Avoir ou ne pas avoir une stratégie

samedi 26 janvier 2008
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A un camarade du PCF qui me disait en quelque sorte hors du PCF point de salut....

A priori , les différences d’approche ne me gênent pas , au contraire j’ai plutôt tendance à les considérer positivement , non seulement elles provoquent le débat qui est souvent un approfondissement , mais elles sont souvent des aspects différents d’une même réalité et elles permettent de la mieux cerner dans sa complexité .

En effet, quand on essaie de faire « l’analyse concrète d’une situation concrète » ( Lénine ) , nous sommes souvent confrontés à nombre de contradictions , et dans chacune de ces contradictions il y a deux contraires , à la fois unis et opposés . Si l’on admet cela , on conçoit que dans une situation donnée il y ait des caractéristiques différentes , sinon opposées . Elles s’opposent mais elles sont dans la même réalité . En conséquence , les uns peuvent privilégier telle ou telle composante d’une situation , et les autres telle ou telle autre . Il convient de prendre en compte l’ensemble pour avoir une analyse quelque peu sérieuse d’une situation particulière . On voit combien on a besoin de considérer toutes les opinions pour faire « l’analyse concrète d’une situation concrète » ...

LE PROGRAMME COMMUN

L’expérience du programme commun , c’est assez compliqué à appréhender .
Quand il s’est agi de le ratifier , en juillet 1972 si mes souvenirs sont bons , il y a eu une réunion du CC de l’époque . Louis Baillot qui nous en faisait le compte rendu lors d’une réunion du secrétariat fédéral nous disait que le CC s’était longuement interrogé pour savoir s’il fallait ou non le ratifier . Je ne comprenais pas le pourquoi de ces interrogations : depuis des années nous battions pour le faire accepter par le PS qui n’en voulait pas , et quand les conditions étaient enfin réunies pour la signature , nous avions de grosses hésitations ! J’ai compris quelques semaines plus tard quand , à la réunion de Vienne de L’Internationale socialiste , Mitterrand s’est justifié devant ses pairs en disant qu’il avait seulement l’objectif de nous piquer 3 ou 4 millions d’électeurs ! C’était un bel éclaircissement !

Je ne pense pas qu’il y ait que moi qui ai compris alors la duplicité de Mitterrand , et dès lors le souci affiché a été d’essayer de sortir de ce piège qui se confirmait comme tel . On a alors essayé de faire monter les enchères pour éviter que le PS tire parti du fait qu’on l’avait aidé à se refaire une virginité politique tant il s’était discrédité sous la 4e République et dans l’avènement de la 5e . Nous avons échoué et , effectivement , le PS a progressivement remonté la pente avec un langage de « gauche » affirmé . Mitterrand n’a pas mégoté là-dessus, il faut l’avoir entendu se prononcer de façon tout à fait convaincante pour la « rupture avec le capitalisme » , mais oui , mais oui ! Et , après avoir recupéré progressivement de l’audience , c’est en 1981 , lors de l’élection présidentielle , que le PS est , pour la première fois depuis la Libération , passé devant nous de façon nette et Mitterrand a été élu Président de la République en suscitant d’immenses espoirs qui seront loin de trouver satisfaction !

L’ELECTORALISME ?

L’électoralisme a-t-il été le principal défaut de toute cette période ? Certes , nous avons gagné nombre de municipalités aux élections de 1977 , mais dès après l’élection de Mitterrand , notre audience électorale a continué à décroître , jusqu’à 10% environ en 1988 , c’est-à-dire juste avant les évènements à l’Est . Sans doute a-t-on pensé que l’audience de certains élus était susceptible de conforter l’audience du Parti , cela a pu être le cas là où nous dirigions , mais ailleurs c’est le PS qui a bénéficié du travail que pouvaient faire nos élus qui ont très rapidement renoncé à faire vivre ce que l’on a appelé le « communisme municipal » , l’identité communiste , pour des gestions de « gauche » où tous les chats étaient gris .

L’INCAPACITE STRATEGIQUE

Cependant , je pense que le principal défaut de l’époque , de toute cette époque , des années et décennies qui ont suivi jusqu’à nos jours , a été « l’incapacité » à « inventer » une stratégie qui aurait permis de sortir du piège qu’était effectivement le programme commun .
Les causes de cette « incapacité » ? Sans doute les interrogations lors de la ratification en 1972 ont-elles continué à exister et à alimenter une bataille dans les « hautes sphères » . Ces débats et leur nature ne parvenaient pas jusqu’en bas , sinon sous une forme édulcorée dégagée de l’ampleur de l’enjeu . Ce n’est pas d’aujourd’hui , ni de cette époque , qu’il existe deux vérités dans le parti , l’une pour un cercle restreint de « dirigeants » , limité au Secrétariat et au BP et à quelques autres initiés , et une autre , différente , diffusée à la « masse » du parti . Tant que Marchais a été là , certes le parti a continué à payer l’erreur , certes Marchais a essayé de maintenir une ligne « révolutionnaire » mais pas sans que les débats restreints ne l’infléchissent dans un sens ou dans l’autre selon les moments .

