdivise elle-même en communisme de nature encore « politique, démocratique ou despotique » et en communisme « visant la suppression de l’Etat », cette dernière version renvoyant à l’anarchisme de Proudhon.
Dans « Qu’est-ce que la propriété ? », ce dernier fait de l’« anarchie » en « absence de maître, de souverain » « la forme de gouvernement dont nous approchons tous les jours. »

SUPPRESSION DE L’ETAT ? SUPPRESSION DE LA POLITIQUE ?

« Cette suppression de l’Etat, dit Pierre Dardot, est d’emblée comprise par Mose Hess comme la suppression de la politique elle-même. Selon lui, le communisme s’identifie à ce que Proudhon appelle « l’anarchie », il est « la négation de toute domination politique, la négation du concept d’Etat ou de politique », et en cela il est « l’athéisme politique. »
Pour Marx, la troisième forme du communisme, ou « communisme achevé », réalise bien la suppression de l’Etat, mais par le « dépassement positif de la propriété privée »:on ne peut donc pas suivre Proudhon en voulant abolir l’Etat sans abolir la propriété privée.
« Quant à ceux qui prétendent supprimer d’un seul coup la propriété privée pour instaurer la communauté des biens, ils cherchent à établir que le communisme a déjà existé en exhumant des moments isolés du passé, complètement coupé du mouvement de l’histoire. »

L’INTERET DE LA CLASSE, OU L’INTERET GENERAL

« Or, poursuit Pierre Dardot, dans sa forme contemporaine, ce mouvement n’est autre que « le mouvement de la propriété privée elle-même », tel qu’il s’accomplit à travers l’industrie moderne.
« Dans sa forme accomplie, le communisme se comprend donc comme le résultat du mouvement historique par lequel la propriété privée se supprime elle-même : c’est précisément en quoi il est dépassement positif de la propriété privée, et non abolition purement négative. »

Pierre Dardot fait appel à Etienne Balibar : si la politique et l’Etat sont alors rejetés du côté de la mystification et de l’illusion, c’est parce qu’ils impliquent que l’intérêt particulier d’une classe soit transformé en intérêt général : le prolétariat n’ayant pas d’intérêt particulier à faire valoir, il est logique qu’il veuille réaliser la suppression pure et simple de l’Etat et de la politique.

CHRISTIAN LAVAL : REINVENTER LE COMMUN

Pour Christian Laval, réinventer le communisme réclame d’en revenir à une question qui n’a jamais cessé de hanter le marxisme : qu’en est-il du commun dans le communisme ? »

« Cette question, dit-il, est au coeur de la critique que fait le jeune Marx du « communisme grossier », comme « expression positive de la propriété généralisée », soit une conception imaginaire de la communauté qui fait de tous les individus des travailleurs soumis à la domination du capital collectif et tous égaux dans la pauvreté partagée.
« Ce communisme-là n’est jamais que le capitalisme collectivisé dans lequel le « commun » est la condition des nouveaux esclaves salariés.
« A quoi, selon Marx, il faut opposer la vraie richesse sociale de l’essence humaine dont la propriété privée est la négation.
« La négation réelle de la propriété privée ne réside pas dans la domination de l’individu par la propriété commune, mais dans l’affirmation de la dimension sociale de sa vie individuelle. »

L’HOMME : DEVENIR UN ETRE SOCIAL

« Pour l’homme, poursuit-il, devenir ce qu’il est, c’est devenir dans son existence la plus individuelle, un être social.
« Loin d’opposer socialisation et réalisation se soi, Marx les conçoit comme un seul et même mouvement.
« Le commun, c’est l’existence sociale elle-même, et le devenir social de l’homme, c’est le communisme. »

Mais, pour Christian Laval, et c’est un point essentiel pour le destin entier du marxisme, le communisme à venir est censé procéder du développement même du capitalisme.
C’est à la grande industrie moderne que l’on devra l’essor de la socialité par le travail humain, essor qui fait du communisme « la force nécessaire et le principe dynamique de l’avenir immédiat. »

LE COMMUNISME, TOUTES LES PRATIQUES QUI PRODUISENT DU COMMUN

Marx pense que la socialisation capitaliste, en mettant en rapport tous les producteurs par la division du travail, aussi bien sociale que technique, va donner naissance à une nouvelle forme de commun qui s’établira sur les ruines des communautés traditionnelles.

« C’est, dit Christian Laval, avec cette croyance progressiste qu’il faut rompre. Le communisme n’est pas le résultat nécessaire de la grande industrie.
« Le « communisme grossier » mis en oeuvre sur cette base dans une grande partie du monde montre à l’évidence que le capitalisme collectivisé ne vaut guère mieux que le capitalisme privatisé.
« Par communisme, on entendra toutes les pratiques qui produisent et entretiennent le commun, pratiques sans lesquelles l’humanité ne pourrait « bien vivre » et, peut-être, ne pourrait même plus vivre du tout. »

ALEX CALLINICOS : LA CRISE ECONOMIQUE REND LA TACHE URGENTE

C’est donc Alex Callinicos qui dira que l’un des grands acquis du marxisme révolutionnaire au 20e siècle, dans les écrits de penseurs aussi différents que Gramsci ou Benjamin, a consisté à débarrasser le matérialisme historique de la nécessité.

« Mais, dit-il, l’effondrement du stalinisme nous a privé du refuge que la critique du socialisme utopique nous fournissait grâce à Marx.
« Nous devons élaborer une description convaincante de la nature de notre alternative au capitalisme.
« La crise économique en cours, en faisant apparaître le besoin de cette alternative, rend la tâche d’autant plus urgente. »



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