Les fabriques à désespoir

vendredi 22 février 2013
par  Charles Hoareau
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Suicide à Nantes, tentative à St Ouen, d’autres encore avant et ailleurs : le chômage a encore frappé.
Elément nouveau ? Bien sûr que non !
A-t-on oublié la ballade d’Hollis Brown parue en 1964 [1] ?
A-t-on oublié cette autre chanson parue en 1972 due à Félix Leclerc qui parlait du chômage comme la meilleure des 100 000 façons de tuer un homme [2] ?

Plus près de nous faut-il rappeler les 50 suicides dans la seule ville de La Ciotat en 1989, l’année qui a suivi la fermeture du chantier naval ?

Le chômage est une mort sociale avant de devenir parfois une mort tout court.

Les suicides sont une extrémité, mais il faut compter aussi avec les atteintes à la santé que toutes les études sur le sujet ont montrées. Les chômeurs de longue durée sont en plus mauvaise santé ce qui en toute logique fait que leur espérance de vie en est affectée [3].

Le suicide de ceux que le système exclut n’est donc malheureusement pas une nouveauté. Nous le savons.
Ceux qui nous gouvernent le savent.
Et le phénomène s’aggrave avec la montée du chômage de masse qui fait apparaître le retour à la vie « normale » encore plus lointain à ceux que le système a exclu.

Cela dure maintenant depuis près de 40 ans, depuis qu’a été fait le choix économique du taux de profit au détriment de l’emploi, choix qui n’a pas été fondamentalement remis en cause par les gouvernements qui se sont succédé.

Ce qui est nouveau, c’est qu’année après année, est détruit tout ce qu’il y avait de protection sociale contre le chômage. Les commissions de recours de la CAF ou le simple service aux allocataires devenus clients, les commissions de prestations extra légales de la sécurité sociale ou le suivi humain des dossiers des assurés sociaux, les commissions d’action sociale des collectivités locales, tout cela part en lambeaux.

La simple prise d’un rendez-vous devient un parcours du combattant auprès d’un personnel à qui on compte les minutes de réception et qui croule sous le nombre de dossiers, et donc de personnes, à traiter.

Téléphoner à un service public quel qu’il soit est devenu une épreuve usante pour les nerfs où, outre le temps mis pour obtenir le service, on se sent écrasé, méprisé, par une machine infernale qui vous renvoie du dièse à l’étoile en passant par toute la gamme des voix mécaniques qui après vous avoir indiqué une succession de chiffres finit par vous dire que « votre demande ne peut aboutir ».

Pôle Emploi n’échappe pas à la règle, pire il fait figure de modèle en terme de gâchis, d’inefficacité et de machine à broyer. Il y avait déjà des choses à dire du temps de l’ANPE et de l’ASSEDIC, les critères de gestion de l’époque faisaient déjà des ravages, mais la fusion des deux institutions, comme d’ailleurs l’avaient annoncé les syndicats des personnels, a tout aggravé et quand on dit à un chômeur d’aujourd’hui quels sont les droits qu’il aurait eu avant il n’en revient pas.

Tout a été attaqué : les durées d’indemnisation, leur montant, la prise en charge des formations, les aides matérielles diverses (au premier rang desquelles le fonds social) ont elles totalement disparu….Tout.
Et ne parlons pas des indus, des radiations et de tous ces dispositifs mis en place pour exclure et tenter de faire croire au peuple qui n’est pas dupe qu’il y a « des progrès sur le front du traitement social du chômage ».

Le chômeur de Nantes qui s’est immolé par le feu aurait eu droit, avant 1997, avant qu’une présidente CFDT de l’UNEDIC, Nicole Notat et une ministre du travail de « gôche », Martine Aubry, ne les suppriment, aux aides alors en cours. Son dossier ne lui permettait pas de recevoir l’aide d’état ? Il aurait pu aller à l’antenne ASSEDIC dont il dépendait, demander un Fonds Social d’Urgence et ressortir le jour même avec un chèque de 3000F d’alors, 500€ d’aujourd’hui.