- Comment expliquer qu’après toute une époque passée à travailler sur « un socialisme aux couleurs de la France » qui était sans doute la stratégie alternative manquante jusqu’alors , avec les mots d’ordre de « rassemblement populaire majoritaire » et celui de « primauté au mouvement populaire » , on en revienne lors du voyage à Moscou au « bilan globalement positif » et à l’approbation de l’intervention en Afghanistan ?
- Comment expliquer que Marchais contribue à désigner Robert Hue comme son successeur alors que celui-ci ne tarde pas à se caractériser par une mutation , qui m’apparait alors nécessaire pour renouer avec la construction de l’alternative dont j’ai parlé , avant de s’afficher puis de se confirmer en 1997 et le gouvernement de la gauche plurielle de plus en plus clairement comme une social-démocratisation qui conduira les ministres communistes à cautionner une des politiques de gouvernement qui aura le mieux servi les intérêts des capitalistes , notamment et entre autres en battant des records de privatisations !
- Peut-on l’expliquer sans penser que les affrontements sur la « ligne » se poursuivent « en haut » , la masse des adhérents n’étant toujours pas informée des débats réels mais un nombre croissant se posant toutefois des questions ?

Quand les tendances à la social-démocratisation l’ont-elles emporté sur celles hostiles à cette ligne ? En tout cas , en réunion du CC , Marchais ne tarde pas à « montrer au créneau » contre Robert Hue : peut-on penser qu’il « s’est fait avoir » ? Ou bien qu’il a subi le rapport des forces entre tendances qui existent mais ne sont toujours pas officiellement reconnues ? Je pense que l’on ne sait pas encore tout de ce qui est , comme je l’ai indiqué , un fonctionnement à « double vérité » , ou plutôt avec une vérité dissimulée qui exprime les véritables objectifs des « dirigeants » et un mensonge flagrant diffusé sous la forme d’un « arrangement » politique plausible pour la masse du parti qui est loin d’imaginer ce double jeu mortifère dont elle est victime sans le savoir .

LE CENTRALISME DEMOCATIQUE ?

Alors, le « centralisme démocratique » dans ce contexte ? Ou plutôt dans ce système qui conduit à faire avaliser en permanence cette pratique de « double vérité » par le parti ? Comment qualifier ce système ? On comprend que , centralisme ou pas , la démocratie en est exclue , c’est une sorte de farce tragique permanente qui permet à quelques individus de manoeuvrer en permanence l’ensemble des communistes dupés !
Aussi, je considère qu’il est de première importance d’en finir avec ce système de tromperie permanente qui commence d’ailleurs à parvenir à ses limites . Il y a beaucoup à inventer pour en sortir, pour que les communistes aient le certitude qu’il y est mis fin . Et cela ne va pas être facile : les nombreux courriers que je reçois montrent que, pour l’essentiel, le plus grand nombre de communistes demeurant « encartés » continue à fonctionner à la confiance , sans trop de poser de questions malgré les catastrophes électorales . Oserai-je les critiquer ? J’ai fonctionné de même pendant longtemps et je ne sais pas trop encore par quels cheminements je suis parvenu, je parviens progressivement , à percer ce double fonctionnement dont j’ai trop longtemps ignoré l’existence , ou que je ne voulais pas voir .

DES COMMUNISTES MAÎTRES DE LEUR PARTI ...

Cette prise de conscience me conduit à m’orienter vers un concept qui relativise quelque peu les débats autour de la verticalité et de l’horizontalité : il convient, c’est une condition majeure , déterminante , que les communistes deviennent les véritables « maîtres » de leur parti , ou du type de formation dont ils se doteront et qui devra refléter cette exigence ! Sans doute faut-il produire un travail plus approfondi sur ce que je viens de développer. L’épisode dont je parle par ailleurs relatif à la façon dont Kanapa manoeuvre le parti au moment du débat sur la « dictature du prolétariat » n’est qu’un épisode d’une longue histoire qu’il convient d’écrire pour parvenir à une prise de conscience généralisée, à une vigilance permanente qui rende impossible toute « délégation de pouvoir » .Il ne faut plus rien déléguer, les communistes doivent être en permanence en mesure de décider. Certainement le généralisation de la pratique et de l’utilisation de Internet devraient y contribuer. Il convient aussi de donner une dimension inconnue jusqu’alors à la formation. Là encore il conviendra d’inventer, mais déjà plus de 60% d’une classe d’âge obtient le baccalauréat ...

