...nouvelles façons de parler, de chanter, de penser, de rêver, de lutter...

les migrants et les nouvelles citoyennetés transfrontalières
dimanche 28 janvier 2007
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Réflexions sur la gouvernance des sociétés plurielles, multiculturelles et transnationales à l’âge de la mondialisation

Existant depuis la nuit des temps, les flux migratoires sont complexes. Les migrations d’aujourd’hui sont faites de déplacements sud-nord, sud-sud et est-ouest. Actuellement, de millions d’êtres humains, principalement des jeunes et des femmes, viennent gonfler les migrations à l’intérieur de l’Afrique et de la Chine. Dans les vastes et complexes mouvements migratoires en cours, deux régions du monde s’avèrent de véritables plaques tectoniques : celle de la frontière entre le Mexique et les États-Unis et celle autour de la mer Méditerranée. Ces régions concentrent dans un espace géographique limité d’énormes distances économiques et démographiques.
Au-delà de ces dimensions matérielles, ce qui caractérise les migrants sous une forme ou une autre, est la recherche, pour de multiples raisons et souvent au risque de mourir, d’une vie un peu plus digne et dans la paix.

Les flux migratoires sont en train de transformer profondément les imaginaires culturels et politiques. Du local au mondial, les migrants font naître de nouveaux mouvements sociaux qui génèrent à leur tour de nouvelles conceptions et pratiques de la citoyenneté et qui portent des éléments d’alliances sociales, politiques et culturelles qui sont indispensables pour ouvrir sur des changements sociaux et politiques, autant à l’intérieur même des États qu’au-delà de leurs frontières, sur de vastes régions à échelle continental ou mondial.

Les “Latinos” des États-Unis sont en train de réussir à renforcer leurs organisations et à faire entendre leurs revendications, mais aussi à former des alliances avec les mouvements des droits civiques des successeurs de Martin Luther King, et au-delà du mouvement afro-américain, avec les Asiatiques et les Blancs pauvres des États-Unis, qui sont nombreux. Ainsi se construisent des alliances sociales capables de défier la prédominance des néo-conservateurs et d’évacuer leur projet hégémonique et réactionnaire.

Cependant, les relations entre les migrants et les populations sédentarisées sont souvent marquées par la xénophobie, l’exclusion et la peur. Les nationalismes bornés ramènent les sociétés à des époques plongées dans la guerre et l’oppression. Il ne faudrait pas non plus dissimuler le racisme existant, même entre migrants, ni la difficulté de construire des liens entre Latinos, Noirs, Asiatiques et Blancs aux États-Unis, et entre Maghrébins et Africains sub-sahariens ou avec des migrants de l’est européen en Europe occidentale.

Dans ce contexte, il convient de se référer à la Charte de la liberté - The Freedom Charter - rédigée dès le 5 juin 1955 par les Sud-africains, un texte qui apporte des enseignements historiques d’une importance capitale.

Lorsque Mandela et ses compagnons se réunirent avec près de 3 000 Sud-africains à Kliptown, un quartier populaire de Johannesbourg, et qu’ils élaborèrent la Charte de la liberté, le premier article de celui-ci déclarait que : « (...) l’Afrique du sud appartient à tous ceux qui y vivent, Noirs et Blancs, et qu’aucun gouvernement ne peut prétendre justement à l’autorité sans que cette dernière ne soit fondée sur la volonté du peuple entier (...) ». Le texte exact de la Charte de la liberté est : We, the people of South Africa, declare for all our country and the world to know : that South Africa belongs to all who live in it, black and white, and that no government can justly claim authority unless it is based on the will of all the people (...).

Mandela et ses compagnons étaient déjà poursuivis par les agents du régime de l’apartheid, mais certains des membres de sa propre organisation ne pouvaient tolérer que le premier article de la Charte de la liberté proclamât que l’Afrique du sud appartenait non seulement aux Noirs, mais aussi aux Blancs. Cela n’empêcha pas les rédacteurs de cette charte de maintenir intacte cette affirmation. Mandela resta 27 ans prisonnier du régime de l’apartheid dominé par les Blancs et aujourd’hui, ce texte est l’inspiration de la Constitution d’Afrique du sud.

