Révolte d’esclaves dans les plantations de myrtilles

samedi 21 août 2010
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Quand modèle social suédois et syndicalisme bien en cour à la CES conjuguent leurs efforts, le progrès social est visible...

Le 6 août dernier, 170 Chinois sont partis pour une longue marche. Trente kilomètres depuis le village de Långsjöby, perdu dans l’immensité lapone, jusqu’à Storuman, le chef-lieu administratif. « Help ! » et « S.O.S. », pouvait-on lire sur leurs pancartes. Au départ, ils avaient l’intention d’aller à Stockholm, ont-ils confié à un journaliste, puis ils ont appris que près d’un millier de kilomètres les séparaient de la capitale suédoise. A Storuman, bourgade de 2 000 âmes, la responsable des services sociaux, Kerstin Asplund, a fait héberger provisoirement les protestataires dans une école, avant de déclarer : « La façon dont ces gens sont traités est criminelle. »

Chaque année à cette époque, les journaux suédois sont remplis d’histoires de cueilleurs. Venus de Thaïlande, du Vietnam ou de Chine, plusieurs milliers de travailleurs saisonniers sont entraînés dans les forêts du nord de la Suède par des agences plus ou moins recommandables. Celles-ci leur promettent des plants de myrtilles de 1 mètre de haut, couverts de baies aussi grosses que des grains de raisin, relate, dans un anglais approximatif, un jeune Chinois de 25 ans à un reporter de la télévision. Mais ce n’a pas été leur seul motif de désillusion à leur arrivée à Långsjöby. Leur rétribution réelle ne s’élevait elle aussi qu’à une fraction de ce qui leur avait été promis.

La récolte des airelles et des myrtilles peut être un passe-temps agréable. Mais, lorsqu’il s’agit de gagner de l’argent, c’est un travail pénible. Autrefois, c’était un complément de revenus non négligeable pour les habitants du nord de la Suède. Mais, depuis longtemps, la cueillette professionnelle, qui constitue ici l’épine dorsale du commerce des baies, s’est internationalisée. On a commencé par faire venir de la main-d’œuvre finlandaise puis, après la chute du Mur, ce sont les « travailleurs immigrés » qui sont arrivés, de Pologne, de Lettonie et de Lituanie d’abord, puis de Russie et d’Ukraine. Plus tard, ce furent essentiellement les Thaïlandais. Depuis 2009, Vietnamiens et Chinois arrivent en force en Laponie.

Pour mettre le holà à l’immigration illégale et à l’exploitation de la main-d’œuvre et pouvoir coordonner à peu près le nombre de travailleurs avec l’offre de travail existante, Stockholm a adopté dès 2007 une réglementation spécifique régissant le travail saisonnier. Depuis lors, seul un nombre limité de cueilleurs de baies – entre 4 000 et 6 000 – est autorisé à se rendre dans le pays, recruté par le biais d’agences d’intérim.

Pour les acheteurs en gros, c’est commode. Lorsque les choses se passent mal, ce ne sont pas eux les responsables mais les intermédiaires. Et, l’été dernier, beaucoup de choses se sont mal passées. En juin, dans une bonne partie du nord de la Suède, les plants sont restés dégarnis à cause des gelées. Les contrats des cueilleurs prévoyaient un rendement journalier pouvant atteindre 90 kilos. En réalité, ils n’en ont récolté le plus souvent que 20 kilos tout au plus. Trop peu pour payer le billet d’avion et l’hébergement. Leur séjour en Laponie s’est transformé en gouffre financier.

Plusieurs centaines de Thaïlandais sont alors allés camper dans le parc de la ville de Luleå, dans le nord du pays. Les médias ont parlé d’« esclavagisme » et les habitants ont offert aux cueilleurs de quoi se vêtir et se nourrir. Yvonne Stålnacke, maire de Luleå, se souvient : « Pour moi, c’était absolument tragique de rencontrer ces gens dont les rêves se sont brisés ici. »

L’indignation générale était si grande qu’à partir de cette année-là, et pour la première fois, la réglementation sur le travail saisonnier a laissé la place à une convention collective en bonne et due forme. Indépendamment de leur rendement, les cueilleurs ne peuvent pas toucher moins de l’équivalent de 1 650 euros par mois. Néanmoins, ce chiffre reste théorique. Une partie de cette somme est en effet prélevée immédiatement par les intermédiaires pour payer le voyage en avion, l’hébergement et la nourriture. Et, manifestement, les avenants aux contrats dans lesquels les travailleurs s’engagent à renoncer au salaire minimum sont monnaie courante.

On ne peut contrôler que les contrats écrits, pas les conditions de travail effectives, se justifie le service des étrangers de Suède. Et les syndicats ont les mains liées : « Nous n’avons aucun accès à l’information puisqu’ils ne sont pas syndiqués », déplore Håkan Lövgren, de la confédération syndicale suédoise LO. A cela, il faut ajouter la barrière de la langue « et les réglementations en vigueur, qui sont simplement trop faciles à contourner ».

L’esclavagisme perdure ainsi dans les forêts suédoises. « Nous avons faim », se plaint un groupe de Vietnamiens aux reporters du journal Aftonbladet qui les ont découverts : ils en seraient donc réduits à chasser les oiseaux et le petit gibier de la forêt pour avoir quelque chose à se mettre sous la dent. Quelques cueilleurs auraient même consommé des champignons vénéneux et auraient dû être hospitalisés.

Par Reinhard Wolff dans Die Tageszeitung le 17/08/2010

Transmis par Linsay



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