...POUR CHANGER DE SOCIETE ET DE CIVILISATION

Au fond , à ce moment , j’ai déjà répondu de fait à ta question : « Pourquoi rêver d’un autre PCF » ? Tout simplement parce que ces pratiques constitutives du parti , qui fondent son essence , ne peuvent perdurer , le peuple français a besoin d’autre chose pour réaliser ses espérances , qui plus est au 21e siècle . C’est l’ensemble de l’outil , son coeur , sa matrice qu’il convient de changer , on ne peut se contenter de mettre quelques « rustines »ou « emplâtres » . Je ne sais si le concept de « révolution culturelle » conviendrait mieux pour caractériser la profondeur des changements à effectuer .

Et aussi parce que on ne va pas seulement changer de société mais aussi de civilisation . Cela a été le cas lorsque l’on est passé de l’esclavage au servage de la féodalité et de la royauté , puis du servage au salariat capitaliste qui a évolué vers le « fordisme » , une forme de capitalisme productiviste maltraitant tout autant les hommes que la nature , même si les circonstances , l’existence du « socialisme réel » , a obligé d’y rajouter une dose de la doctrine de Keynes .Je pense qu’il convient d’entendre les voix autorisées , toujours plus nombreuses , qui disent leur inquiétude quant au présent et à l’avenir de notre planète . De toute façon , la fin annoncée du pétrole ne peut simplement conduire à une révolution énergétique qui reste pour l’essentiel à définir , c’est toute la vie qui va en être changée , à commencer par l’aménagement du territoire , une relocalisation des productions , une autre forme de mondialisation , des bouleversements dans les transports , le logement , les modes de production industrielle et agricole ...Prendre la dimension de ce qui va être la source principale des préoccupations des peuples dès maintenant et ces prochaines décennies conduit à considérer que parler de changement de civilisation n’est pas une exagération , il faut en prendre toute la dimension pour bâtir véritablement un « autre monde » .

REVOLUTIONNER LE TRAVAIL

Le PCF , tel qu’il est aujourd’hui , est-il en mesure de donner cette dimension civilisatrice à son projet ?
Là encore , pas de rafistolage possible . Pour reconquérir une audience , la nouvelle force communiste , ce n’est pas à moi de la définir même si j’ai quelques idées , doit porter ses objectifs de lutte à cette dimension , c’est l’état même de la société qui l’exige . Et elle ne pourra le faire qu’en symbiose étroite avec le peuple français et dans les coopérations , les échanges et les solidarités avec tous les peuples du monde . Oui , un autre monde est nécessaire et possible .

La moindre des révolutions ne sera pas celle que devra connaître le travail , à tel point qu’il doit disparaître en tant que travail salarié . Où en sont les réflexions sur cet enjeu considérable ? Pourquoi le PCF ne s’est pas saisi plus tôt de cette dimension essentielle de l’apport de Marx ? Pourquoi a-t-on ignoré si longtemps « Le droit à la paresse » de Paul Laffargue qui , déjà , à la fin du 19 siècle , considérait que 3 heures de travail par jour étaient largement suffisantes ? Bref pourquoi le Pcf en est-il resté au « fordisme » et à Keynes et a-t-il de fait abandonné Marx sur l’un de ses fondamentaux ? Et cela alors que la notion de revenu social , de revenu d’existence a commencé à devenir réalité et a été travaillé par d’autres !

DONNER LE POUVOIR AU PEUPLE

Alors oui , pour faire tout cela , il convient non point de prendre le pouvoir mais de le donner au peuple .En commençant par la propriété qui en est la condition première . D’où le concept d’« appropriation sociale » , pièce maîtresse du changement de société , et qui , pourtant n’a jamais encore mis en application , ni en France avec les nationalisations/ étatisations , ni avec cette forme de capitalisme d’Etat qui s’est développé à l’Est sous l’égide des Partis / Etats .
Le pouvoir du peuple ? Comment travaille-t-on cela ?
Il y a l’appropriation sociale qui lui donne la maîtrise des richesses produites .

Et il y a aussi un autre concept « marxiste-léniniste » , le dépérissement de l’Etat , lequel est en régime capitaliste le deuxième pouvoir qui lui permet d’imposer ses dominations , exploitations , aliénations à l’ensemble des salariés . Il convient en conséquence d’enclencher ce processus de dépérissement de l’Etat vers l’auto-administration de la société .

