Les nazis, c’étaient les autres

mercredi 24 juillet 2013
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Parus en Allemagne entre 2002 et 2011 et désormais traduits en français, deux livres renouvellent l’histoire des mentalités façonnées par l’expérience nazie, et sa transmission mémorielle.

« Je te le dis, j’en ai descendu, des gens, en Angleterre. Dans notre escadrille, on m’appelait « le sadique professionnel ». Je les descendais tous - un autobus dans la rue, un convoi civil à Folkestone. Je tirais sur tous les cyclistes », confie à ses camarades le sous-officier Fischer, ex-soldat du Reich, dans un camp de prisonniers de l’armée britannique.

Pour saisir l’état d’esprit des combattants de l’armée nazie, on disposait jusqu’alors de courriers, de rapports, d’interrogatoires, de mémoires ou de témoignages, soit diverses sources potentiellement influencées par différents facteurs qui altèrent l’honnêteté du propos.

En découvrant, dans les archives anglaises et américaines, un total de 200 000 retranscriptions d’écoutes secrètes menées par les Alliés sur des Allemands captifs, l’historien Sönke Neitzel a permis une avancée considérable, dont ce livre, intitulé Soldats, rend compte avec précision : bavardant sans retenue, des hommes livrent le fond de leur pensée, chargée de violences, d’horreur, de doutes et de certitudes. Reste à en comprendre les mécanismes, les récurrences comme les omissions. C’est dans ce but que Neitzel a travaillé aux côtés du psychosociologue Harald Welzer, déjà connu pour des recherches qui prennent le contre-pied de la « banalité du mal » portée par Hannah Arendt.

Et, là encore, le débat est posé : à en écouter ces soldats vaincus, le nazisme, auquel ils font rarement allusion, ne serait pas l’élément responsable de la disparition absolue des normes morales pendant six années de conflits. En revanche, cette doctrine génocidaire aurait permis l’exacerbation d’un processus provoqué par la guerre elle-même. S’il est vrai que la parole de soldats engagés sous un autre uniforme, dans d’autres conflits et à d’autres époques présentent d’évidentes similitudes, on objectera que l’imprégnation de la société allemande par le nazisme a pu le rendre omniprésent au point de n’apparaître qu’en filigrane dans les discussions quotidiennes.

« Les récits s’intégrant dans le contexte du processus d’extermination restent relativement minces. On pourrait résumer la situation en disant que les hommes ont clairement conscience du fait que cela se produit, qu’ils l’ont intégré dans leur cadre de référence, mais que cela reste assez marginal dans leur économie mentale », expliquent Sönke Neitzel et Harald Welzer. C’est le système de valeurs, « d’orientation mentale », qui, selon les auteurs, peut aider à comprendre comment des hommes « ordinaires » ont pu commettre les atrocités que l’on connaît, ne s’en plaignant que pour les conditions d’exécution — lors des exécutions de masses, les tireurs sont remplacés toutes les heures devant les fosses, pour cause de surmenage —, mais ne contestant pas, sauf exception, la légitimité des meurtres en série.

Victimisation d’un peuple

Tout aussi passionnant, et d’ailleurs complémentaire, est Grand-père n’était pas un nazi, publié outre-Rhin avec succès voilà une dizaine d’années par Welzer et deux historiennes : fruit d’entretiens sur un échantillon trigénérationnel de 48 familles allemandes, cet ouvrage révèle avec fracas combien les efforts déployés par les autorités allemandes pour éclairer leurs concitoyens sur la réalité exacte du nazisme restent en définitive assez vains.

La raison ? Le poids des mémoires familiales, très supérieur à celui de l’histoire désormais officielle. Entre une mythification du « Grand Reich », l’invention d’une résistance presque généralisée ou bien la victimisation d’un peuple soumis à la terreur des nazis, voire à la « barbarie » des bombardements alliés, les jeunes générations produisent une représentation du passé dont cet ouvrage livre les clés, en montrant les limites de la dénazification.

Thomas Rabino 21/07/2013

Transmis par Linsay

Soldats. Combattre, tuer, mourir : procès-verbaux de récits de soldats allemands, de Sönke Neitzel et Harald Welzer, Gallimard, 619 p., 28,90 €.

Grand-père n’était pas un nazi. National-socialisme et Shoah dans la mémoire familiale, de Harald Welzer, Sabine Moller et Karoline Tschuggnall, Gallimard, 344 p., 22,90 €


En médaillon Marine Le Pen pose au bal des néo nazis



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