A LA RENCONTRE DE THIERRY TERNISIEN

mardi 3 août 2010
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C’est avec beaucoup de satisfaction que je viens de découvrir Thierry Ternisien sur Médiapart.
Cette rencontre est pour moi de celles qui donnent un sens et un encouragement à la recherche que j’ai entreprise relative aux chemins à prendre pour oeuvrer à la grande cause de l’émancipation humaine.
Le pluriel que je donne à « chemins » n’est pas fortuit.
L’on disait bien autrefois que tous les « chemins » mènent à Rome et je sais, comme les Aquitains, que notre région est traversée par les multiples « chemins » qui conduisent à Saint-Jacques.
Les convergences deviennent ainsi des réalités quelle que soit la nature de ces cheminements des hommes et de leurs pensées.
Nous allons ainsi vers l’élargissement du « tous ensemble » qui peut nous conduire sur les voies d’une nouvelle société.
Quelques articles ne peuvent tout dire.
En tout cas, ils peuvent donner à entendre.
Merci à Jean-François Autier pour sa collaboration.
Cordialement,Michel Peyret

CHOMAGE, POUVOIR D’ACHAT, RETRAITE,...LA PENSEE EN PIECES DETACHEES

Quand l’actualité du jour traite simultanément mais sans les relier de sujets aussi imbriqués que de ceux du chômage, du pouvoir d’achat, de la retraite, la critique portée par Edgar Morin sur la pensée contemporaine me revient aussitôt à l’esprit.

« Notre pensée qui compartimente, découpe, isole permet aux spécialistes et experts d’être très performants dans leurs compartiments, et de coopérer efficacement dans des secteurs de connaissance non complexes, notamment ceux concernant le fonctionnement des machines artificielles ; mais la logique à laquelle ils obéissent, étend sur la société et les relations humaines les contraintes et les mécanismes inhumains de la machine artificielle et leur vision déterministe, mécaniste, quantitative, formaliste ignore, occulte ou dissout tout ce qui est subjectif, affectif, libre, créateur.

De plus, les esprits parcellisés et techno-bureaucratisés sont aveugles aux inter-rétro-actions et à leur causalité en boucle et ils considèrent encore souvent les phénomènes selon la causalité linéaire ; ils perçoivent les réalités vivantes et sociales selon la conception mécaniste/déterministe, valable seulement pour les machines artificielles. Plus largement et profondément, il y a incapacité de l’esprit techno-bureaucratique de percevoir aussi bien que de concevoir le global et le fondamental, la complexité des problèmes humains ».

Chômage, pouvoir d’achat, retraite : une autre lecture, que celle de la croissance insuffisante, est possible ; celle de la crise de la position centrale occupée par le travail dans nos sociétés modernes. C’est, pour le plus grand nombre, par le travail que viennent nos moyens de survivre, nos protections, notre éventuel confort, la reconnaissance de notre utilité, les moyens de vivre une retraite sans obligation de production marchande.

La question centrale ne devient-elle pas alors la suivante ? Avec l’accroissement de la productivité qui détruit plus d’emploi que l’extension des marchés n’en crée pouvons-nous continuer à faire du travail, et de son complément la consommation, la seule activité humaine, le seul moyen de vivre, le seul lien social ?

Au-delà du travail et de la consommation c’est la question de la condition humaine, traitée en 1958 par Hannah Arendt, qui nous est à nouveau posée. Nous sommes bien loin du seul horizon fixé par des chiffres qui masquent de plus en plus difficilement leur origine purement idéologique (croissance, dette, chômage,…).

Vers l’abîme ? Editions de l’Herne, 2007

http://www.mediapart.fr/club/blog/thierry-ternisien/240308/crise-economique

28 mars 2008

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LE TRAVAIL AUJOURDHUI : POINT D’ETAPE SUR UNE REFLEXION

De jour en jour la « colère » qui m’a conduit à entamer, à travers la question « Débattre du travail est-ce possible ? », une réflexion sur le statut de l’activité devenue centrale dans toutes nos sociétés, se transforme en détermination. Comprendre comment l’humanité toute entière peut, après des siècles de « progrès occidental », être de plus en plus courbée sous le joug de la nécessité vitale est devenu essentiel pour moi.

La crise actuelle a au moins le mérite de révéler dans toute sa crudité l’impasse dans laquelle nous sommes engagés : un processus de développement accéléré, généralisé et globalisé que l’on veut maintenant rendre durable, alors même qu’il asservit progressivement l’ensemble des humains et détruit le monde dans lequel ils tentent de vivre et d’agir ensemble.