Cela ne suffisait pas ? Il aurait pu monter un dossier fonds social classique et une commission dans un délai d’un mois pouvait prendre en charge des retards de loyer, d’EDF (où existait en plus alors une convention pauvreté précarité qui a aujourd’hui disparu), ou toute autre dette voire aide pour un projet précis. Cela n’aurait peut-être pas suffi, mais c’était au moins une lumière au bout du tunnel.
C’est justement cela que la réglementation actuelle ne permet plus. Sortir du tunnel.

Michel Sappin a raison. Pôle Emploi a parfaitement rempli sa mission dans le cadre de la loi actuelle. La compétence des salariés et leur investissement n’est pas en cause.
C’est la loi qui a tué. C’est la loi qu’il faut changer.

Il faut une sacrée dose de cynisme pour, non seulement ne rien faire pour enrayer la montée du chômage (ou ne pas faire assez diront les plus indulgents), mais en plus détruire minutieusement tous les filets de protection sociale que ce pays avait bâtis dans la foulée du programme du CNR, fort opportunément appelé « Les jours heureux ».

Casser notre protection sociale, c’est ce que vous avez fait, messieurs du pouvoir.

Casse après casse, les CAF, la sécu, les ASSEDIC, les services publics sont devenus des fabriques à désespoir pour des gens qui s’adressent en vain à elles en espérant trouver au moins un début de solution à leur situation d’exclus du système.

Système tellement devenu pervers et contraire à ses objectifs initiaux qu’il désespère aussi les salariés qui espéraient faire du social en rentrant dans les organismes divers qui le composent et qui en sont réduits à faire du chiffre et constater leur impuissance devant une misère qui grandit.

En droit du travail, et concernant les salariés en activité, la jurisprudence récente pointe la responsabilité des employeurs dans les tentatives de suicide ou les dépressions et tend de plus en plus à les qualifier d’accidents du travail.

Concernant les chômeurs, la justice devrait faire de même. Ceux et celles qui sont aujourd’hui malades du chômage, ceux et celles qui, désespérés, attentent à leur jour, sont des accidentés de ce système qui a cassé la protection sociale pour la réduire à la portion congrue.

De même la justice, pour l’instant si lente à réagir, (comme c’est le cas à Marseille avec les chômeuses qui ont attaqué Pôle Emploi il y a près de deux ans et qui n’ont à ce jour pas encore obtenu réparation du préjudice), devrait être de la plus grande fermeté vis-à-vis d’institutions censées protéger et non harceler.

C’est devant la justice que devraient être traduits nombre de nos ministres pour non-assistance à personne en danger et poussée machiavélique à l’autodestruction.

Le 5 mars à 9h au conseil de prud’hommes de Marseille, juste avant la manifestation contre l’accord de la honte qui casse entre autres les CDI, aura lieu l’audience où 9 CDD, dont Sabrina [4] assignent Pôle Emploi pour faire requalifier leur contrat de travail et exiger leur réintégration.

On verra bien si la justice, tenant compte de tout ce qui précède, condamne avec fermeté l’Etat employeur qui, au lieu d’« être exemplaire » [5] en plus d’avoir fortement cassé le filet de protection sociale, se comporte comme un patron sans scrupules qui nie le droit du travail afin de fonctionner avec un volant permanent de salariés jetables mis dans l’incapacité de répondre aux demandes des chômeuses et chômeurs qui viennent les voir…et les rejoignent donc dans leur découragement.

En attendant qu’un jour ce ne soit pas le désespoir mais la révolte qui rassemble chômeurs et salariés.


[1Chanson de Dylan qui raconte le fait réel de l’assassinat d’une famille de 6 enfants et de leur mère par un père désespéré d’être au chômage et qui s’est suicidé une fois sa famille exterminée

[2et se terminait par
« Non vraiment je reviens aux sentiments premiers
L’infaillible façon de tuer un homme
C’est de le payer pour être chômeur
Et puis c’est gai dans une ville ça fait des morts qui marchent »
.

[4dont l’action a permis de faire avancer le procès initialement prévu le 18 juin

[5comme l’indique le site de la préfecture des Bouches du Rhône



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vendredi 22 février 2013 à 19h40
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vendredi 22 février 2013 à 18h40