Si nous rappelons la Charte de la liberté en évoquant les nouvelles alliances sociales qui se tissent entre migrants, c’est parce que ce document historique offre des leçons fondamentales que nous nous devons d’écouter. Que l’Afrique du sud, dominée par le régime de l’apartheid, appartenait à tous, même aux Blancs, était l’affirmation décisive que les sociétés étaient plurielles, multiculturelles, et que c’était la diversité qui constituait l’unité. Ce sont là les caractéristiques essentielles d’une gouvernance réellement légitime, efficace et démocratique.

Plus encore - et c’est ici que l’on découvre le caractère génial de la stratégie mise en Å“uvre par Mandela et ses compagnons - cette affirmation de la diversité permit d’isoler l’adversaire, de l’encercler, de le neutraliser et de l’abattre par tous les moyens, civils et armés, jusqu’au triomphe électoral de Mandela il y a seulement 12 ans, en 1994.

Mandela et ses compagnons avaient clairement compris que sous le régime de l’apartheid les Noirs n’étaient pas les égaux des Blancs, que l’on ne pouvaient pas comparer les dominants et les dominés. Dans les sociétés actuelles, l’on ne doit pas mettre sur le même plan l’occupant et l’occupé. Mandela et ses compagnons n’imaginaient pas une collaboration harmonieuse avec les dominants qui avaient implanté le régime de l’apartheid, mais en affirmant que l’Afrique du sud appartenait à tous, même aux Blancs, ils commençaient à scier la branche sur laquelle ce régime était assis.

Dire que la diversité, la pluralité, est le fondement de l’unité est une affirmation profondément révolutionnaire, libertaire, capable de jeter les bases d’un mouvement social vaste, puissant et à même de changer la société et son régime politique.

Les nouvelles alliances sociales en construction entre les migrants d’aujourd’hui constituent, en quelque sorte, une actualisation de celles que le continent américain connut déjà dans la période qui en Amérique mena à l’indépendance des tutelles coloniales espagnole, portugaise, anglaise et française. L’alliance inachevée des Noirs haïtiens - les premiers à avoir lutté pour l’indépendance - avec les peuples autochtones des Caraïbes et ceux du Vénézuéla et de la Colombie actuels ne réussit à se préciser avant les guerres d’indépendance du 18e siècle. La colonisation avait dans une grande mesure noyé, voire exterminé, les cultures millénaires du continent américain. Après cela, les États nations imposèrent des limites qui séparèrent nos peuples. Mais aujourd’hui de nouveaux tissus sociaux, politiques et culturels s’ébauchent entre Latinos, Noirs, peuples autochtones et, transcendant les frontières, Asiatiques, Maghrébins, Sub-sahariens et les migrants en Europe. C’est ainsi que se dessine, « chaîne à chaîne, maillon à maillon, pas à pas » , une Alliance mondiale des migrants et que nous nous trouvons devant une nouvelle occasion et un défi historiques.

Malgré le fait que souvent ils sont poursuivis, sans papiers, qu’ils survivent en travaillant dans des conditions précaires, voire d’esclavage moderne, sans oublier ceux qui meurent noyés ou sous le feu de ceux qui construisent les nouveaux murs de l’apartheid, les migrants sont porteurs des nouveaux visages de la citoyenneté du 21e siècle.

Aujourd’hui, surtout parmi les nouvelles générations, ils dépassent les liens purement nationaux. Les Mexicains de Michoacán ou de Zacatecas à Chicago et à Los Angeles qui luttent pour exercer leur droit de vote aux États-Unis et au Mexique, sont plus que de simples électeurs. Les Écuatoriens et les Colombiens en France, en Italie et en Espagne font naître de nouvelles pratiques sociales et culturelles. Les jeunes Chiliens et Boliviens qui luttent pour désenclaver la Bolivie sont plus que des Chiliens et des Boliviens ; les Maghrébins des banlieues françaises sont Français et Maghrébins et davantage encore. Le capitalisme mondialisé exploite, persécute et prétend acculer et neutraliser les flux migratoires, mais les migrants continuent de migrer, non seulement parce que les plaques tectoniques de l’humanité en cette aube du 21e siècle continuent de se déplacer et de craquer, mais aussi parce que les nouvelles cultures que portent les migrants dans leurs corps nomades dépassent les frontières, engendrent de nouvelles façons de parler, de manger, de chanter, de danser, de penser, de rêver, de lutter.



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lundi 29 janvier 2007 à 11h17 - par  Titophe
Site web : Racisme et Histoire

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