Les analyses ne manquent pas, beaucoup intéressantes. Elles font en général la part belle à la « science » dominante de notre époque, l’Economie. Discipline qui montre ses limites aujourd’hui aussi bien pour anticiper ou éviter la crise, que la comprendre et la traiter.

D’autres éclairages sont indispensables si nous voulons ouvrir des chemins pour sortir de deux de nos maux actuels : la pensée binaire et le tout calcul.

Je tente d’en proposer un à l’aide des concepts développés par la théoricienne politique, philosophe de formation, Hannah Arendt

J’ai d’abord effectué une première « dissection » de ce que nous appelons travail à l’aide des modalités distinguées par Hannah Arendt dans l’activité humaine : labeur, œuvre, action.

Un deuxième article a permis de faire émerger une première question : le travail aujourd’hui est-il au-delà du labeur ?

Déçu par l’écho limité et découragé par la difficulté de la tache, j’ai bien failli renoncer et j’ai exprimé mon doute et ma fatigue ? Encouragé par les commentaires suscités par cet article, renforcé dans ma détermination par le « toujours plus de la même chose » adopté comme politique en Europe, intéressé par le ton nouveau apporté par Obama, je poursuis mon investigation.

Je viens de terminer une nouvelle relecture des premiers chapitres de Condition de l’homme moderne. Alors même que la pensée de Hannah Arendt est souvent présentée comme une pensée de l’action politique, ce qui est en grande partie exact, il me semble que l’on passe à côté de son apport essentiel sur ce qu’est, à l’origine, et ce qu’est devenu, aujourd’hui, le travail.

Dans mon prochain article je tenterai de synthétiser cet apport autour de la question suivante. Comment le travail est-il devenu un processus de servitude, parfois volontaire, des êtres humains et de destruction du monde construit par les générations précédentes ?

En attendant, pour ceux qui aimeraient se plonger dans la pensée foisonnante de Hannah Arendt, je donne en fichier joint l’ensemble des extraits de Condition de l’homme moderne que j’ai, à ce jour, rassemblés autour du thème du « travail ».

Travail, œuvre, action, natalité et pluralité, monde, domaines privé, public, et social, richesse et propriété, division du travail et spécialisation de l’œuvre, aliénation par rapport à la terre et par rapport au monde,...

05 février 2009

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RETRAITES : TROIS QUESTIONS POUR SORTIR DES DEBATS ESOTERIQUES

Si on l’élargit au travail et au salaire le dossier des retraites se simplifie énormément. C’est le cadre étroit dans lequel on veut le limiter qui conduit à des débats ésotériques même sur Mediapart.

Le débat peut se résumer par deux questions qui débouchent sur une troisième :

- 1. Le volume de travail marchand est-il et sera-t-il suffisant pour permettre à chacun de trouver un emploi permettant de toucher un salaire décent ?
- 2. La richesse de notre société permet-elle et permettra-elle à chacun de toucher un salaire lui permettant de vivre décemment ?

La réponse à la première question est non. Les gains de productivité et la pression concurrentielle mise sur tous les emplois marchands , même ceux qui ne peuvent être délocalisés, détruisent plus de travail que les nouveaux produits et services n’en créent.

La traduction concrète se trouve dans la montée des taux de chômage et la précarisation des emplois qui, dans de nombreux cas, se transforment en heures de travail. Voir sur ce sujet l’excellent livre de Florence Aubenas.

La réponse à la seconde question est oui. Jamais nos sociétés n’ont été aussi riches. Jamais, aussi, la richesse ne s’est concentrée en aussi peu de mains.

La question centrale devient alors, non pas, comment financer les retraites mais comment redistribuer les richesses pour garantir à chaque citoyen une vie décente ?

Un des moyens de redistribution efficace est justement la retraite. Bien loin de le remettre en cause nous devons imaginer d’autres moyens permettant à tous ceux qui survivent difficilement ou sont exclus de bénéficier des moyens de vivre une vie décente.

Utopique ? Non, réaliste et juste.

30 Mai 2010

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RETRAITES, OU SONT LES EMPLOIS ?

Inexorablement le gouvernement avance sur le report de l’âge légal de départ en retraite. Et tout aussi inexorablement une question est soigneusement évitée. Celle du travail, ou plutôt des emplois salariés devenus le mode très majoritaire (plus de 90% des « actifs ») de distribution de la richesse créée, rappelons-le, par le seul travail.