Et comment institutionnalise-t-on le pouvoir du peuple ? Sera-t-il suffisant de revenir à la proportionnelle pour redonner au suffrage universel toute la valeur qui lui a été confisquée par le capitalisme ? Certes, l’appropriation sociale couplée au dépérissement de l’Etat créée une situation tout à fait nouvelle. Le pouvoir du peuple est ainsi inscrit dans toutes les sphères de la société. Mais c’est un processus qui s’engage à partir de la situation actuelle. A quel rythme ? Y aura-t-il des résistances ? Si le pouvoir du peuple est institué, la dictature du prolétariat, même sur une brève période, est-elle nécessaire ? Le peuple disposant de l’essentiel des pouvoirs réels ne peut-il pas prendre souverainement et démocratiquement toutes les décisions destinées à faire respecter ses choix majoritaires ?

Dans ce processus, en effet, rien n’est enchanté, il s’agit de la lutte des classes, d’un affrontement politique vif, aigu . Mais déjà aujourd’hui, dans les faits, ce sont les travailleurs, les salariés qui produisent et qui gèrent, ils constituent 92% de la population active , et dans le rassemblement majoritaire qui peut s’effectuer n’y a-t-il pas déjà les gestionnaires de demain , lesquels sont en fait ceux d’aujourd’hui mais qui gèrent en fonction de critères qui ne sont pas les leurs , établis qu’ils sont en dehors d’eux par les propriétaires capitalistes .

AVOIR CONFIANCE DANS LE PEUPLE.

Au total, j’ai confiance. J’ai confiance dans les capacités du peuple qui , aujourd’hui , à 61%, considère le capitalisme comme négatif .
Ce peuple doit se donner la force politique organisée capable de l’aider à construire un projet de société / civilisation et à le mettre en oeuvre.
Aujourd’hui, cette force politique n’existe pas.
Sur les deux ou trois dernières décennies, le PCF a fait la preuve de son incapacité à définir une stratégie politique correspondant aux évolutions de la société . Avant même que s’engage la période programmatique dont il n’est pas sorti , le peuple français lui avait déjà donné deux forts avertissements , en 1958 et en 1968 . Non seulement ils n’ont pas été pris en considération mais la perte de l’initiative stratégique perdure. Sans doute sera-t-il également nécessaire de faire la part de ce qui est extérieur à lui-même dans ce manque cruel : jusqu’en 1991-92 , une part de la vérité non-dite était dans l’existence des pays du « socialisme réel » .
A la Libération, le PCF s’est inscrit dans l’acceptation des accords de Yalta qui le condamnaient à une sorte de souveraineté limitée résultant du partage de l’Europe en zones d’influence. Et quand ces accords deviennent définitivement caducs, le PCF n’est déjà plus en mesure de reprendre l’initiative stratégique. Manifestement, dès lors, c’est la tendance qui ne croit plus au communisme qui a pris le dessus dans le cercle étroit des décisions réelles . La social-démocratisation du PCF s’accélère et , cessant dans les faits d’être communiste , cela étant perçu comme tel par son électorat , il voit son électorat fondre jusqu’à moins de 2% tandis que le nombre de communistes sans carte devient plus important que celui des encartés .

Je te remercie de ta volonté de vouloir me redonner confiance en ceux qui ont conduit cette désagrégation qui fait justement que le PCF n’est plus l’expression de notre peuple qui ne se reconnaît plus en lui. Mais ceux-là n’auront plus jamais ma confiance, qui plus est quand ils veulent aller jusqu’au bout de la démarche, la disparition de toute force politique communiste organisée et la création à sa place d’une formation de « gauche » !

PROJETER LES FONDAMENTAUX DANS CE SIECLE

Et il faut faire naître une nouvelle force communiste par un retour aux fondamentaux qu’il convient de projeter dans le 21e siècle. Pour imager, il faut convoquer Marx à cette renaissance et se mettre au travail en liaison étroite avec le peuple.
C’est l’objectif des Assises.
Contre les tendances qui obèrent la démocratie, les communistes doivent être les « maîtres » du processus de renaissance et d’unification qu’elles constituent, je partage tout à fait ton appréciation.
Merci de m’excuser d’avoir été si long. Je pense que ce n’est pas perdre son temps que de le prendre pour essayer de déterminer au mieux le niveau des objectifs à se donner, de prendre la hauteur nécessaire, non point pour s’éloigner des réalités , mais au contraire pour bien mesurer que ces réalités impliquent aujourd’hui de se donner le changement de civilisation comme objectif .
Bien évidemment, il s’agit là d’un processus et il y a des mesures à prendre dans l’urgence en essayant de faire en sorte qu’elles ne soient pas en contradiction avec l’objectif final.



Commentaires

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dimanche 27 janvier 2008 à 19h04 - par  Michel Peyret
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samedi 26 janvier 2008 à 17h42 - par  Gilles Questiaux

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