Par quel miracle un système économique qui, sacrifiant tout au taux de profit, accroît la productivité dans tous les secteurs et transforme en activité salariale ce qui était du ressort des solidarités locales, pourrait-il créer les emplois permettant une vie décente aux futurs ex-retraités alors même que le nombre de chômeurs et de titulaires d’emplois précaires ne cesse d’augmenter ?

La réponse est simple. Il n’y aura pas de miracle. Le capitalisme est en crise depuis 35 ans avec la destruction du compromis fordiste. Après avoir accru la pression sur le travail vivant en s’étendant à l’ensemble de la planète il vise tout simplement à s’étendre, à nouveau, à l’ensemble des âges de la vie.

Créant une immense population de chercheurs d’emplois permettant de baisser encore plus le « coût » du travail pour préserver la rémunération d’un capital bien incapable de créer la moindre richesse. Gagnant ainsi du temps avant l’écroulement d’un système mortifère qui réifie les rapports et fétichise les produits et l’argent. Avec quels dégâts humains et écologiques ?

Jusqu’à quand continuerons nous à nous laisser entraîner sur des terrains de combat secondaires pour déserter le terrain principal ? Celui de la lutte du travail contre le capital. La lutte des classes existe toujours. Les capitalistes l’ont bien compris qui n’hésitent pas, avec le cynisme qui les caractérise, à se doter de « boucliers » fiscaux pour protéger ce qui n’est rien d’autre qu’un vol.

15 Juin 2010

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DUREE DU TRAVAIL, REALITE ET IDEOLOGIE

« Pour la première fois, l’innovation de procédés (portant sur les structures d’organisation, de production et de distribution) va plus vite que l’innovation de produits ; la quantité de travail rendu superflu est supérieure à la quantité de travail créé par l’extension des marchés. »

Si cette conviction d’André Gorz se vérifiait, persister à faire du travail le centre de gravité de notre société pourrait s’avérer un choix condamné à terme. A travers l’emploi, et particulièrement l’emploi salarié, le travail est en effet la forme dominante, voire unique dans beaucoup de pays, de distribution des ressources monétaires de plus en plus indispensables à la (sur)vie dans un monde où toutes les formes d’autonomie individuelles et collectives sont progressivement annihilées.

Qu’en est-il ? Pouvons-nous déceler dès maintenant des signes de diminution du volume de travail nécessaire et disponible dans nos sociétés ?

Pierre Larrouturou fournit dans son «  Livre noir du libéralisme » [1] quelques exemples qui semblent aller dans ce sens.

Avec d’abord les Etats-Unis dont beaucoup vantent les faibles taux de chômage attribués à des marchés du travail efficaces parce que libérés de toute entrave administrative.

« Si l’on en croit les chiffres donnés par la Maison-Blanche, les Etats-Unis sont très loin du « plein emploi ». La durée moyenne du travail est en effet tombée à 33,7 heures. Le chiffre qui est toujours cité (« Aux États-Unis, on travaille 40 heures par semaine ») ne correspond en fait qu’à l’emploi industriel. Mais, si l’on intègre l’ensemble des emplois, tous secteurs confondus, on constate que la durée moyenne n’a cessé de diminuer depuis 40 ans et qu’elle n’est plus que de 33,7 heures.

Et, si la durée moyenne n’est que de 33,7 heures, alors que ceux qui ont un "bon travail" sont à 41 heures, c’est que des millions d’Américains travaillent moins de 25 heures par semaine. »

Cette baisse de la durée du travail n’a pas été organisée par des négociations collectives ou par la loi. C’est le marché seul qui a réparti le travail entre, d’un côté, ceux qui ont encore un bon emploi, à 40 heures par semaine, et, de l’autre côté, des millions d’hommes et de femmes qui n’ont que de petits emplois avec des petits revenus.

Cette répartition du travail provoque évidemment un partage des revenus de plus en plus inégalitaire. Seuls les 5 % les plus riches ont vu leurs revenus augmenter sur les cinq dernières années. Les autres 95 % ont vu leur revenu stagner ou franchement décliner.

Eurostat, l’organisme statistique de la commission européenne, fournit les éléments sur la durée réelle du travail dans l’ensemble des pays européens. « Le nombre d’heures effectivement travaillées au troisième trimestre 2007, tous emplois confondus, se situe à 38,5 pour l’Europe et 37,9 pour la zone Euro.

Tous les pays, à l’exception de la Finlande, considérés comme « ayant libéré leur marché du travail et donc dynamiques », et avec un taux d’emploi supérieur au notre, ont une durée moyenne du travail inférieure à celle de la France.

Plus significatif encore, le tableau publié sur le site des statistiques officielles du Royaume-Uni qui fournit deux enseignements : une durée moyenne de travail par emploi de 32 heures et l’existence de « second jobs » de moins d’une dizaine d’heures.

En France notre ministre de l’économie et des finances se félicite des près de 300 000 emplois créés en 2007. Les statistiques stabilisées les plus récentes, celles de 2006, sont inquiétantes quant à la nature de ces emplois. Sur les 188 900 emplois créés en 2006, 116 000 (presque 60 % du total) l’ont été dans les services à la personne (aide à domicile, employés de maison, garde d’enfants, etc.). Les emplois créés dans ces services l’ont été sur la base d’une durée du travail très faible : 420 heures en moyenne par an soit moins d’un d’un tiers-temps (11 à 12 heures par semaine).

Et, comme ces activités sont rémunérées aux alentours du Smic, les salaires moyens sont de l’ordre de 300 euros par mois... La montée en régime du plan Borloo permet d’envisager qu’en 2007 les services à la personne auront ajouté 180 000 emplois, mais sur la base de durées du travail aussi faibles... À force de multiplier ces « miettes d’emploi » la France sera peut-être bientôt championne du monde des créations d’emplois.

A partir de ce premier tour d’horizon notre interrogation initiale sort renforcée. Peut-on persister à mettre au centre de gravité de nos modèles sociaux le travail rémunéré ? Surtout quand les deux mécanismes ayant conduit à cette situation de diminution de la durée réelle du travail fonctionnent à plein régime : l’accroissement de la productivité et la mondialisation.

Dans son « Livre noir sur le libéralisme » , Larrouturou fait, avant même la mondialisation, des gains de productivité la principale explication des bouleversements sociaux de ces 30 dernières années en Europe, et en particulier en France. « Alors qu’il avait fallu 140 ans pour que la productivité soit multipliée par deux entre 1820 et 1960, elle a depuis lors été multipliée par cinq.

L’économie française produit 76 % de plus avec 10 % de travail en moins. Depuis 1974, le total des heures travaillées (tous secteurs confondus) est passé de 41 milliards d’heures à 36,9 milliards (Insee). Dans le même temps, grâce au baby-boom et grâce au travail des femmes, la population active disponible passait de 22,3 à 27,2 millions de personnes. Le travail nécessaire à l’économie a baissé de 10 %, mais le nombre de personnes disponibles a augmenté de 23%.

Pour le second mécanisme (la globalisation), Patrick Artus et Marie Paul Virard, dans leur dernier livre [2]précisent :

« L’ouverture des échanges de biens et de capital entre les pays dits « avancés » et les pays émergents implique un choc massif : l’arrivée sur le marché mondial du travail de travailleurs (dans les pays émergents) qui ne s’y présentaient pas auparavant, qu’il s’agisse des paysans sous-employés chinois, indiens, brésiliens ou roumains...La population de 20 à 60 ans (en âge de travailler) aux Etats-Unis, dans l’Union Européenne à Quinze et au Japon est de 450 millions de personnes, mais dans l’ensemble du monde émergent, elle atteint près de 2,3 milliards de personnes !

L’effet sur l’économie mondiale de cette énorme hausse de l’offre de travail est simple : elle provoque une baisse des salaires (relativement à la productivité), puisqu’il y a excès d’offre de travail, et une hausse de la profitabilité, puisqu’il y a davantage de salariés par unité de capital, et que le pouvoir de négociation des salariés est réduit. De 1999 à 2007, en moins de dix ans, la productivité a progressé de 30% pour l’ensemble de la planète et le salaire réel par tête de 18% seulement ».

Nos débats idéologiques hexagonaux entre les « 35h », d’un côté et le « travailler plus pour gagner plus », de l’autre ne sont pas à la hauteur.

C’est à une véritable question de civilisation que nous sommes confrontés.

Le travail, comme activité et « valeur » dominantes, n’a jamais été aussi efficace pour produire de la richesse au bénéfice de quelques-uns. Le travail, comme ressource, n’a jamais été aussi peu efficace pour fournir les moyens de la « (sur)vie » au plus grand nombre.

Revisiter la pensée politique d’un auteur comme Hannah Arendt qui s’est toute sa vie interrogée sur la condition humaine dans un monde post-totalitaire, devient de ce fait indispensable.

12 Juin 2008


[1Editions du Rocher, 2007

[2« Globalisation, le pire est à venir », La Découverte, 2008



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